Difformes et grimaçantes, les figurines du jeune artiste américain Michael Leavitt n’ont au premier coup d’œil rien de très sympathiques. Ressemblant étrangement à certaines créatures peuplant les tableaux de Jérôme Bosch, leur sourire et leur bonhomie donnent plutôt la chair de poule. Mais qui se cache derrière ces corps atrophiés, ces rictus et ces regards absents? Qui sont ces créatures hybrides nées aux frontières de l’humain, du monstre et de la machine?
Michael Leavitt, Damien Hirst, polymer clay and mixed media, 11 x 3 x 5 inches, pièce issue de la série Art Army® © Michael Leavitt
Michael Leavitt, Damien Hirst (détails), polymer clay and mixed media, 11 x 3 x 5 inches, pièce issue de la série Art Army® © Michael Leavitt
Michael Leavitt, vue d’une exposition présentant les figurines de la série Art Army® à la Jonathan Levine Gallery © Michael Leavitt and Jonathan Levine Gallery
Regardons de plus près. Cet homme requin coupé en deux ne vous rappelle t-il pas quelqu’un? En moins de temps qu’il ne le faut pour le dire, vous découvrirez que derrière cette petite statuette se cache un colosse de l’art contemporain: Damien Hirst. Et le bad boy britannique n’est pas le seul à être passé entre les mains du savant fou Michael Leavitt. Yayoi Kusama, Jeff Koons, Richard Serra, tous ont comme fusionné avec leur œuvre et sont passés du rang de poids lourd de l’art à celui de figurines poids plume.
Ainsi chez Michael Leavitt, la tête du turbulent Ai Weiwei repose non plus sur un buste mais sur l’une des potiches que l’artiste a lui même orné du logo de la célébrissime marque Coca Cola. Michael Leavitt n’oublie pas de lui coller un appareil photo à la main et un smartphone à la place du sexe pour évoquer la pratique photographique si singulière et si prolixe de l’artiste.
Michael Leavitt, Ai Weiwei, polymer clay and mixed media, 10 x 4 x 4 inches, pièce issue de la série Art Army® © Michael Leavitt
Dans sa version sculptée, le peintre Chuck Close est affublé d’une énorme tête totalement disproportionnée. Un gros clin d’œil à l’artiste qui s’est fait une spécialité de réaliser des portraits aux cadrages très serrés donnant l’impression que la tête de ses protagonistes pourrait quasiment surgir en dehors de la toile.
Michael Leavitt, croquis préparatoire pour la sculpture “Chuck Close” © Michael Leavitt
Michael Leavitt, Chuck Close, polymer clay and mixed media, 8 x 5 x 6 inches, pièce issue de la série Art Army® © Michael Leavitt
Cindy Sherman hérite, elle, d’un corps de mannequin en plastique qui nous rappelle aussi bien la poupée désarticulée de Hans Bellmer que les séries de photographies de l’artiste utilisant ce type d’objet dans des mises en scène particulièrement crues et violentes.
Michael Leavitt, Cindy Sherman, polymer clay and mixed media, 11 x 3 x 2 inches, pièce issue de la série Art Army® © Michael Leavitt
Assez logiquement, Jeff Koons devient, dans cette bien étrange famille, une sorte de sextoy gonflable et frétillant, fièrement dressé. Une référence évidente à ses sculptures de ballons et à ses ébats classés X, photographiés et peints, avec celle qui à une époque fut sa compagne, la Cicciolina.
Michael Leavitt, Jeff Koons, polymer clay and mixed media, 11 x 3 x 3 inches, pièce issue de la série Art Army® © Michael Leavitt
Pour le reste de la troupe, le traitement est le même. Claes Oldenburg se retrouve avec un corps en pince à linge, le sujet de l’une de ses plus célèbres sculptures grand format. James Turrell a le buste perforé par une grande ouverture à la manière des installations lumineuses qui l’ont rendu si célèbre. Kara Walker est à l’image des ombres qui peuplent ses installations vidéos: fine et en deux dimensions.
