Recréer intégralement l’environnement de pièces qui n’existent pas sinon dans les codes de l’inconscient collectif, les subvertir, y intégrer un corps humain souvent malmené, photographier l’ensemble. Voilà la seule description factuelle que l’on pourrait faire du geste artistique de Mehryl Levisse.
Jeune artiste originaire de Charleville-Mézières, Mehryl Levisse vient de la danse et pas de la rue, de l’Université et pas des Beaux Arts. Si ces détails biographiques sont importants c’est parce qu’ils permettent de comprendre les deux données principales du propos tenu dans les clichés qui restent après le travail: la place du corps dans l’espace intime et la question de l’expression artistique dans un monde saturé d’informations.
Mehryl Levisse, Joyeuses fêtes ©
Mehryl Levisse, Le cheval de Troie ©
Mehryl Levisse, La théorie du corps caché ©
Mehryl Levisse, La scène de la berge ©
La poésie cocasse qui se dégage des scènes imaginées par l’artiste n’est pas sans rappeler l’humour des surréalistes, dont on sait que la démarche est dictée par une donnée cruciale: introduire du rêve, de l’imaginaire, du merveilleux dans la banalité du réel. Qu’il revisite des scènes mythologiques comme celle du Cheval de Troie ou qu’il nous invite à questionner notre rapport au lieu hautement hétérotopique¹ qu’est le grenier, Mehryl superpose l’ambiance des jeux d’enfants à quelque chose de bien plus perturbant.
Sur son site internet, Mehryl Levisse commence la présentation de son travail par la question suivante: « Qui a dit que le corps était une chose aboutie? » Tatoué, affublé de quelques piercings qu’on ne voit pourtant jamais dans ses travaux, le créateur semble suivre les traces d’artistes qui, non contents de tirer des clichés de leurs explorations du corps, viennent nier l’idée selon laquelle une notion comme celle du genre serait inscrite dans la chair (on pense ici à Claude Cahun, surréaliste en marge, féministe avant l’heure, artiste joueuse et visionnaire). C’est pourquoi il serait réducteur de qualifier son geste de photographique. La photographie n’est que le reflet de ce qui s’est joué en amont. Un amont que l’artiste refuse volontairement de retoucher bien que les techniques contemporaines débordent de solutions pour « saisir » le réel de la façon la plus nette et la plus propre possible. Un amont dont la nature insaisissable est l’essence. Ses « environnements » n’ont pas d’échappatoire. Il n’y a pas de portes ni de fenêtres, pas de temporalité déterminée. On pourrait presque se demander comment ces lieux, qui nous paraissaient si familiers de prime abord, ont réussi à se faire passer pour des reflets du réel. Et s’il fallait chercher une parenté dans la littérature, il faudrait aller du côté de Beckett dont Le Dépeupleur avec son cylindre sans fenêtres ni issues où se meuvent deux cents “ corps ”, hommes, femmes et enfants parle le mieux du mirage de l’espace.
Mais le travail de Mehryl Levisse est avant tout un travail sur le corps, un travail tout entier centré autour du corps et de son expression. C’est pourquoi la phrase suivante semble être une conclusion appropriée: « Le corps est comparable à une phrase qui vous inciterait à la désarticuler pour que se recomposent, à travers une série d’anagrammes sans fin, ses contenus véritables. » (Hans Bellmer, L’Anatomie de l’image, Ed. Allia, 2002.)
¹ L’hétérotopie est un concept formulé par Michel Foucault en 1967 dans sa conférence Des espaces autres. Il s’agit d’espaces concrets qui hébergent l’imaginaire, comme une cabane d’enfant, un grenier, un aéroport ou encore un théâtre.