Léopold Rabus est un parfait iconoclaste. Dans la vidéo « L’eau du guide » des poules empaillées sont mises en scène selon un rituel étrange auquel préside un guide prophétique, mi religieux, mi païen. La voix off d’un gallinacé évoque son goût pour ce fumeux maître spirituel hirsute. Mais la vidéo souligne la beauté des paysages et leur majesté. Elle s’exclue de la simple parodie en portant vers une fiction décalée. L’artiste belge traite la métaphysique selon une éthique et une esthétique particulières: il met à mal la puissance charismatique et eucharistique des gourous et l’« innocence » coupable des fidèles en les métamorphosant par le gallinacé (qui plus est empaillé) réputé pour sa bêtise. Peintures et vidéos créent une méthode critique qui oblige à repenser le réel et tous ceux qui nous plongent dans le chaos par l’exercice de leur volonté et – sans doute – de notre faiblesse. L’œuvre devient donc l’expression directe d’un instinct de survie. Elle donne forme au fond le plus profond du sans fond pour que passe l’envie de ne plus penser. Elle est un paradoxal appel à la lucidité jusque dans les techniques choisies par l’artiste: peintures à l’encaustique, travaux utilisant les cheveux…, transforment en ce qu’il y a de plus inattendu, de plus particulier afin de créer un monde étrange mais au charme puissant.
En dépit de ses « iconoclasties » celui qui voue un culte à Goya, à Ingres et aux préraphaélites anglais revendique sa place dans « la peinture peinture ». Mais chez lui en surgissent des humanités déformées, des silhouettes souffreteuses, cadavériques dans un univers aux perspectives multiples, au milieu d’un décor hors de l’espace et du temps.
© Léopold Rabus, Souvenir de Paques, huile sur toile, 240×300 cm, 2013
© Léopold Rabus, Le déroulement de l’année, huile sur toile, 200×300 cm, 2013
© Léopold Rabus, Deux pêcheurs, huile sur toile, 240×300 cm, 2013
Léopold Rabus, Arbres protégés du froid, huile sur toile, 220×260 cm, 2013 © Collection Particulière
© Léopold Rabus, Puisatier à l’ouvrage, huile sur toile, 95×75 cm, 2013
Léopold Rabus, Le chasseur, huile sur toile, 240×300 cm, 2012 © Collection Particulière
Léopold Rabus, Clair de lune, huile sur toile, 290×260 cm, 2012 © Collection Particulière
© Léopold Rabus, Femme avec un canari, huile sur toile, 260×240 cm, 2012
Par la précision du trait, la puissance scénographique des œuvres possède une rare force. Le spectateur pénètre un monde cauchemardesque. Les personnages – glanés dans des photographies familiales ou ailleurs – deviennent les moteurs d’un travail de mémorisation mis au service d’un imaginaire hors de ses gonds. Dans « L’homme aux gros doigts dans ma maison » il « s’amuse » à représenter le corps d’un nain atrophié avec le visage bien réel d’un fils de ses amis… Plus l’image se rapproche – figurativement – du réel, plus elle en devient « distante » par l’absurdité qu’elle génère. La peinture provoque en conséquence un goût de la contemplation. Comme l’enfant qu’il fut, – et qui s’enfouissait dans l’humus et les feuilles aspirant de tout son cœur le bonheur d’une mort végétale – Léopold Rabus renonce à tout pouvoir si ce n’est celui de décliner l’espace et le temps chargés des alluvions de son histoire et de celle du monde, de ses mythes, de ses souvenirs et de ses songes.