Un entretien Boum! Bang!
Kamel Mennour se définit comme « un galeriste à l’ancienne », « un rat d’ateliers » ayant un besoin irrépressible de rencontrer les artistes, de voir leurs œuvres afin de les décrypter et les apprécier. À 46 ans, cet homme se disant allergique aux nouvelles technologies est pourtant plus que connecté au monde et pas seulement à celui de l’art.
B!B!: Comment définirais-tu la philosophie de la Galerie Kamel Mennour?
Kamel: L’idée directrice de la galerie, son ADN, c’est de créer un maillage, des interconnections entre des jeunes artistes très émergents que nous lançons et des artistes très consacrés. Je souhaite créer une émulation, un terreau favorable à la créativité et à la création en les mélangeant. Je suis contre les ghettos. À ce titre, mes artistes sont de toutes les nationalités mais celles-ci n’ont finalement pas d’importance. Cette même notion de nationalité n’a pas non plus de sens pour eux. Ils ont un univers, un territoire, mais pas de pays. De la même manière, je ne représente pas des artistes en fonction du mouvement auquel ils appartiennent car cette notion de courant n’existe plus non plus. Il n’y a plus d’école ou de courant comme il y avait il y a 50 ans l’école de Paris ou l’école de New York. Aujourd’hui, il y a surtout des aimants comme Berlin, mais pas parce qu’il s’y trouve une pensée, mais parce qu’il s’y trouve un environnement économique plus favorable. Et puis, de toutes les façons, s’il est un domaine où il n’existe pas de frontière c’est bien l’art.
B!B!: Comment es-tu devenu galeriste et comment devient-on galeriste en France aujourd’hui?
Kamel: Il y a eu une vraie part d’inconscience dans ce choix mais un besoin, une certitude avec tout ce que cela comporte d’anxiété. J’étais sûr de vouloir devenir galeriste malgré un parcours que je pourrais qualifier de singulier, de personnel, d’atypique et d’ingrat. En effet, je n’ai pas eu la chance d’être stagiaire d’un galeriste, je n’ai pas eu de mentor, je ne baignais pas dans l’art. J’ai effectué un parcours qui devait me mener vers un métier du commerce ou de la vente mais ce n’est pas le truc que je voulais faire, c’était une impasse et j’ai basculé par passion et par survie vers l’art. Je devais être galeriste sans le savoir. C’est sûrement pour cette raison que j’aime autant la transmission, qu’il s’agisse de présenter un artiste à des professionnels qu’une exposition à des enfants. J’aime plus que tout observer ce que les gens voient, leur regard.
Aujourd’hui, je pense que quelqu’un qui veut devenir galeriste doit travailler comme les compagnons, se faire former en travaillant pour un galeriste afin de comprendre la réalité, rencontrer les artistes, se confronter à des situations. C’est vraiment ce que je suggérerais à une personne souhaitant débuter dans ce métier, un peu comme un jeune assistant avec un couturier. Moi, je n’ai pas fait comme ça, j’ai eu un autre parcours et j’ai peut-être perdu 10 ans. En effet, quand j’ai ouvert la galerie en 1999 j’avais 34 ans.
B!B!: Comment se font les rencontres entre artistes et galeristes? Finalement, qui choisit qui?
Kamel: Dans mon cas de figure, c’est toujours moi qui vais vers les artistes, je vais à leur rencontre parce que je connais leurs œuvres, leurs positions et que je sens qu’ensemble nous avons des choses à faire, à dire, à transmettre. Ensuite, l’artiste te suit ou non en fonction du projet d’accompagnement que tu lui proposes. En tous les cas, ce n’est pas une question de vente ou de contrat qui d’ailleurs n’existe plus comme à l’époque du marchand d’art Ambroise Vollard. Je représente actuellement une vingtaine d’artistes, autant de vrais choix et de positions que j’assume complètement. Ils me représentent et forment une ligne qui me définit. Certains partent, d’autres me rejoignent. Cette ligne s’élague au fur et à mesure et se construit comme moi, cela fait partie de l’évolution des choses. Quand on regarde cette ligne, c’est un portrait de qui je suis, cela raconte mes questions, mes obsessions. Ainsi, la galerie était différente il y a dix ans, elle sera certainement différente dans dix ans… Comme moi.
B!B!: Comment définirais-tu la relation entre un artiste et un galeriste?
Kamel: Passionnelle, frictionnelle, tumultueuse, et surtout hors norme car le monde de l’art et l’art ne sont pas normés. C’est avant tout de l’humain, du cas par cas. C’est un peu de la chirurgie, de la haute couture, c’est un peu comme une relation amoureuse. L’artiste a besoin de sentir qu’il est aimé, soutenu, défendu. Après 12 ans, tu apprends à gérer tout ça. Aujourd’hui, ce n’est pas comme il y a 50 ans, il n’y a plus de contrat qui unit un artiste à son galeriste. Ce n’est que de l’affect. Ainsi, lorsqu’un artiste quitte son galeriste c’est vécu comme une rupture. Il faut donc retirer l’affect de se travail, prendre de la distance avec cet affect. Aujourd’hui, j’ai plus de maturité par rapport à tout ça.
B!B!: Quel est l’artiste que tu aimerais faire découvrir aux lecteurs de Boum! Bang! ?
