Un entretien Boum! Bang!
Perchée sur les toits des immeubles de New York ou de Shanghai, Floriane de Lassée imagine et construit des clichés questionnant l’architecture de nos cités et notre place dans celle-ci. Cette jeune photographe pétillante de 35 ans nous parle de son travail, nous raconte d’où lui vient cette passion pour la ville et le voyage tout en évoquant ses débuts.
B!B! : Bonjour Floriane. Peux-tu te présenter et raconter aux lecteurs de Boum! Bang! le chemin qui t’a mené à la photographie?
Floriane: J’ai 35 ans. J’ai débuté mon parcours de photographe par des études de graphisme à l’ESAG Penninghen à Paris. J’ai ensuite été directrice artistique pendant deux ans pour une agence spécialisée dans l’événementiel. J’y travaillais sur tous les types de supports et je considère y avoir appris beaucoup sur le graphisme, la structure et la composition. Ensuite, je suis partie faire une année d’étude à la School of the International Center of Photography de New York. Je suis ensuite devenue assistante de certains professeurs de l’école, assistante de photographes journalistes, graphistes… Enfin 5 jobs à la fois comme tous les new-yorkais car je pensais que je ne pourrais jamais vivre de ma passion pour la photographie. J’ai remporté le grand prix étudiant du magasine américain de photographie Photo District News et j’ai été repérée par un galeriste qui m’a proposé de me représenter en France. Ensemble, nous avons organisé ma première exposition en 2004 alors que j’étais encore à New York et que je me voyais retourner en France en tant qu’assistante. Dès la première exposition, les photographies se sont bien vendues. À ma grande surprise, elles sont donc devenues ma principale activité et ma principale source de revenus.
B!B! :Comment décrirais-tu ton apprentissage de la photo?
Floriane: En 2004, j’ai réalisé une première série baptisée « Portraits » dans laquelle je décrivais des personnes en photographiant dans une composition carrée des « objets » qui leur tenaient à cœur et qu’ils consommaient. J’ai enchaîné avec la série « Supermarkets », puis « Les Bouches » et enfin « Abandoned », amas de poubelles de rues à New York ressemblant étrangement à des groupes d’individus. Chacune de ces séries tournaient systématiquement autour de la société de grande consommation. Tout en restant dans la même problématique, j’ai eu envie de prendre de l’altitude avec la série « Inside Views ». Lors de mes études à l’ICP (International Center of Photography) de New York, la fenêtre de ma chambre donnait sur un commissariat. J’ai observé ce qu’il s’y passait et c’est ainsi que sont nées toutes mes images « Inside Views », qui pour la plupart sont des vues depuis des toits donnant sur d’autres immeubles où se promènent des personnages empreints d’une certaine mélancolie. J’ai travaillé 8 ans sur cette série qui m’a fait voyager à travers le monde. J’y ai mis fin récemment mais je sais que je la reprendrai plus tard.
J’ai également rencontré beaucoup de personnes comparant mes photographies à des films comme « Blade Runner », « Lost in Translation », « Babel»… Des réalisateurs comme Cédric Klapisch ont aussi utilisé mes photos pour leur travail et je me suis dit qu’il fallait que je me penche sur ce sujet. Ma culture cinématographique était très courte, j’ai rattrapé ce retard et j’ai décidé à mon tour de m’inspirer de films mythiques. J’ai choisi de commencer par « The Shining » de Stanley Kubrick pour réaliser une première série portant le même nom.
B!B! : Le voyage est omniprésent dans ton travail, pourquoi?
Floriane: J’ai un père pilote, je pense que je tiens mon amour pour le voyage de lui. Mais j’ai aussi voyagé pour explorer. Je m’explique. À New York, j’ai commencé à m’intéresser à la ville et à envisager sa structure comme un véritable élément graphique. J’ai donc travaillé sur cette structure, sur l’architecture de la ville mais aussi sur des choses plus anecdotiques comme, par exemple, comment accède-t-on aux étages depuis l’extérieur, qu’est-ce qui se passe sur le toit, qu’est-ce qu’on y voit, qu’est-ce qui se passe dans les appartements de l’immeuble en face… De la curiosité en somme. Après New York, ma ville d’adoption et Paris, ma ville natale, j’ai eu envie de continuer la série ailleurs, beaucoup plus loin. Et j’ai choisi Shanghai.
B!B! : Comment se déroulent tes prises de vue ?
Floriane: Pour mes séries « Inside Views », je vais de jour visiter des lieux pour un premier repérage. J’en choisis un, je vois s’il est accessible et je fais mon cadrage avec un portable. Puis, j’y retourne de nuit, pour découvrir quelles seront les couleurs que j’obtiendrais le jour de la prise de vue. Parfois il faut emprunter les escaliers de service, demander des autorisations… Mais tous les moyens sont bons pour arriver sur place. Une fois que je « valide » l’endroit, je pose ma chambre photo 4X5. Auparavant, il faut aussi que je trouve la ou les personnes qui seront prêtes à poser pour moi dans l’immeuble en face. On se met d’accord, je leur explique mon travail, ma démarche et les gens sont en général assez réceptifs. J’installe dans la pièce où se déroulera l’action en face de moi, des flashs équipés de déclencheurs à infrarouge pour que tout se mette en route au bon moment. Je travaille avec un assistant qui se trouve alors dans cette pièce loin de moi. Et parfois, c’est moi qui joue les modèles. J’apparais ainsi dans plusieurs de mes photographies… À vous de deviner où !
