Andreas Gursky est l’un des plus grands photographes européens contemporains. Né en Allemagne en 1955, d’un père photographe commercial, il effectue tout d’abord des études de photographie à Essen. En 1981, il entre à l’Académie des Beaux-Arts de Düsseldorf, où il suit les cours de Bernd et Hilla Becher qui s’intéressent tout particulièrement à l’architecture industrielle et urbaine en noir et blanc, dans une approche de la photographie très impersonnelle. Dans les années 1980, le travail de Gursky est très marqué par cette influence, même s’il recourt à la couleur. La représentation d’édifices urbains vides ou des métiers qu’ils impliquent (gardiens d’immeubles) en témoigne. De là provient cet œil si particulier pour les rapports tissés par un individu avec une structure (architecturale notamment). Cette hauteur du travail photographique implique de même des réflexions générales : sur le temps qui passe, la notion de foule ou le fonctionnement socio-économique du monde contemporain.
C’est que le travail d’Andreas Gursky donne le vertige. L’espace se trouve au cœur de ses recherches esthétiques. Tout, dans ses photographies, donne cette impression de gigantisme, de vertige et de monumentalité. Le rectangle du cliché contient une vision qui l’excède par la profondeur et la largeur de champ alors imposée au regard. Un timbre poste contenant lui-même le vide, un précipice – ou même une tornade. À la frontière entre la froideur d’une objectivité hyperréaliste et des visions oniriques et abstraites, impliquées par cette même objectivité. Sur les cinq continents, Andreas Gursky photographie inlassablement les lieux emblématiques du monde contemporain et en montre toutes les ambivalences. Un monde de la globalisation et des échanges. Du règne des réseaux et de la vitesse. De la déshumanisation et de la standardisation du quotidien – avec l’angoisse de l’éternel retour du même, résonnant avec les mythes antiques des suppliciés. Des instants de vide, coupés de tout affairement, sur lesquels l’homme de notre temps semble ne plus avoir prise : le défilement d’un paysage, au cours d’un transport mécanisé, où l’œil habituellement vacille face à ce temps non rentabilisé (en ce sens, les photographiques d’Andreas Gursky invitent à un nouveau rapport, à une nouvelle conscience du monde). De là, des photographies monumentales, saturées par les couleurs et les détails d’un monde grouillant, aux courbes géométriques, droites et anguleuses, entre le flou du bougé et le vertige de la répétition uniformisée et du même. Ambivalences entre proliférations de la vie et de la maladie. Entre manifestations de masses et extrême individualisation. Entre organismes urbains surpeuplés et surconstruits, et espaces de friches urbaines, de jachères. Entre monumentalités et fractures. Entre spectacles grandioses à l’éclat d’or et précipices de l’anonyme.
Les œuvres photographiques d’Andreas Gursky sont parmi les plus chères du monde. Son cliché le plus célèbre, 99 Cent II Diptych a été vendu pour plus de trois millions de dollars à Londres chez Sotheby’s en 2007. Tout récemment, en novembre dernier, il a fait de nouveau beaucoup parler de lui lors d’une vente aux enchères chez Christie’s à New York, où sa photographie Rhein II a été adjugée pour plus de quatre millions de dollars. Des sommes monumentales – comme les paysages proposés par son objectif. Ce qui pose de façon tout à fait spectaculaire et extrême une problématique inhérente à l’art photographique, par essence intégré à un processus de « reproductibilité technique ». Comment est-il possible de donner à un cliché photographique une valeur marchande, sachant qu’il peut être tiré à autant d’exemplaires qu’il est possible de le souhaiter ? Par une signature, un parafe, un tirage ou une édition particulières ou limitées ? Cela a-t-il encore un sens ? Nous retrouvons, ici, les questions et polémiques des débuts de la photographie soulevées dès le XIXème siècle.