Un entretien Boum! Bang! 

On aurait pu croire à une oeuvre d’art vivante mais c’est plutôt une comète, avec la plus belle âme qui soit au-dedans qui nous attendait à une petite table de bistrot parisien. Dandy espiègle et atemporel, Jean-Luc Verna dessine: ses œuvres sont présentes dans les plus grandes collections et musées du monde. Une voix, un regard, un corps; il est aussi performeur, chanteur, acteur. Encore un qui, tel un ange guerrier, « stepped out of the ring » comme disait Nan Goldin. Un jusqu’au boutiste mêlé à un nouveau genre de Grazia Raphaëlesque. Une rencontre pleine de force et de poésie. Voici ce qui s’est dit cet après-midi là au bar de l’Etoile Manquante à Paris.

Jean-Luc Verna, portrait Jean-Luc Verna, portrait © Enguerran Ouvray

Jean-Luc Verna: Je suis arrivé à Paris il y a 9 ans. J’ai quitté Nice, ma ville natale, parce qu’une forte population à la mentalité fasciste finissait de m’oppresser, de littéralement me casser les dents. J’ai quitté ma famille réac’, conservatrice et « average » très vite. De toute façon ils me considéraient comme perdu. Et puis Paris… la capitale, mon réseau, une famille de cœur et les gens avec lesquels je travaille sont tous là: musiciens, chorégraphes et galeristes. Mes seuls bons souvenirs de Nice sont mes études à la Villa Arson. Des années de maïeutique où nous étions tous soudés, en échange et émulation permanents. Une véritable serre à talents, nous étions à la fois ivres de nous-mêmes et pleins d’interrogations. C’était la fin des années 80’, début 90’, ils y avait Jean-Luc Blanc, Tatiana Trouvé… À l’époque ce n’était pas un ramassis de Bobos!

Jean-Luc Verna, VirguleJean-Luc Verna, Virgule, transfert sur bois rehaussé de pierre noire et de crayon de couleur, guirlande composée, bois 90×60 cm, assemblage 160x25x20 cm, 2011 © Courtesy Galerie Air de Paris
Jean-Luc Verna, GuillotineJean-Luc Verna, Guillotine, transfert sur papier ancien rehaussé de crayon de couleur, 45×56,4 cm, 2013 © Courtesy Galerie Air de Paris

Mes parents auraient voulu que je sois dans le tourisme pensant que tous les homos faisaient carrière dans le monde de l’hôtellerie, des trucs comme ça. Ils ont toujours su que j’étais homo mais aussi réac’ à leur mentalité et style de vie et je suis vite devenu incontrôlable. J’ai plongé dans une vie alternative faite de musique punk, de drogues, de sexe et je suis parti vivre avec la femme que j’aimais. C’est une autre époque, une autre histoire. Aujourd’hui j’en garde les souvenirs et le « V » sur l’épaule, première lettre de son prénom et mon premier tatouage, j’avais 16 ans. Le tatouage ne ma jamais lassé ni quittée, je n’ai jamais eu aucun regret même si la société, les « autres » ont encore tendance à dénigrer et juger cette pratique. J’ai quitté ma place de prof de dessin à la Villa Arson il y a deux ans. Depuis septembre je donne des cours deux fois par mois aux Beaux-Arts de Poitier. J’enseigne depuis 20 ans. Il y a bien sûr le coté pécuniaire mais ça permet une remise en question perpétuelle face à la nouvelle génération. Je trouve ça beau de voir et passer à mon tour cette dimension maïeutique, de donner confiance à ceux qui passent par des stades que j’ai connu, les aider à focaliser leur art.

Jean-Luc Verna, PuramourJean-Luc Verna, Puramour, transfert sur papier ancien rehaussé de crayon de couleur, feutre gel et bic gel, 56,2×45 cm, 2013 © Courtesy Galerie Air de Paris
Jean-Luc Verna, ParamourJean-Luc Verna, Paramour, transfert de dessin sur BA13 monté sur bois, rehaussé de crayon, de pierre noire, de peinture et de strass Swarovski, ø300 cm, 2012 © Courtesy Galerie Air de Paris
Jean-Luc Verna, La mauvaise humeurJean-Luc Verna, La mauvaise humeur, transfert sur papier ancien rehaussé de crayons, de fard, 42,9×34,2 cm, 2006 © Courtesy Galerie Air de Paris

Je suis d’une « matière » masculine mais enveloppé comme une fille à bien des titres. Je hais les icones sur papier glacé de Têtu magazine. Il n’empêche que je suis complètement accro à l’utilisation de mon corps. Je fais du sport, suis des régimes, la chirurgie et les tatouages sont dans cette même logique de contrôle et de pouvoir sur mon enveloppe externe. C’est un véritable chantier pour continuer à être stimulant pour soi-même, s’aimer malgré le temps qui passe. Et c’est bien connu: pour plaire aux autres il faut se plaire à soi. Mais quelle bataille car mon mode de vie idéal serait de rester à dessiner dans un canapé avec un paquet de gâteaux à portée de main.