B!B! : Pourrais-tu nous parler de ta dernière série « Inside Africa »? Comment a germé l’idée et comment cela s’est-il passé?
Floriane: Mon ami, Nicolas Henry, est également photographe et il avait très envie de partir en Afrique. De mon côté, je voulais faire une pause dans mes prises de vues nocturnes de mégalopoles. Nous avons donc décidé de nous mettre d’accord sur des lieux en Afrique qui nous intéressaient et nous sommes partis pendant 4 mois. Cela a d’ailleurs été très intéressant de travailler en parallèle avec lui, de voir à quel point deux photographes peuvent faire un travail différent avec le même équipement. Pour moi cela était comme tout recommencer, comme une page blanche, une sorte de deuxième chapitre photographique sur la nuit, sans la structure graphique de la ville. Pour cette série, j’ai décidé de raconter des histoires issues de légendes, de rites ou tout simplement de la vie des personnes que nous avons croisées. Pour mes mises en scène, il a donc fallu que j’apprenne à me passer des lumières de la ville et j’ai du installer de nombreux flashs pour éclairer la scène.
B!B! : Pourrais-tu également nous parler de ta série « How Much Can You Carry » que tu as également réalisée pendant ton séjour en Afrique et qui est très différente de tes « Inside Views »?
Floriane: Pendant nos trajets et nos préparatifs, nous croisions fréquemment sur la route des personnes portant des « choses » improbables sur leurs têtes: d’énormes morceaux de bois, une chaise, une table, du blé et par dessus, leurs enfants. L’idée est née de là, comme un hommage à ces porteurs de vie. J’ai voulu faire une série montrant ces personnes portant leur maison, leur vie sur la tête, en y ajoutant un côté ludique et sans tomber dans le misérabilisme. Comme il était impossible de les prendre en photo sur le vif, nous avons créé de petits studios pour ces passants, modèles de quelques minutes. Nous avons extrapolé et essayé d’empiler de plus en plus d’éléments différents sur leur tête, en exagérant la réalité.
B!B! : Si tu devais résumer ton travail a une seule photographie, ce serait laquelle?
Floriane: Série « Inside Views Istanbul – image 309 ».
B!B! :La série de photographies dont tu es la plus fière?
Floriane: « Inside Views/Inside Africa » et « Ciels de Seine ».
B!B! : Ton plus beau souvenir de prise de vue?
Floriane: « Himbas », une photographie de la série « Inside Africa ». On y voit un homme avec ses trois femmes et leurs trois maisons respectives. La tradition veut que le mari dorme avec chacune de ses trois femmes au moins une fois par semaine. Sur la photo, nous avons mis en scène un homme à l’air un peu perdu alors que ses trois femmes sont regroupées, soudées et rigolent de lui. Nous avons vraiment vécu dans cette tribu en Namibie, on était « inclus » dans leur vie, pas comme des touristes. Nous avons beaucoup échangé, appris… Nous nous sommes beaucoup donnés. Nous étions donc profondément tristes quand nous sommes partis. C’est un souvenir très fort.
B!B! : Les chroniqueurs de Boum! Bang! ont pour habitude de terminer leurs interviews par une sélection de questions issues du questionnaire de Proust. En voici quelques unes librement adaptées.
B!B! :Ton photographe préféré?
Floriane: Joel-Peter Witkin, Philip-Lorca diCorcia, Andreas Gursky et Georges Rousse.
B!B! : Quel photographe aurais-tu aimé croiser de son vivant?
Floriane: Man Ray.
B!B! : Ta couleur préférée?
Floriane: Le orange incontestablement.
B!B! : Le pays que tu préfères?
Floriane: La France.
B!B! : Le pays dans lequel tu voudrais débuter un nouveau projet?
Floriane: La Chine.
B!B! : Si tu devais changer de métier, tu te verrais faire quoi?
Floriane: Skieuse de haut niveau.
B!B! : En qui as tu le plus confiance?
Floriane: Ma mère, Gratiane de Lassée, et une de mes meilleures amies de New York, Marie Cortadelas.
B!B! : Le défaut que tu ne supportes pas chez quelqu’un?
Floriane: L’inconstance, le fait de changer d’avis tout le temps.
B!B! : Une exposition en cours que tu conseillerais aux lecteurs de Boum! Bang!?
Floriane: Les rencontres Internationales de la Photographie à Arles, à partir le 1er juillet… Ca fait 10 ans que j’y vais.
B!B! : Ta devise?
Floriane: « Il ne faut pas remettre au lendemain ce qu’on peut faire le jour-même. »
B!B! : Ton chanteur, ta chanteuse ou ton groupe de musique favori?
Floriane: Vanessa Chassaigne. Je trouve que ses chansons et mes photographies ont en commun une sorte de mélancolie très féminine.
B!B! : Et, dernière question, si je te dis Boum! Bang!, tu me dis:
Floriane: Jean-Charles de Castelbajac. C’est mon créateur préféré. Il est ludique, pop et ses créations sont un vrai voyage dans le temps et l’espace.