Roger Ballen cultive une esthétique de la monstruosité arrachée au quotidien. Ce dernier suffit aux débordements baroques. Francisco de Goya n’est pas loin mais selon une vision bien différente et selon un autre médium. Dans une suite de conflagration avec le réel la photographie propose une communion particulière aussi délétère et fascinante propre à créer une sorte d’avant-garde particulière où le surréalisme comme le vérisme sont relégués au magasin des antiquités. S’opposant à tout glamour la photographie fait un retour à la réalité de manière compulsive et délirante mais toujours tirée au cordeau et à quatre épingles. Les Parques y sont plus que blêmes et les mecs semblent sortis d’une cour des miracles qui rappelle le Bowery de Manhattan dans les années 60.
Demeure néanmoins une force juvénile et corrosive post-punk là où une extraordinaire dérision et un humour explosif tente de faire surgir le propulsif face au prostré, le viscéral sur le statuaire dans des suites d’itinéraires bis où flottent la névrose et de bien obscurs tourments. Le résultat est vertigineux: il pleut des cordes pour se pendre, le chanvre pousse. Bien des araignées sont dans la tête. Le metteur en scène patiente: ses « comédiens » se laissent dévorer tout cru non sans naïveté. Tous sont condamnés au strapontin mais restent toujours prêts à rêver à un accoudoir ou un dossier. Mais demeurent uniquement des murs au graphisme délirant, des étendues au parfum de désastre ou de chiottes, des culs de sac au clapotis sournois avec quelque chose de préhistorique. Exit les Marlene Dietrich ou les Katy Perry. Les femmes sont périssables. Et les hommes encore plus. Exit les buildings: restent les escaliers où se croisent des souris (sans queue de cheval).
© Roger Ballen, Eulogy, 2004
© Roger Ballen, Room of the ninja turtles, 2003
© Roger Ballen, Hanging pig, 2001
© Roger Ballen, Tommy, Samson and a mask, 2000
© Roger Ballen, Cat catcher, 1998
© Roger Ballen, Sergent F. de Bruin, 1992
© Roger Ballen, Dresie and Casie, 1993
© Roger Ballen, Five hands, 2006
© Roger Ballen, Head inside shirt, 2001
© Roger Ballen, Mimicry, 2005
Loin portant des contraintes naturalistes Roger Ballen ouvre le ventre du monde. Dans leur monstruosité ses portraits sont sublimés car ils magnifient la passion pour la photographie. Dans un dispositif continuel d’hybridation de beau et du laid l’artiste crée une œuvre au charme paradoxal dont l’héroïne et autres substances semblent être les prêtresses. La figuration est aussi monstrueuse que voluptueuse ou dolente. Les cadrages et la lumière créent des images ambiguës et déconcertantes. La technique qui préside à la prise de la « réalité » et la réalisation des photographies deviennent donc les moyens de plonger vers une nouvelle interrogation. Roger Ballen ne cherche pas à divertir au sein d’un spectacle de l’horreur mais à glisser le voyeur au cœur du monde multiculturel où les forces du mal s’incarnent de manière perverse et où tous les êtres semblent des petits soldats plombés. Restent une cruauté contre le supplice, une ivresse contre le rêve. La force de Roger Ballen est de faire passer ces messages comme une lettre à la poste.