Paul Graham multiplie les voyages entre le Royaume-Uni et les États-Unis avec la volonté de se colleter sans concession avec la complexité du réel. Cette méthode qui privilégie la pluralité des mondes et des perspectives crée de fait – par delà les différences géographiques – un questionnement constant sur les possibilités et les pouvoirs de la photographie et de ce qu’elle narre.
Contrairement à beaucoup de créateurs stériles Paul Graham ne cherche pas à brouiller les pistes. Ses travaux sont inscrits dans le réel. L’artiste en perçoit la complexité et l’ambigüité tout en réduisant ses prises à des faits « objectifs ». Il fait donc bien plus que de jouer sur la dichotomie documentaire et fiction. L’œuvre s’organise en dépassant tout moralisme comme tout penchant « art pour l’art ». Il réduit au passé la fameuse distinction de Jean-Luc Godard entre « image juste » et « juste une image ».
L’œuvre cultive de fait l’anabase – notion qui désigne une forme de déplacement circulaire. À la fois errance vers le nouveau et retour vers chez soi, cette figure chez Paul Graham crée une œuvre d’une double ambigüité temporelle et géographique qui se double elle-même entre l’immuable et le passager. Dans de telles photographies de sommeil et de crépuscule l’artiste suggère toujours un inachèvement du monde. Inachèvement programmé selon une perfection formelle en quête d’une impossible clarté.
© Paul Graham, série: New Europe
Le seul reproche qui peut être concédé à Paul Graham est la perfection… Contrairement à certains créateurs qui se replient sur une homogénéisation formelle, thématique voire géographique, l’anglais cultive une hétérogénéité qui néanmoins ne part pas en tout sens. Le photographe préfère les précarités et les imprévisibilités de situations vulnérables ou processuelles à la certitude d’une stabilité réconfortante. S’y cristallisent des « narrations » parfois improbables parfois simples mais toujours surprenantes sans que l’aspect sensationnel ne soit cultivé. La sidération ne passe plus par la fascination béante mais en transformant l’émotion du réel en cérémonie secrète.