Un entretien Boum! Bang!
Diplômée des Gobelins-École de l’Image de Paris, il n’est pas étonnant de découvrir que Marie-Sophie Leturcq a aussi un lien très ténu avec l’art musical. La petite musique de l’âme, cette vibration à explorer s’exprime en ses mots: chercher un sixième sens qui serait une intelligence obscure.
Le mystère de l’être, donc.
Et voyager… partir à la conquête… poursuivre un chemin.
En l’occurrence, en ce qui concerne Marie-Sophie Leturcq, la route a pour miroir une quête de l’alchimie. Prendre son appareil photo en bandoulière et privilégier l’errance à la posture, quand partir à la rencontre d’autrui ressemble à la poursuite de soi. Photographe, sans fantasme projeté, cherchant souvent le regard ontologique plus que l’esthétique, l’artiste saisit des clichés pas stéréotypés pour un sou. On pourrait penser que seules les couleurs si sublimes reflétées par le monde sont l’unique ambition de la photographe, or, à priori, ce qui laisse trace, demeure le regard des êtres. L’appellation de son diplôme prend alors tout son sens: la section « prise de vue » lui sied tant.
La photographie n’emprisonne pas l’enveloppe corporelle de ses sujets, mais la déploie comme autant de vérités sur une intériorité singulière: les rides des plus anciens révèlent parfois un parfum plus frais que la gravité du sourire d’un enfant. Dans les paradoxes, Marie-Sophie Leturcq signe une série de photographies entre flou-onirique et réel-fixe, dans l’instantanéité d’un lieu qui se dévoile. Elle resserre encore le cadrage sur une succession de diptyques qui unissent l’habitat et l’habitant, les murs et l’âme.
L’enjeu de ses portraits est clair, elle questionne à la fois le lieu extérieur et les lieux intimes. Quelques séries, notamment au Japon, nous enjoignent à rentrer dans une géométrie folle et des proportions furieuses. Une sensation de fatigue ordonnée dissimulée derrière des masques salvateurs, des files d’attente attentives, des regards dans le vague à l’âme…
Marie-Sophie Leturcq expérimente alors la photographie comme un voyage au fond des êtres, avec pour seul dessein, la vérité sublime de l’instant.
B!B!: Quel(s) appareil(s) utilises-tu?
Marie-Sophie: Un Reflex numérique, un Canon 5D mark3 pour être précise, mais je n’attache pas trop d’importance aux moyens techniques, l’image est faite par l’oeil et non par l’appareil.
B!B!: Gardes-tu un fil conducteur lors de tes voyages?
Marie-Sophie: Ce qui m’attire et que j’ai envie de photographier, ce sont des instants de grâce, que ce soit les êtres humains que je suis toujours aussi fascinée de croiser dans leur diversité, leur unicité, – j’adore capter les attitudes et les expressions des gens dans la rue – ou que ce soit dans l’architecture implantée dans un paysage urbain où apparait parfois la nature.
B!B!: Souhaites-tu faire sortir une surimpression particulière, en plus de l’« alchimie »?
Marie-Sophie: C’est difficile de définir exactement ce que je veux exprimer dans mes photos, j’ai un sentiment, une intuition, une vision du monde qui m’est propre et je me sers de la photographie pour l’exprimer. Je me sers de la matière réelle que m’offre le monde pour retranscrire mon sentiment intérieur (et celui-ci change suivant le lieu, le moment, les rencontres).
B!B!: Comment ton parcours t’a-t-il amené à la photo?
Marie-Sophie: J’ai commencé à photographier à 13 ans avec le Minolta de mon père. Il était photographe amateur et possédait ce Reflex argentique entièrement manuel avec quelques bonnes optiques. La passion m’a pris tout de suite, le plaisir et la recherche du cadrage, ce qui fait l’« oeil » du photographe je l’ai tout de suite pressenti et j’ai très vite appris les règles d’optiques, de profondeurs de champs, les notions de quantités de lumière en fonction de l’ouverture du diaphragme ou de la vitesse d’obturation suivant les effets visuels de flous ou de netteté que je voulais obtenir, ça a été ma meilleur école. Il m’a appris également tout ce qui avait avoir avec le laboratoire. Le développement des films et le tirage-photo noir et blanc argentique. J’adorais le labo que nous installions dans la salle de bain et je passais des nuits entières à tirer mes photos. Par ailleurs j’avais commencé le violoncelle à 11 ans et c’était une telle passion que je n’avais qu’une idée; devenir violoncelliste. J’ai fait mes classes au Conservatoire de Paris et je suis devenue violoncelliste tout en continuant à faire mes photos bien sûr. Après mon prix de Supérieure de violoncelle j’ai été professionnelle pendant 2 ans puis j’ai passé le concours de Gobelins-École de l’Image en me disant que si je rentrais dans cette école, c’était l’occasion d’acquérir les connaissances complémentaires pour devenir professionnelle et me lancer. J’ai réussi le concours et j’en suis sortie en 2005 diplômée en prise de vue et prête à travailler en tant que photographe.
B!B!: Qui t’inspire?