Michael Leavitt, croquis préparatoire pour la sculpture “Claes Oldenburg” © Michael Leavitt
Michael Leavitt, Claes Oldenburg, polymer clay and mixed media, 11 x 3 x 2 inches, pièce issue de la série Art Army® © Michael Leavitt
Michael Leavitt, croquis préparatoire pour la sculpture “James Turell” © Michael Leavitt
Michael Leavitt, James Turell, polymer clay and mixed media, 11 x 3 x 2 inches, pièce issue de la série Art Army® © Michael Leavitt
Michael Leavitt, croquis préparatoire pour la sculpture “Kara Walker” © Michael Leavitt
Michael Leavitt, Kara Walker, polymer clay and mixed media, 11 x 4 x 1 inches, pièce issue de la série Art Army® © Michael Leavitt
Michael Leavitt, Kara Walker, polymer clay and mixed media, 11 x 4 x 1 inches, pièce issue de la série Art Army® © Michael Leavitt
Mais d’où viennent cette passion et l’idée de cette série? Petit déjà, Michael Leavitt aimait fabriquer et assembler des modèles réduits. De parents dessinateurs et designers, il semble avoir été influencé par l’artisanat amérindien et scandinave. Après des études d’art, il se lance, crée des installations interactives, se met en scène dans des performances ou il peint sur des pennies le lieu où il les a ramassé. Nostalgique de son enfance ou sentant le retour en force des années 80 dans les rayons, il multiplie les répliques d’objets cultes de cette époque et notamment des chaussures qu’il réalise en carton ou avec des matériaux de récupération trouvés dans la rue. On lui doit également de nombreux objets utilitaires ou purement décoratifs frôlant le mauvais goût « à l’américaine »: une lunette de toilette David Hasselhoff, des théières à Amy Winehouse ou Charles Manson… Grotesques, parfois grossières, certaines de ses œuvres sont un petit peu comme une grosse écharde qu’on se serait planté sous l’ongle du pouce. Heureusement, d’autres sont au contraire pleines de sens, d’humour et n’en oublient pas d’être agréables à l’œil telles les figurines de cette série « The Art Army® ». Celle-ci est née à la suite d’un premier projet de carte à l’effigie des personnalités de l’art et des médias que Michael Leavitt proposait à ses acheteurs de collectionner et d’échanger à la manière des cartes de baseball tant appréciées par les petits américains. Depuis sa création, cette version en 3D de son armée de l’art voit grandir ses rangs avec des dizaines de créations parmi lesquelles on retrouve aussi bien Vincent Van Gogh, Snoop Doggy Dog, John Lennon, Madonna, Alfred Hitchcock ou encore une baigneuse de Pablo Picasso et l’homme de Vitruve de Léonard de Vinci.
Fabriquée artisanalement, chaque pièce qui compose ces étranges caricatures sculptées est réalisée par Michael himself. Elle est ensuite cuite, peinte à l’acrylique et rejoint le puzzle des autres pièces dont la structure est faite d’un jeu d’élastiques pour apporter à la poupée un maximum de flexibilité.
Michael Leavitt, croquis préparatoire pour la sculpture “Takashi Murakami” © Michael Leavitt
Michael Leavitt, Takashi Murakami, polymer clay and mixed media, 10 x 6 x 3 inches, pièce issue de la série Art Army® © Michael Leavitt
Michael Leavitt, Takashi Murakami © Michael Leavitt
Michael Leavitt, Yayoi Kusama, polymer clay and mixed media, 9 x 4 x 3 inches, pièce issue de la série Art Army® © Michael Leavitt
Michael Leavitt, Ellsworth Kelly, polymer clay and mixed media, 11 x 6 x 5 inches, pièce issue de la série Art Army® © Michael Leavitt
Michael Leavitt, Frank Stella, polymer clay and mixed media, 11 x 6 x 5 inches, pièce issue de la série Art Army® © Michael Leavitt
Michael Leavitt, Gilbert and George, polymer clay and mixed media, 11 x 3 x 2 inches, pièce issue de la série Art Army® © Michael Leavitt
Michael Leavitt, Lucian Freud, polymer clay and mixed media, pièce issue de la série Art Army® © Michael Leavitt
Michael Leavitt, Ed Ruscha, polymer clay and mixed media, 11 x 5 x 4 inches, pièce issue de la série Art Army® © Michael Leavitt
Michael Leavitt, Christo, polymer clay and mixed media, 11 x 3 x 2 inches, pièce issue de la série Art Army® © Michael Leavitt
L’auteur voit peut-être dans cette collection de petits monstres une façon de critiquer l’univers de l’art où une poignée de stars écrase sur son passage le travail de centaines d’autres artistes en raflant toutes les places dans les musées, toutes les expositions et toutes les commandes. Présentées sur une sorte de socle, ils nous expose d’ailleurs ses poupées à la manière d’idoles ou de figures saintes et ce n’est peut-être pas parce qu’il leur voue un culte.
Pour l’artiste, cette collection semble également frôler avec la ruse marketing tant on a l’impression qu’il propose à ses acheteurs de se payer une star de l’art sans en avoir forcément les moyens et de tirer la couverture à lui en se faisant de l’argent sur le dos de mastodontes de l’art contemporain. Un pastiche donc, un brin potache, certainement, mais également très efficace.
Michael Leavitt, Barbara Kruger, polymer clay and mixed media, 11 x 4 x 2 inches, pièce issue de la série Art Army® © Michael Leavitt
Michael Leavitt, croquis préparatoire pour la sculpture “Cy Twombly” © Michael Leavitt
Michael Leavitt, Richard Serra, polymer clay and mixed media, 11 x 4 x 5 inches, pièce issue de la série Art Army® © Michael Leavitt
Pour promouvoir ses projets et ses oeuvres, Michael Leavitt a créé son propre atelier-magasin à Seattle, « The Intuition Kitchen ArtShop ». Il y est son propre patron et son seul employé, y produit et y vend ses œuvres. Autre vitrine, son site marchand du même nom. Loin du jargon parfois ampoulé des sites d’artistes, il y parle de lui sans trop mettre les formes mais en se prenant quand même au sérieux, allant jusqu’à justifier le prix de ses œuvres. Vous pourrez le voir en plein travail ou jouant avec ses figurines dans des vidéos. Certaines œuvres de Michael Leavitt sont également disponibles à la Jonathan LeVine Gallery.