Plaques d’acier recouvertes de plâtre et filasses, la structure tubulaire imaginée par les architectes-scénographes Jacob et Brendan MacFarlane pour les Maîtres du désordre est un reptile qui ingurgite le spectateur. Pour cette nouvelle exposition le Musée du quai Branly invoque chamanes et esprits. Un voyage initiatique pour le visiteur qui pénètre dans le ventre étrange et étranger de cette structure/créature. Son grand ordonnateur, Jean de Loisy, à qui l’on doit (entre autres) des expositions comme la Monumenta d’Anish Kapoor au Grand Palais (2011) ou Traces du sacré au Centre Pompidou (2008) et accessoirement directeur du Palais de Tokyo, n’a pas suivi de méthode ethnographique stricte. Bien au contraire, 300 objets d’époques et de sociétés diverses se côtoient dans ce désordre hypnotique et fantastique.
On y observe – peut-être est-on l’observé? – un masque Tomatik inuit (Faiseur de vent), des poupées de transformation, des amulettes; plus loin, on sourit devant les plumes et les paillettes de Jean-Luc Verna. Autant d’objets qui nous rappellent que l’équilibre du monde est fragile. Entre ordre et désordre, destruction et création, dieux et démons se livrent une lutte constante dans les cosmologies de nombreuses cultures. On peut les entendre les cris des possédés et des chamanes en transe. Et justement, parlons du chamane. Cet intercesseur, ce passeur de limites qui lie le monde des morts et celui des vivants, permet de nous concilier les esprits et autres puissances occultes. En Corée, c’est une femme, la Mudang, que l’on peut se représenter dansant et faisant virevolter les morceaux de tissus de son costume bigarré. De la Sibérie aux Etats-Unis en passant par Bali, chacun a son intercesseur. L’art contemporain n’y échappe pas. Annette Messager et son ex-voto monumental figure le réseau sanguin d’un corps fantasmagorique, fragmenté. Une façon de nous approprier ce qui nous terrifie comme l’intérieur du corps.
Et une fois initié, nous pouvons laisser le désordre s’installer. Fêtes des fous, bacchanales au formes diverses de catharsis collectives constituent la dernière étape de ce voyage. Ces débordements tolérés sont surtout le moyen d’échapper à un réel trop pesant comme le montre l’œuvre-vidéo, Pulse (2011) de Stephen Dear. Chaque année, durant une semaine à Mathura (Inde) les différences entre les castes éclatent. Des jours et des nuits durant lesquels enfants et adultes se jettent des couleurs éclatantes sous formes de pigments dans les rues de la ville. Œuvres contemporaines et objets anthropologiques se répondent dans cette exposition. Indien, africain, amérindien ou français, l’homme contemporain cherche la bienveillance des dieux pour que sa vie soit plus douce. Gri-gris, sacs talismaniques ou poupées en sont les témoins. Plus que de simples analogies, il s’agit ici de correspondances. L’Exu de Jean-Michel Basquiat côte à côte de la statuette d’Exu (dieu des voyageurs) vient rappeler que l’artiste était emprunt de culture vaudou et que lui aussi cherchait très certainement à se concilier les dieux.
L’exposition Les Maîtres du désordre se tient au Musée du quai Branly jusqu’au dimanche 29 juillet 2012.
Musée du quai Branly
37, quai Branly
75007 Paris
Tél : 01 56 61 70 00