Un entretien Boum! Bang!

B!B!: Pour commencer, peux-tu expliquer ton parcours artistique aux lecteurs de Boum! Bang!?

Fanny: J’ai commencé à faire des photographies à l’âge de 16 ans. Après un bac cinéma, j’ai décidé de poursuivre dans cette voie en intégrant la section photographie de l’Université Paris 8 pendant 4 ans. Cette période, riche de recherches et d’enseignements s’est clôturée avec une résidence en Chine. Je suis ensuite partie vivre plusieurs mois en Argentine ou j’ai suivi des cours de photographie à l’École Andy Goldstein de Buenos Aires.

B!B!: Quelles ont été les répercussions de cette expérience argentine sur ton travail photographique?

Fanny: C’est sans doute durant cette période que la question d’une certaine universalité que je voulais laisser entrevoir dans mes photos s’est réellement posée. Photographier des gestes quotidiens que nous vivons tous.

B!B!: Comment choisis-tu tes modèles?

Fanny: Ce que je cherche à travers mes portraits, c’est représenter mes modèles dans tout ce qu’ils ont de plus « humain », de plus « réel ». Les lieux où ils sont photographiés, et les postures de leur corps mettent en avant le quotidien de ces scènes. La plupart du temps les gens que je photographie sont des proches ou des personnes que j’ai rencontrés et qui correspondent à ce que je recherche selon la série sur laquelle je travaille (artistes, couples, frères et sœurs…). Leur métier n’est pas d’être modèle. Ne souhaitant pas réduire leur représentation à des catégories sociales à travers des codes (vêtements, décors), j’essaye de les représenter sans les théâtraliser, dénués de tout rôle et toute fonction sociale, tels qu’ils sont. Souvent un peu gênés ou mal à l’aise, ne sachant trop comment se tenir devant l’objectif, ce qui m’intéresse alors chez eux, ce qui m’inspire pourrait-on dire, c’est une certaine fragilité dans cet instant de solitude. Ils n’ont pas une maîtrise professionnelle de leur image ou de leur corps face à l’objectif.

Fanny Begoin, Anaïs
© Fanny Begoin, Anaïs, série Lazy days
Fanny Begoin, Baptiste et Thomas
© Fanny Begoin, Baptiste et Thomas, série Lazy days
Fanny Begoin, Brian et Sunmengli
© Fanny Begoin, Brian et Sunmengli, série Lazy days
Fanny Begoin, Gaelle et Anne-Laure
© Fanny Begoin, Gaelle et Anne-Laure, série Lazy days
Fanny Begoin, Karima et Fanny
© Fanny Begoin, Karima et Fanny, série Lazy days
Fanny Begoin, Pablo et Elodie
© Fanny Begoin, Pablo et Elodie, série Lazy days
Fanny Begoin, Ling
© Fanny Begoin, Ling, série Lazy days
Fanny Begoin, Thomas
© Fanny Begoin, Thomas, série Lazy days
Fanny Begoin, Tom
© Fanny Begoin, Tom, série Lazy days

B!B!: Tu travailles sur la relation à l’espace et sur la notion d’habiter; est-ce que tes modèles sont photographiés dans leur propre environnement?

Fanny: Oui, je les photographie dans leur élément naturel, là où ils vivent. Ce sont des lieux privés, assez banals, qui sont plus ou moins mis en avant en fonction de la série sur laquelle je travaille. Il s’agit de leur espace personnel (ou leur lieu de passage), et chaque élément de leur intérieur parle aussi d’eux. Parfois il n’y a qu’un détail, un coin de radiateur, une table de chevet. Je travaille à l’argentique au format 6/6. Le format carré ne se construit pas, comme notre vision humaine, en longueur. Je cherche à mettre en avant le corps dans l’espace qu’il habite, mais aussi dans l’espace carré de ma photo, en jouant avec l’esthétique du quotidien et un sentiment de proximité avec les photographiés.

B!B!: Comment se passe la réalisation d’une photographie?