J’ai toujours dessiné même si ce n’est pas le médium artistique le plus valorisé. Ma technique consiste à tuer le dessin pour le faire vivre autrement. Je le mets à mort et le réanime, comme mon visage ou mon corps avec le maquillage et les tatouages. Je dessine, décalque, photocopie et transfère les motifs au triclo’ sur différents supports qui me plaisent et me passent sous la main. À la fin de ce procédé-rituel, je les rehausse  avec quelques couleurs ou la pierre noire. Ce travail de copie, de décalquage, médium honnit par l’omerta technico-artistique est aussi en relation avec la technique du tatouage que je fais appliquer à mon corps. Bien sûr, on peut faire une lecture de mon travail purement autobiographique, c’est inévitable! Le quotidien, le banal comme l’extraordinaire, passent par le prisme de l’artiste, son esprit, ses mains. Je regarde peu le dessin contemporain. Quoi de plus daté que la modernité! En revanche je me tourne avec respect et bonheur vers Ingres, Degas, Moreau, Kubin, Rops…  Je ne suis pas un grand artiste, mais je pense être un bon artiste, au final il n’y en a pas tant que ça. D’un point de vue iconographique j’exploite l’imagerie religieuse et la réinterprète. Je ne cherche pas à provoquer mais ce sont mes idéaux, il y a forcément du blasphème car je suis complètement en réaction avec ce milieu judéo-chrétien obtus d’où je viens hélas. La Vie, Eros et Thanatos planent souvent dans mes compositions. Quant aux clowns, c’est moi, c’est nous… On est tous un peu des Freaks!

Jean-Luc Verna, Creepy CrawlerJean-Luc Verna, Creepy Crawler, transfert sur papier ancien rehaussé de crayon de couleur, 45,6×45 cm, 2013 © Courtesy Galerie Air de Paris
Jean-Luc Verna, Notre Dame des Pissing HorsesJean-Luc Verna, Notre Dame de Pissing Horses, transfert sur papier ancien rehaussé de crayons, de pastel sec et de fard, 74×51 cm, 2006 © Courtesy Galerie Air de Paris
Jean-Luc Verna, Notre Dame de Pissing HorsesJean-Luc Verna, Notre Dame de Pissing Horses, transfert sur papier ancien rehaussé de crayon de couleur et de fard, 56,2×45,2 cm, 2013 © Courtesy Galerie Air de Paris
Jean-Luc Verna, Suzanne Janet PreaultJean-Luc Verna, Suzanne Janet Preault, transfert sur papier ancien rehaussé de crayon de couleur, pastel gras et fard, 45×43,5 cm, 2011 © Courtesy Galerie Air de Paris

Je suis sobre depuis bientôt 10 ans, je m’en suis sorti seul, mais comme j’ai été polytoxicomane, je suis un artiste polymorphe, et ça ce n’est pas prêt de s’arrêter! Je performe avec et pour les autres. J’ai toujours été fasciné par la mise en scène, la scène, les performances. L’adrénaline est la plus dure des drogues: la scène, le trac, la peur de l’échec, la réussite, la joie du groupe… L’art est une drogue! Que ce soit pour les artistes qui ne peuvent s’empêcher de créer mais surtout pour ceux qui spéculent. C’est le grand Luna Parc de l’art contemporain, il n’y a qu’à voir la FIAC! Il faut tant que possible résister, rester fidèle à ses idées, créer, l’art est intrinsèquement inestimable! Je ne suis pas des plus optimiste concernant l’avenir du monde, difficile de ne pas s’apercevoir que ça va de mal en pis. Mais personnellement je n’ai pas à me plaindre, je suis heureux de la parution récente de ma monographie chez Flammarion. Je continue à performeur avec mon groupe I Apologize et travaille toujours avec la chorégraphe Gisèle Vienne pour une apparition dans le « Sacre du printemps » à Munich en 2017. Je continue à écrire ma vie et pratiquer mon art, c’est là mon bonheur.

Jean-Luc Verna, KourosJean-Luc Verna, Kouros, d’après le Kouros d’Agrigente, Grèce v. 500 av. J-C, tirage noir et blanc baryté Prestige, 120×160 cm, 2011 © Courtesy Galerie Air de Paris
Jean-Luc Verna, ApollonJean-Luc Verna, Apollon, d’après « Apollon et Marsyas » de José De Ribera, 1637, tirage noir et blanc baryté Prestige, 120×160 cm, 2011 © Courtesy Galerie Air de Paris

B!B!: Pour finir, nous avons l’habitude chez Boum! Bang! de terminer nos entrevues par une sélection de questions librement inspirées du questionnaire de Proust.

B!B!: Si tu étais un pays?

Jean-Luc Verna: La France mais au mieux de ce qu’elle pourrait être, donc pas la France actuelle!

B!B!: Un mets?

Jean-Luc Verna: Un énorme gâteau!

B!B!: Une pratique sexuelle?

Jean-Luc Verna: Le baiser.

B!B!: Un animal?

Jean-Luc Verna: Un serpent, un python royal. Pour l’anecdote, j’avais une peur phobique des serpents mais j’ai dû un jour poser avec. Jusqu’au bout je me suis dis que je ne pourrais pas le faire et puis ça a été une révélation. Un gros serpent est hypnotique, lent, majestueux.

B!B!: Un défaut?

Jean-Luc Verna: La colère, je suis en colère.

B!B!: Une qualité?

Jean-Luc Verna: La fidélité.

B!B!: Une phobie?

Jean-Luc Verna: Les vers, les asticots.

B!B!: Une utopie?

Jean-Luc Verna: Un monde de tolérance et pour prendre le mal à la racine: un monde sans religion.

B!B!: Un personnage de fiction?

Jean-Luc Verna: La veuve noire dans X-men.

B!B!: Quelle serait ton épitaphe?

Jean-Luc Verna: Enfin!

B!B!: Quel serait ton dîner idéal si tu pouvais inviter qui tu voulais?

Jean-Luc Verna: Siouxsie Sioux, Marguerite Duras, Delphine Seyrig, Bernadette Lafont, Barbara, Janis Joplin, Joe Dallessandro, Tony Ward, Georges Bataille, Jean Genet.

B!B!: Si je te dis Boum! Bang!?

Jean-Luc Verna: Idéalement ça pourrait être le bruit que je ferais en partant!