Ancien centre de triage du courrier lillois, le Tripostal a été reconverti en centre d’expositions et de résidences artistiques en 2004 à l’occasion du lancement du programme socio-ludo-culturel Lille3000. Pas bling-bling pour un sou, loin des architectures à la mode, sa programmation tonitruante pourrait pourtant lui donner des ailes et des envies d’aller narguer d’autres lieux culturels bien installés ou situés dans les hautes sphères des grandes capitales européennes.
Après avoir notamment accueilli les collections de François Pinault (« Passage du temps» en 2007-2008), celles de Charles Saatchi (« La Route de la Soie » en 2010-2011) et souhaité un joyeux 25 ans au galeriste parisien Emmanuel Perrotin (« Happy Birthday» en 2013-2014), il nous ouvre aujourd’hui les portes des collections de 18 particuliers ayant pour point commun d’habiter en Flandre. L’exposition « Passions Secrètes, collections privées flamandes » a en effet un point de départ peu banal: le constat que la région peut s’enorgueillir d’abriter des dizaines de collectionneurs à la tête d’un trésor que seulement quelques initiés ou voisins chanceux ont pu contempler.
La commissaire d’exposition Caroline David, Directrice des Arts Visuels à Lille3000, a ainsi eu l’opportunité de piocher dans un ensemble de 4000 œuvres. De son travail de titan est née une shortlist de 140 créations aujourd’hui présentées à travers les 6000 m2 du Tripostal. Dans un parcours sur trois étages, alternant salles géantes immaculées et espaces sombres et confinés, se déploient installations monumentales et œuvres plus modestes, voir microscopiques. Si nous n’avons aucun problème à imaginer comment ces dernières peuvent trouver une place dans un salon ou une chambre, on a plus de mal à visualiser concrètement certains mastodontes de plusieurs mètres de long rentrer dans une maison. Pour nous y aider, quelques photos d’intérieurs de collectionneurs commandées à Gautier Deblonde nous plongent dans des couloirs et des pièces parfois saturés d’art. Mais au-delà de cet accrochage public d’accrochages privés, on n’en saura pas vraiment plus sur les heureux propriétaires. Qui sont-ils? Comment ont-ils commencé? Pourquoi achètent-ils? Les réponses ne se trouvent pas sur place. À nous de collectionner les avis et les hypothèses.
Sans qu’on s’en rende forcément compte, 4 thèmes ont servi de colonne vertébrale à l’accrochage, sans pour autant dicter un rangement strict. La femme est le premier. Vous accueillent ainsi le portrait minimaliste d’une businesswoman de Julian Opie, un néon haut perché de Sylvie Fleury et une succession d’œuvres fortes sur le sexe faible sous toutes ses coutures: une mère-araignée de Louise Bourgeois côtoie un portrait de la mygale Madonna signé Bettina Reims ou encore une photo d’identité monumentale de la femme du photographe allemand Thomas Ruff.
Second thème, le miroir, présenté dans toutes ses déclinaisons: triangulaire chez Michelangelo Pistoletto, rayé chez Daniel Buren, brisé chez Jim Hodges, concave chez Ann Veronica Janssens ou arc-en-ciel chez Olafur Eliasson. Il n’est pas ici question de vanité, mais plutôt de jouer avec ce drôle d’objet pour créer les effets les plus originaux ou fabriquer des métaphores réfléchissantes menant vers des réflexions plus personnelles.
Troisième thème, l’Amérique et ses symboles, vaste programme, avec: des fragments de la statue de la liberté par Danh Vo, enfant de boat-people, un ensemble de clichés scato-cacao de Paul McCarthy réalisé lors d’une action parodiant l’attraction made in Disney « Pirates des Caraïbes » ou encore des photographies du maître Joseph Beuys lors de sa célèbre performance « I like America and America likes Me » au côté d’un coyote symbolisant le peuple indien. La grande dame U.S. en prend ici pour son grade, présentée comme une sorte de fabrique à neuneus mais aussi comme le berceau d’artistes singuliers se servant de l’histoire mouvementée de leur patrie comme toile de fond de leur création.
Enfin, c’est l’art belge qui est consacré dans un quatrième chapitre avec notamment Wim Delvoye, Jan Fabre, Berlinde de Bruyckere ou encore Kris Martin. Tous s’illustrent par des œuvres qui ne laissent jamais indifférent et qui sont la preuve que l’art belge est roi, des blagues comme des claques. Le couple de daims s’enfilant de Wim Delvoye fait sourire. Le pendu en punaises de Jan Fabre met plutôt mal à l’aise alors que l’installation de Berlinde de Bruyckere ne quittera jamais votre tête. Un cheval recomposé est littéralement avachi sur une structure en métal, une sculpture inspirée des dépouilles de canassons trouvées sur les champs de bataille, soufflés et transportés dans les branches par les explosions.
Et c’est loin d’être tout car, il faut l’avouer, cette exposition est riche, très riche même, certainement comme le sont celles et ceux qui ont acquis ces œuvres. « Passions Secrètes, collections privées flamandes » jusqu’au 4 janvier 2015 au Tripostal – Avenue Willy Brandt à Lille.
Artistes présentés dans l’exposition (par ordre alphébétique): Francis Alÿs – Carl André – Kathryn Andrews – Art & Language – Robert Barry – Ruben Bellinkx – Joseph Beuys – Thomas Bogaert – Michaël Borremans – Louise Bourgeois – Dirk Braeckman – Sergey Bratkov – Daniel Buren – Matthew Day Jackson – John De Andrea – Gautier Deblonde – Berlinde de Bruyckere – Thierry De Cordier – Ronny Delrue – Wim Delvoye – Robert Devriendt – Rineke Dijkstra – Lili Dujourie – Sam Durant – Olafur Eliasson – Elmgreen & Dragset – Jan Fabre – Sylvie Fleury – Mark Flood – Claire Fontaine – Michel François – Douglas Gordon – Dan Graham – Wade Guyton & Kelley Walker – Jim Hodges – Ann Veronica Janssens – Rashid Johnson – Jacob Kassay – Mike Kelley – Anselm Kiefer – Joachim Koester – Eugène Leroy – Brendan Lynch – Kris Martin – Paul Mc Carthy – Annette Messager – Tracey Moffatt – Yasumasa Morimura – Juan Muñoz – Hans Op De Beeck – Julian Opie – Tony Oursler – Panamarenko – Elizabeth Peyton – Michelangelo Pistoletto – Bettina Rheims – Gerhard Richter – Robert Barry – Mimmo Rotella – Sterling Ruby – Thomas Ruff – Matthieu Ronsse – Wilhelm Sasnal – Thomas Schütte – Andres Serrano – Santiago Sierra – Dash Snow – Thomas Struth – Larry Sultan – Ed Templeton – Ryan Trecartin – Luc Tuymans – Koen van den Broek – Rinus Van de Velde – Iris Van Dongen & Kimberly Clark – Jan Van Oost – Jacques Verduyn – Jan Vercruysse – Danh Vo et Francesca Woodman