L’avancée picturale de Rinus Van de Velde est celle d’une exigence que pourrait synthétiser la phrase d’Hunter S. Thompson: « Qu’arrivera-t-il quand ayant tiré de mon corps ce que mon corps avait pu dire, sur cette vie, tout au long de cette vie, il n’y aura plus à en écrire que la mort ou le silence? ». De tels mots viennent à l’esprit lorsqu’on cherche à qualifier l’aventure picturale du peintre qui sans Dieu et sans religion se doit tout seul de trouver ses repères et poursuivre son initiation à travers le corps qui pousse à la différence lorsque c’est de ressemblance que le peintre belge a le plus besoin.
Reste l’abrupt de narrations simples dans une intimité errante où apparaissent parfois quelques pères putatifs sous la figure de sorte de gourous. Le sexe en tant que tel n’est jamais mis en exergue. Tout reste codé dans divers épisodes aux assises qui refusent d’assise le fébrile et l’exaltée en des sortes de « festins nus » (pour reprendre le titre de William S. Burroughs). La suite des tableaux immenses décrit une trajectoire existentielle où l’artiste piétine, repasse par les mêmes voies en recommençant ce qui ne commence jamais et qui le menace délicieusement. Son œuvre par sa couleur même appartient à l’ombre: elle laisse apparaître une passivité foncière en dépit de ses flots et de ses étendues.
© Rinus Van de Velde, untitled, charbon Sibérien sur papier, 278×213 cm, 2010
© Rinus Van de Velde, untitled, charbon Sibérien sur papier, 270×205 cm, 2010
© Rinus Van de Velde, untitled, charbon Sibérien sur papier, 190×240 cm, 2010
© Rinus Van de Velde, untitled, charbon Sibérien sur papier, 126×123 cm, 2010
© Rinus Van de Velde, untitled, fusain sur toile, 150×260 cm, 2013
© Rinus Van de Velde, ‘Dear David Johnson… (For complete title see text « Dear David Johnson »), charbon Sibérien sur papier, 240×180 cm, 2011
© Rinus Van de Velde, Antwerp, June 2012, fusain sur toile, 150×200 cm, 2011
© Rinus Van de Velde, A selective discography of Conrad M.-albums, fusain sur toile, 250×371 cm, 2011
Reste toujours la fascination du blanc et du noir dont Rinus van de Velde ne peut interrompre l’avalanche entre puissance de création et impouvoir vital. L’œuvre en ce sens ressasse l’interminable, l’incessant, la liberté et les entraves voire l’Issue sans issue. La solitude aussi dans des immenses toiles imposantes et « agoniques » où le lien qui relie l’autre à soi reste en suspens. La peinture révèle l’écho visuel d’un silence sans nom où le créateur erre et palpite, où il n’espère même plus entendre une réponse en dehors de l’écho d’un vide infini. Il s’abandonne ainsi à la fascination de l’absence, se livre dans ses toiles avec l’espoir d’atteindre l’autre (mais peut-être aussi d’en refuser le contact). Il s’agit de retrouver le fétiche du monde, l’Ami là où la peinture devient à la fois vestale, pute, vierge, martyr, mère, amante, et surtout abcès de fixation, l’objet à la fois de la jouissance et de la prière (comme le furent jadis les toiles de grands maîtres Italiens). Rinus van de Velde s’y perd, y cherche un répit, une accalmie et de quoi supporter son mal de vivre, sa souffrance. Il tente de s’accrocher aux images juste pour – faute de mieux – en jouir parfois. Demeure la chute infinie des corps et parfois le remontée là où ils sont saisis en contre-plongée. Mais l’absence de couleur des toiles annonce que rien ne sera sauvé. Sauf la chair mourante de la peinture, la seule, l’égarée.
© Rinus Van de Velde, untitled, fusain sur toile, 300×260 cm, 2013
© Rinus Van de Velde, untitled, fusain sur toile, 260×400 cm, 2013
© Rinus Van de Velde, untitled, fusain sur toile, 250×368 cm, 2013
© Rinus Van de Velde, untitled, fusain sur toile, 180×290 cm, 2013
© Rinus Van de Velde, untitled, fusain sur papier, 140×200 cm, 2013
© Rinus Van de Velde, untitled, fusain sur toile, 180×300 cm, 2013
© Rinus Van de Velde, It happens anytime I faintly feel I am a physical being (…), fusain sur toile, 180×270 cm, 2013
© Rinus Van de Velde, Dialogue overhead at Van de Velde’s opening in Antwerp, fusain sur toile, 190×250 cm, 2011
© Rinus Van de Velde, Berlin, September 2012, fusain sur toile, 190×250 cm, 2011
Au sein de cette peinture narrative tout est donc mis en scène avec élégance en divers jeux entre le subtil et l’arrogant, le secret et l’évidence. Un envers du miroir de nos territoires apparaît sous forme de songe, de rêve dans ce qu’il reste du monde. L’artiste découpe des « no man’s land » non par désertification mais par trop pleins en une suite de lieux avec variations qui représentent divers types de friches des relations amoureuses, affectives en un double maillage: il circonscrit une zone d’abandon, il fait surgit une forme de « statuaire ». Rinus van de Velde ne cherche aucune dramatisation, aucun effet misérabiliste, il se contente de montrer une symphonie acide et cassée de noir. Surgit un espace vacant donc ouvert et presque aussi onirique que discrètement tragique
Tout se joue sous forme d’un kitsch sévère. S’y mêlent la rigidité longiligne mais aussi les verticales des structures. Les décors s’arc-boutent en « border lands ». Ils échappent à toute localisation précise et donnent une éternité à cet éphémère du passé soudain figé. Ce sont des restes qui portent témoignage de la trace de l’homme en ces friches. Et l’artiste contraint le spectateur à un vertige de l’œuvre au noir où les personnages ne regardent plus personne et semblent les restes d’une génération désabusée que l’époque actuelle ne risque pas d’égayer. Reste cette scénographie essentielle, grave, délétère mais monumentale et ouverte sur un inconnu. Ce dernier nous parle vraiment en une pâleur acide et une attente sans fin et sans fond. Toute certitude semble définitivement close.