Fanny: Je donne rendez vous à mes modèles chez eux ou à leur atelier lorsque je réalise des portraits d’artistes. Lorsque je vais faire une prise de vue, je partage un moment avec celui, celle ou ceux que je photographie, prenant le temps de discuter avec eux de ma démarche photographique. Durant la prise de vue, je cherche à capter ce moment où mon modèle s’oublie, se dévoile un peu plus à travers la fragilité d’un moment de solitude. Continuer à travailler à l’argentique est important pour moi, et il s’inscrit dans ma quête d’images « empreintes » du banal. S’installe de ce fait lors de la prise de vue, une recherche patiente, minutieuse et perfectionniste de ce que je souhaite réaliser avec mon(mes) modèle(s). On ne peut pas à proprement parler de scènes de vies concernant mes photographies, il y a bien sûr une part de mise en scène. Mais j’aime à croire qu’elle devient presque ambiguë, que cette mise en scène pourrait ne pas en être une, qu’elle n’est finalement qu’une façon de rejouer le quotidien.

Fanny Begoin, Eve’s deal
© Fanny Begoin, Eve’s deal, série Diary
Fanny Begoin, Bread gun
© Fanny Begoin, Bread gun, série Diary
Fanny Begoin, Get ready for tonight
© Fanny Begoin, Get ready for tonight, série Diary
Fanny Begoin, Orange girl
© Fanny Begoin, Orange girl, série Diary

B!B!: Les portraits de ta série « Diary » sont très mystérieux. Peux-tu nous en dire plus à ce propos?

Fanny: Dans cette série, j’ai cherché à photographier des gestes quotidiens avec l’idée d’anonymat des photographiés: ne pas photographier pour identifier l’individu, mais plutôt photographier, avec un peu de fantaisie, des gestes de tous les jours visant à transformer mes modèles en personnages fictifs. Quand une posture du quotidien devient le temps suspendu d’une chorégraphie du banal.

Fanny Begoin, Hug me #1
© Fanny Begoin, Hug me #1, série Hug me
Fanny Begoin, Hug me #3
© Fanny Begoin, Hug me #3, série Hug me
Fanny Begoin, Hug me #5
© Fanny Begoin, Hug me #5, série Hug me
Fanny Begoin, Hug me #8
© Fanny Begoin, Hug me #8, série Hug me
Fanny Begoin, Hug me #9
© Fanny Begoin, Hug me #9, série Hug me
Fanny Begoin, Hug me #10
© Fanny Begoin, Hug me #10, série Hug me

B!B!: Comment est née ta série « Hug me »? Que souhaites-tu faire passer à travers elle?

Fanny: Là aussi, cette série est née d’une interrogation sur ce qui fait expérience commune, universelle. L’idée de parler du couple s’est alors imposée assez naturellement. Encore une fois, je voulais créer des images qui nous rappellent à tous un sentiment vécu, familier. En photographiant ces couples enlacés, je voulais capter un moment d’intimité. Photographier l’étreinte, figer le mouvement et l’émotion qu’il sous-tend.

B!B!: « Lazy Days », « Diary », « Hug me », pourquoi avoir choisi de nommer ces séries en anglais?

Fanny: Toujours cette idée d’universalité.

Fanny Begoin, Frères et Soeurs #3
© Fanny Begoin, Frères et Soeurs #3, série Frères et Soeurs
Fanny Begoin, Frères et Soeurs #5
© Fanny Begoin, Frères et Soeurs #5, série Frères et Soeurs
Fanny Begoin, Frères et Soeurs #6
© Fanny Begoin, Frères et Soeurs #6, série Frères et Soeurs

B!B!: Ton site personnel présente ton travail en cours de réalisation: actuellement « Frères et Sœurs » et « Les Dormeurs ». Peux-tu nous en parler?

Fanny: Pour la série « Frères et Sœurs », j’ai d’abord voulu mettre en évidence la ressemblance, le lien sanguin et physique qui lie à jamais les frères et sœurs, leurs origines. A leur insu, ce lien se traduit aussi par leurs expressions communes et leurs attitudes corporelles. Pour la série « Les Dormeurs », c’est une nouvelle fois l’idée de photographier et presque documenter la vie de tous les jours. Je cherche à mettre en image le sommeil, le positionnement du corps endormi dans un lit ou sur un canapé, en m’amusant avec l’esthétique d’une couette ou d’un pyjama à motifs.

B!B!: Outre l’élaboration de ces deux séries, quel sont tes projets?

Fanny: Je travaille actuellement sur une série de « portraits d’artistes » dans leurs ateliers, en jouant dans ces lieux submergées d’outils, de tubes de peinture, d’œuvres un peu partout, des lieux imprégnés du travail de l’artiste et de son esprit de créateur.

