Interview de Lise Stoufflet par Marine Herve le 4 avril 2013
À travers des images énigmatiques qui surprennent et déstabilisent, les peintures de Lise Stoufflet nous transportent dans un univers qu’elle qualifie elle-même « d’une coquette laideur, ou salement charmant ». Bien que les thèmes abordés dans son travail soient perceptibles (l’enfance, les animaux), c’est dans la métaphore qu’elle les traite. Son univers fait appel aux souvenirs et à l’intime, mais elle ne cherche pas à se raconter. Elle laisse le spectateur donner sa propre interprétation aux oeuvres. Libre à nous de faire appel à nos émotions, nos souvenirs et parfois même nos angoisses car c’est à travers notre vécu que nous allons trouver un sens à l’image.
Pour Lise Stoufflet, trop expliquer, c’est fermer le sens. Et c’est ce point de non-dit qui l’intéresse. Fascinée par la psychanalyse, l’inconscient et le rêve, ce qui motive Lise Stoufflet c’est la notion d’inconscient collectif. Si son travail nous touche c’est parce qu’il interroge notre propre histoire, mais au-delà de ça, l’histoire de tous. Ou comment lier l’intime à l’universel.
Pour Boum! Bang!, Lise se prête au jeu de l’interview.
B!B!: Lise, peux-tu me raconter ton parcours?
Lise: J’ai commencé à dessiner, comme tout le monde: jeune. Puis j’ai continué quand j’ai compris que c’était la première chose dont on me disait douée, ou meilleure que ma grande soeur. Plus tard, j’ai réalisé que je pouvais tenter d’y consacrer ma vie; donc j’ai plongé. J’ai fait une école préparatoire et je suis rentré aux Beaux-Arts de Paris il y a 4 ans. Bonheur.
B!B!: Quelles sont tes sources d’inspiration?
Lise: Mes sources d’inspiration… un peu tout: la vie, les gens. Je ne sais pas si on peut parler en terme de « sources d’inspiration », il y a des périodes où certaines choses m’intéressent ou m’intriguent disons. Ces derniers temps, je suis fascinée par tout ce qui se rapproche du mythe de l’inconscient: de l’inconscient collectif, à l’analyse de rêves, des névroses aux complications d’oedipe en tous genres. Je m’intéresse aussi à l’idée du besoin humain de ritualiser les choses: les rituels et manies personnelles qui servent à se rassurer ou les cérémonies religieuses, sectaires et communautaires que j’essaie de regarder avec distance. Les éléments récurrents dans mon travail sont souvent des objets ou situations qui ont un pouvoir d’étrangeté, « Unheimlich », qui déstabilisent mais subtilement. C’est ce que je cherche avant tout: le moment où on n’est pas tout à fait sûr du sens de ce que l’on voit, où on veut comprendre, mais que l’on n’a pas toutes les clefs, alors on est obligé d’inventer la fin de l’histoire.
B!B!: Certains thèmes apparaissent avec récurrence dans ton travail. Le thème de l’enfance, ou encore celui des animaux. Une explication?
Lise: Le monde de l’enfance apparait souvent en filigrane dans mes oeuvres. Je ne sais pas trop à quel âge on passe de l’enfance à l’âge adulte, ou tout simplement quand on en sort. Les enfants me semblent fascinants, étranges, géniaux et cruels. J’aime bien les paradoxes; un enfant est tiraillé par des sentiments opposés: les pulsions sexuelles, l’innocence, la cruauté, l’amour, la haine de ses parents. Je réinterroge quand je me revois emprisonner des coccinelles dans mes polypockets , ligoter mon chat, être convaincu que mon père quittera ma mère pour moi… une enfant normale quoi.
La question de la présence récurrente des animaux on me la pose aussi souvent. Je crois que les animaux, leurs images du moins, ont un fort pouvoir mystique et onirique. Ce sont des êtres vivants mais autres. Cependant on ne cesse de se voir en eux, on peut leur trouver des caractéristiques humaines, et en parallèle ils nous renvoient aussi à notre propre animalité. Le rapport homme/animal m’intrigue par sa complexité, son ambiguïté. On peut les aimer follement et les manger… Dans ce cas, on ne sait pas vraiment dire qui est le plus bestial. De plus la symbolique animalière est très riche, la représentation de certains d’entre eux renvoie directement à d’autres images métaphoriquement liées. En fait, c’est passionnant.
