Joel-Peter Witkin, le dernier des classiques? Presqu’un demi-siècle que le photographe américain – né à New York en 1939 – nous livre une œuvre troublante. Troublante par le choix de ses sujets et par la constance avec laquelle l’artiste entretient un dialogue avec les autres arts. Ce dialogue fécond avec les maîtres, autour de thématiques récurrentes, prend ici tout son sens. Goya, Dürer, Rembrandt ou encore Beckman, autant d’artistes dont les œuvres, présentes dans la collection du département des Estampes et de la photographie, viennent s’inscrire en contrepoint des photographies de Witkin. Des gravures que le photographe a lui-même choisies, nous dévoilant une partie de son univers, de son « moi ».
D’abord un croyant, un convaincu en quête d’une fusion entre l’homme et le symbole, d’un lien avec l’infini. Un lien que le photographe rend possible en choisissant ses modèles ou plutôt ses « acteurs » parmi des êtres humains extra-ordinaires. Transsexuels avant opérations, victimes de la thalidomide et du sida, manchots, femmes à barbes. Des êtres qui possèdent un stigmate et qui tiennent une place à part dans la société , une place aux côtés des « élus ». Witkin les met en scène dans ses photographies. Sculptures d’albâtre au milieu de décors de toiles peintes et d’objets singuliers, qui adoptent des pauses à l’érotisation excessive. Ces corps, pour la pluspart mutilés ou abîmés sont transcendés sous l’objectif de Witkin. Terrible beauté qui nous pousse à faire l’expérience des limites de notre condition d’être humain et nous révèle notre « moi » profane. Ce moi dépourvu des codes moraux et religieux qui nous offre la possibilité d’une re-naissance. Une représentation de l’abjection que Baudelaire exaltait déjà dans les Fleurs du Mal avec son poème « Une charogne ». Joël-Peter Witkin s’inscrit dans cette tradition d’artistes qui souhaitent donner au mystère un aspect concret, quelque chose qu’on puisse expérimenter par les sens.