Fanny Begoin, Les Dormeurs #2
© Fanny Begoin, Les Dormeurs #2, série Les Dormeurs
Fanny Begoin, Les Dormeurs #3
© Fanny Begoin, Les Dormeurs #3, série Les Dormeurs
Fanny Begoin, Les Dormeurs #4
© Fanny Begoin, Les Dormeurs #4, série Les Dormeurs
Jean-Yves Gosti, Les Ateliers
Jean-Yves Gosti, Les Ateliers © Fanny Begoin
Juliette Lemontey, Les Ateliers
Juliette Lemontey, Les Ateliers © Fanny Begoin
Muriel Patarroni, Les Ateliers
Muriel Patarroni, Les Ateliers © Fanny Begoin

B!B!: Ta série « Les Dormeurs » n’est pas sans rappeler « Par Jeu » de Sophie Calle (travail photographique au cours duquel elle invite des personnalités, connues ou non, à se coucher dans son lit afin de les y photographier). Ce lien est-il juste? Quel est ton rapport au travail de cette artiste qui, comme toi, s’interroge sur la notion d’intimité?

Fanny: Oui ce lien est très juste. Ma série « Les Dormeurs » est notamment inspirée par ce travail de Sophie Calle. Ma démarche est cependant un peu différente. D’abord, je photographie mes « dormeurs » dans leur propre lit. Mais il y a surtout cette mise en scène du sommeil, car je suis toujours à la recherche de cette ambiguïté ténue du réel. Dans ses œuvres, Sophie Calle met en scène ce quotidien, en utilisant la photographie comme support d’une narration de l’intime. D’autres artistes tels que Larry Clark, Nan Goldin, ou encore Diane Arbus ont une autre manière d’aborder ces sujets: ils font des images de leur quotidien qui vont totalement à l’encontre d’une esthétique théâtralisée par la lumière, la mise en scène des personnages ou des décors. Ce qui compte, c’est traduire un moment. Chez ces artistes, ce qui me touche c’est qu’on peut parler de leurs œuvres comme étant des documents du banal et de l’intime. Dans mes images, je joue avec l’ambiguïté au réel, à l’intimité, au quotidien qui paraît non mis en scène. Jouer sur l’ambivalence entre document pur et création esthétique.

B!B!: Quelles sont tes influences artistiques?

Fanny: Les artistes qui m’ont le plus touchée quand je les ai découverts sont des photographes qui explorent ces thèmes du quotidien et/ou de l’intime, comme Larry Clark, Nan Goldin, Corinne Day, Richard Billingham, Antoine d’Agatha, Diane Arbus, August Sander, Rineke Dijkstra. J’apprécie aussi des artistes qui, dans leur images, théâtralisent d’avantage, et qui offrent à voir des scènes de vie rejouées avec une esthétique parfaite tels que Gregory Crewdson, Erwin Olaf, Philip-Lorca diCorcia, mais aussi le peintre Edward Hopper. J’aime aussi me nourrir de séries et de cinéma, avec par exemple les films du réalisateur Jacques Audiart (« Sur mes lèvres », « De battre mon cœur s’est arrêté », « De rouille et d’os »), où encore les films du réalisateur Jim Jarmusch (« Stranger than paradise », « Mystery train »).

B!B!: Les chroniqueurs de Boum! Bang! ont pour habitude de terminer leurs interviews par une sélection de questions inspirées du questionnaire de Proust. En voici quelques-unes librement adaptées:

B!B!: Un lieu dans lequel tu aimerais exposer?

Fanny: La Galerie du jour Agnès B. à Paris.

B!B!: L’objet le plus ancien que tu possèdes?

Fanny: Mon bracelet de naissance à la maternité!

B!B!: Le moment de la journée que tu trouves le plus propice à la photographie?

Fanny: Le début de l’après midi.

B!B!: Ton photographe préféré?

Fanny: Diane Arbus.

B!B!: Une personnalité que tu aurais aimé photographier?

Fanny: Alain Bashung.

B!B!: Ton plus ancien souvenir de photographie?

Fanny: Dans ma chambre noire, en train de tirer mes photos noir et blanc.

B!B!: Le métier que tu voulais exercer étant enfant?

Fanny: Astronaute!

B!B!: L’album que tu écoutes en boucle en ce moment?

Fanny:  « Back to black » de Amy Winehouse, et « Bleu pétrole » de Alain Bashung

B!B!: Et pour finir si je te dis Boum! Bang!, tu me dis?

Fanny: Bing!