B!B!: Ces « gants-animaux » présents dans « Twins » et « Mmmeditation » sont très intriguants, que représentent-ils?
Lise: La bonne explication c’est celle que vous vous faites. Si les « gants-animaux » vous intriguent c’est très bien, d’ailleurs moi aussi je me demande ce que cela veut bien dire. Quand je regarde mes dessins, j’aime bien me raconter ce qu’il s’y passe, mais ça peut changer à chaque fois. La vraie histoire personne ne la connait, enfin elle est propre à chacun. Ces « gants-animaux » je crois qu’ils peuvent raconter plein de chose, j’imagine que je les aime bien pour ça.
B!B!: De quelle manière travailles-tu?
Lise: J’aime travailler le matin, ou plutôt, je travaille mieux le matin, ou plutôt, le matin je suis insomniaque alors je me lève tôt. Je pars souvent d’images, mais pas toujours. J’ai l’idée de départ, sachant que le résultat sera bien souvent assez éloigné. Ça ne me dérange pas, en fait j’aime bien les surprises. Je cherche à créer un sentiment, alors je jongle avec la composition, parfois la symbolique qu’apporte un élément. Les gens ont peur quand ils ne comprennent pas, mais c’est ce point que j’aime atteindre. Quand on a l’impression de savoir, mais en fait non. Aussi, je commence toujours plein de trucs en même temps, parce que j’angoisse à l’idée de ne rien avoir à faire. Je me refuse à finir un travail si je n’ai rien à poursuivre derrière. Je suis souvent un peu dispersée, éparpillée. Je travaille salement, je suis maladroite et peu ordonnée mais le miracle est que j’arrive à épargner mes œuvres qui restent propres, et méticuleuses.
B!B!: Quels projets sont à venir?
Lise: Les projets qui me tiennent à cœur; à venir ou plutôt en cours sont deux projets de petites éditions: le premier où je me suis donné le but de faire une analyse dessinée de témoignages de rêves, en me basant sur des « dictionnaires de rêves » de sources un peu vaseuses. Le second est une collaboration avec un ami artiste/poète. On travaille depuis longtemps sur un petit livre mettant en parallèle son texte et mes images. En même temps je continue les dessins et les peintures. Je termine un grand dessin pour la foire de dessin Ddessin [13] où j’expose à Paris en avril 2013.
B!B!: Les chroniqueurs de Boum! Bang! ont pour habitude de terminer leurs interviews par une sélection de questions inspirées du questionnaire de Proust. En voici quelques-unes librement adaptées:
B!B!: À part toi-même qui voudrais-tu être?
Lise: Il y a pas mal d’artistes que j’admire, mais je ne sais pas si je voudrais être eux. J’aime bien les personnages de femmes un peu impressionnantes, une icône du féminisme ou une femme libre et indépendante.
B!B!: La couleur que tu préfères?
Lise: C’est difficile de répondre à cette question quand on fait de la peinture. Je resterais des heures devant un ciel qui rosie à la fin du jour. Je suis émue par le vert d’une pelouse bien grasse, le fameux bleu Klein aux ondes légèrement violacées, le rouge d’un fruit d’été, le beige d’une peau lisse, le jaune pâle d’une crème au citron, le noir du goudron, le bleu Power Rangers, la couleur des groseilles traversée par le soleil, les couleurs pastels à côté de couleurs profondes.
B!B!: Tes poètes préférés?
Lise: Je ne vais pas être originale mais je dirais Rimbault, Artaud, Nerval.
B!B!: Tes artistes préférés?
Lise: Ceux qui me viennent et sans aucune espèce de classement; Michaël Borremans, Markus Schinwald, Pierre Klossowski, Rubens, Oda Jaune, Mika Rottenberg, Léopold Rabus, Néo Rauch, Kiki Smith, Marcel Dzama, Matthew Barney, Jorg Lözek, Hernan Bas… et plein plein d’autres que j’oublie.
B!B!: Le don de la nature que tu voudrais avoir?
Lise: Voler m’a toujours semblé sympa mais ça ne sert à rien. Donc si j’avais vraiment le choix je dirais une sensibilité supérieure, ou l’omniscience.
B!B!: Ta devise?
Lise: Je ne trouve pas, je cherche.
B!B!: Si je te dis « Boum! Bang! »?
Lise: Boum Bang ce serait le bruit de la fin du monde: après le Big Bang, le Boum Bang.