Kamel: En ce moment, nous exposons un ensemble d’œuvres de l’artiste israélienne Sigalit Landau qui représentait son pays à la dernière Biennale de Venise. Un premier espace divisé en deux salles montre trois vidéos dans lesquelles l’artiste nous compte une sorte de fable se déroulant dans l’oliveraie d’un kibboutz. Elle utilise ses fruits récoltés à l’aide de grands bâtons, de machines et de filets pour créer une œuvre esthétique et violente tout en tissant une métaphore autour des notions de déracinement, d’exode, de privation et d’enfermement. Nous exposons également une série de photographies que l’artiste a réalisée dans le cadre du même projet et montrant des ramasseurs menaçants face aux arbres dont les branchages sont transpercés par un soleil incroyable, presque divin. Un deuxième espace est consacré à ses sculptures. Réalisées en marbre, elles reprennent les formes des longs oreillers servant aux jeunes mamans pour allaiter leur bébé. Elles sont placées sur un socle hommage à Brancusi qui comme Sigalit Landau a des origines roumaines.
B!B!: Quels artistes aimerais-tu représenter?
Kamel: Il y en a évidemment mais la concurrence entre les galeries m’oblige à ne pas te répondre. Mais je te rassure, c’est une concurrence très courtoise, une sorte de « gentlemen’s agreement » et puis nous ne sommes pas tant que ça sur le marché…
B!B!: Comment a été perçue et accueillie Monumenta 2012 ?
Kamel: Très bien. Daniel Buren passait après un Everest. Il est vrai que la proposition d’Anish Kapoor était incroyablement brillante, pertinente, spectaculaire. C’était donc un vrai exercice de passer après… Même si Anish Kapoor et Daniel Buren sont très amis dans la vie. Daniel Buren a fait quelque chose de complètement opposé. Il a voulu créer une œuvre à dimension humaine interrogeant l’architecture présente dans ce lieu magnifique tout en interrogeant le climat. Il est parti de quelque chose d’existant: la coupole faites de cercles et de demi-cercles ainsi que de la géométrie arabe partant notamment du précepte que la juxtaposition de ronds et de demi ronds permet de créer un investissement intégral de l’espace. Il a ainsi élaboré une œuvre me faisant penser aux nymphéas.
B!B!: À l’occasion du vernissage de Monumenta 2012, le 9 mai 2012, vous avez reçu la visite de François Hollande, président fraîchement élu. Comment cela s’est-il passé?
Kamel: C’était sa première sortie culturelle. Les organisateurs de l’événement et Daniel Buren ont été prévenus une heure à l’avance, cette visite n’était absolument pas préparée. Cela a vraiment interpellé les gens. C’était drôle, c’était quelque chose. Ce qui m’a amusé c’est la réaction du public invité au vernissage, certains étaient contents de le voir, d’autres non… La politique ce n’est vraiment pas la même chose que l’art.
B!B!: Tu représentes Anish Kapoor dont nous avons pu admirer l’œuvre « Léviathan » l’année dernière au Grand Palais pendant Monumenta 2011. Beaucoup se demandent ce qu’elle est devenue.
Kamel: Il se dirait que le « Léviathan » a été vendu et que cette œuvre partirait pour le Brésil…
B!B!: Les chroniqueurs de Boum! Bang! ont pour habitude de terminer leurs interviews par une sélection de questions issues du questionnaire de Proust. En voici quelques unes librement adaptées:
B!B!: Quel est ton artiste favori?
Kamel: Tiepolo.
B!B!: Quel est le galeriste qui t’inspire le plus?
Kamel: Leo Castelli.
B!B!: La qualité que tu préfères chez un artiste?
Kamel: La fulgurance.
B!B!: Si tu étais un artiste, tu serais qui?
Kamel: Picasso.
B!B!: Si tu devais changer de métier, tu deviendrais?
Kamel: Footballeur / danseur étoile.
B!B!: Dans quel pays aimerais-tu ouvrir une seconde galerie?
Kamel: Aucun… Pour le moment.
B!B!: Quel artiste aurais-tu aimé rencontrer de son vivant?
Kamel: Egon Schiele.
B!B!: La qualité qui est la plus importante pour toi?
Kamel: La loyauté.
B!B!: Ta ville favorite?
Kamel: Paris.
B!B!: Ton principal défaut?
Kamel: Peut-être l’altruisme, dans le sens ou il faudrait que je pense un peu plus à moi.
B!B!: Ta devise?
Kamel: « Ce n’est pas grave ». Cela relativise plein de chose. J’aime bien cette idée de ne pas être dans la matérialité des choses.
B!B!: Et pour terminer, si je te dis Boum! Bang!, tu me dis?
Kamel: Je vais m’y mettre.
Galerie Kamel Mennour
47, rue Saint-André des Arts
75006 Paris
Du mardi au samedi de 11 h à 19 h
Exposition Sigalit Landau (vidéos, photographies et sculptures)
Jusqu’au 25 juillet 2012.
Artistes représentés: Roger Ballen – Mohamed Bourouissa – Marie Bovo – Daniel Buren – Latifa Echakhch – Dario Escobar – Michel François – Yona Friedman – Alberto Garcia-Alix – Johan Grimonprez – Camille Henrot – David Hominal – Alfredo Jaar – Anish Kapoor – Tadashi Kawamata – Sigalit Landau – Claude Lévêque – Pierre Malphettes – François Morellet – Martin Parr – Martial Raysse – Zineb Sedira – Miri Segal – Huang Yong Ping – Shen Yuan.
Un grand remerciement à Kamel Mennour, à Emma-Charlotte Gobry-Laurencin, à toute l’équipe de la Galerie Kamel Mennour et à Peggy Malmaison.