Amis parisiens, c’était l’expo à ne point manquer, elle avait lieu à la Galerie Rabouan Moussion et on en sort pantois: « The Siege and Relief of Leiden » ou comment un photographe néerlandais, Erwin Olaf (né en 1959) passé maître en matière de lumière, rejoue la libération de Leiden à travers une mise en scène presque académique des icônes provenant tout droit des abysses de la peinture hollandaise. Si l’on n’est pas familier avec l’œuvre de l’artiste et que l’on pénètre par inadvertance dans la galerie, on jurerait avoir été catapulté à travers un vortex pour se retrouver tout droit dans l’atelier d’un Rembrandt; si ce ne sont les quelques anachronismes présents qui nous rappellent que nous sommes bel et bien au XXIè siècle et que les modèles capturés ne sont ni issus de la Renaissance, ni de la peinture baroque mais bien de notre société contemporaine. L’illusion est tout de même troublante et le paradoxe suit son cours. Les Rembrandt, Van Dyck et consorts tentaient de figer la lumière du jour par le biais de subtils mélanges de peintures, de compositions complexes et de faire vivre l’humanité à travers la précision du détail. Erwin Olaf restitue de manière quasi identique la lumière et l’éclairage qui donnent à ses personnages une posture et une humanité figées dans la cire mais au moyen de la photographie. Le jeu de recomposition est un hommage et un pastiche moderne.
Cet artiste est un plasticien de talent, il façonne ses sujets, s’amuse à rejouer les mimiques d’antan, à reconstruire l’histoire avec brio. Si la peinture hollandaise avait vu le jour aujourd’hui, elle conterait incontestablement dans ses rangs Erwin Olaf. Ce dernier, avec un souffle nouveau s’approprie les codes des maîtres de la Renaissance avec un modernisme époustouflant.
Erwin Olaf, Jan Van Hout and Jan Van Der Does ©Erwin Olaf, Plague and Hunger during the Siege of Leiden ©
Erwin Olaf, Magdalena Moons ©
Erwin Olaf, Minerva ©
Erwin Olaf, Plague Doctor ©
Erwin Olaf, The Merchant ©
En parallèle à ce travail nous est présenté un panel de ses photos qui s’inscrivent dans la série « The Keyhole« , littéralement « le trou de la serrure ». Kézako? Une invitation au voyeurisme où le spectateur se met à épier à travers une ouverture les photographies d’Erwin Olaf. Ces clichés amènent le spectateur à l’introspection, introspection mise en abyme: le spectateur se trouve seul, livré à lui-même face à un autre sujet également seul. Ses modèles se tiennent pour la plupart dans une posture de repli, épaules voûtées dans une attitude punitive. Selon le communiqué de presse « c’est un travail sur la honte, qui renvoie à la condition humaine et évoque en chacun de nous un passage de sa propre existence. C’est une appropriation instinctive qui pourrait se vivre comme une inévitable prise de conscience de la fragilité ». Le regard apeuré des modèles fuit celui du spectateur. Encore une fois, Erwin Olaf fait la part belle à la lumière qui vient subtilement balayer les nuques et les corps frêles de ses personnages en apportant une émouvante douceur. Réfléchir sur le corps « parfait », ses courbes, son exposition, son essence et son ego. Ses hontes, ses faiblesses et ses traumatismes aussi.