Marie-Sophie: Les photographes tels Henri Cartier-Bresson, André Kertész, Robert Frank, Jean-Lou Sieff, Robert Doisneau, Jan Saudek ont vraiment été mes premiers chocs photographiques. Ensuite j’ai découvert la poésie de Sarah Moon, de Paolo Roversi, de Peter Beard (ses photos en Afrique sur les traces de Karen Blixen m’ont fascinées pendant longtemps). Et aussi Raymond Depardon, ses photos, ses films, tout son travail possède une cohérence artistique et intellectuelle que j’admire beaucoup. Ensuite les photographes qui m’ont vraiment inspiré, m’ont apporté un regard nouveau et m’ont fait aimer la couleur sont par exemple Stephen Shore ou Andréas Gursky et puis Martin Parr et Paul Graham, William Eggleston, Joël Meyerowitz pour la « street photography » un genre qui n’est pas très en vogue en France malheureusement mais qui va revenir! Je me nourris des arts, j’adore la peinture de Chagall, Bacon, Lindner, la musique que ce soit classique (surtout les romantiques tels Brahms, Schumann) mais aussi Dmitri Chostakovitch ou Steve Reich ou la musique actuelle, le rock mais je suis avant tout inspirée par la photographie, j’adore découvrir de nouvelles photographies, ce médium me fascine toujours autant qu’au premier jour. Je crois bien être une inconditionnelle de cet art, la photographie.
B!B!: Chaque pays a sa particularité. Où t’es-tu sentie la plus à l’aise avec ton compagnon-appareil?
Marie-Sophie: Au Japon, j’étais totalement tranquille, ignorée de la foule, c’est la discrétion des japonais. Les gens me voient faire des photos car je n’hésite pas à me planter devant eux quitte à me faire refuser énergiquement la photo. Je ne parle pas en général, je fais la photo que je veux faire, je reste dans mon état d’observation, proche d’une auto-hypnose qui est ma manière de percevoir au plus proche le monde d’une façon graphique et sensible, j’observe beaucoup, j’ai besoin de concentration. En Inde c’était très différent, je ne parle pas beaucoup non plus mais il y a une communication très forte par le regard et par le rire parfois aussi. Mais pour autant les gens que je photographie ne changent pas d’attitude en me voyant, j’ai ressenti une grande sérénité. J’essaie de capter ces instants de vie tels que je les ai perçus avant même de prendre la photo.
B!B!: La plupart de tes « sujets » te regardent intensément. Demandes-tu la « permission » avant de prendre une photo?
Marie-Sophie: Je ne demande jamais de permission avant mais parfois les gens lèvent un bras pour se protéger, pour me signifier qu’ils ne souhaitent pas être pris en photo, je respecte ce choix. Par contre lorsque les gens me regardent intensément et qu’il y a une forte connexion, une communication autre que verbale, ce sont des moments forts.
B!B!: Qui souhaiterais-tu prendre en photo aujourd’hui?
Marie-Sophie: Un ou une bel(le) inconnu(e) au détour d’une rue dans une lueur de grâce.
B!B!: Et une personne du passé?
Marie-Sophie: Mâ Ananda Moyî, son regard est sublime, fascinant. C’est une des plus grandes saintes qu’ait connu l’Inde au xxème siècle, un avatar, une incarnation divine.
B!B!: Penses-tu que nous sommes tous un peu photographes avec la variété des outils dont nous disposons?
Marie-Sophie: Je ne pense pas que ce soit l’outil qui fasse le photographe. Seul l’oeil est garant d’une vraie photo.
B!B!: Quel espace géographique te plairait-il d’explorer à l’avenir? D’ailleurs, quelle est ta prochaine destination?
Marie-Sophie: Je suis toujours très axée sur les villes, les grandes mégalopoles, l’humain qui les peuple et puis un sujet qui me tient très à coeur qui est la nature en ville. Mon prochain voyage devrait être Singapour, elle est considérée comme la ville la plus verte d’Asie.
B!B!: Si tu étais…
Un parfum de vos voyages gravé en mémoire?
Marie-Sophie: Le parfum du mimosa chaud au milieu d’un champ d’arbustes exposés au soleil torride de l’ile de la Réunion, j’avais 7 ans.
B!B!: Un appareil photo?
Marie-Sophie: Minolta SR T 101.
B!B!: Un portrait fameux?
Marie-Sophie: « La jeune fille à la perle » de Johannes Vermeer.
B!B!: Un philosophe de l’art?
Marie-Sophie: Hanna Arendt « La crise de la culture ».
B!B!: Un tableau figuratif?
Marie-Sophie: « Le baiser » de Gustav Klimt
B!B!: Un morceau de musique?
Marie-Sophie: La 5ème symphonie de Dmitri Chostakovitch, grandiose!
B!B!: Quel est…
Ton plus beau souvenir lié à la photographie?
Marie-Sophie: La magie de la chambre noire, l’émotion à l’instant de l’apparition de l’image dans le bain de révélateur. Cet émerveillement de l’image en train de se révéler sous la lumière rouge de la lampe inactinique.
B!B!: L’espace où tu aimerais exposer?
Marie-Sophie: La Maison Européenne de la Photographie, je suis une inconditionnelle du lieu.
B!B!: L’autre métier que tu aurais pu exercer?
Marie-Sophie: Violoncelliste, je l’exerce d’ailleurs.
B!B!: Le livre que tu lis en ce moment?
Marie-Sophie: « L’Amant » de Marguerite Duras, je le relis. Les livres de Duras, je les réouvre à n’importe quelle page pour en lire des extraits comme on relis et relis un poème, parce qu’elle fait chanter les mots, et qu’il y a un rythme et une sonorité dans son langage qui me touchent profondément.
B!B!: Si je te dis Boum! Bang! tu me réponds?
Marie-Sophie: SHEBAM! POW! BLOP! WIZZ!