Artiste pluridisciplinaire (vidéo, danse, théâtre, peinture, photographie, installation, marionnettes), Markus Schinwald chine de petits tableaux bourgeois anonymes, il les photographie pour ensuite modifier leur apparence avant de les confier à des restaurateurs de peinture qui finalisent d’étranges chimères. Le portrait « s’enrichit » alors d’appendices. Rubans et masques, voiles et prothèses inutiles entravent les visages. De telles inopportunités volontaires tiennent autant d’outils de tortures que de bijoux. Et la beauté naît du hiatus entre une figuration classique (à la manière des portraits du XIXème siècle viennois du « Biedermeier ») et l’excentricité baroque des zébrures intempestives. Preuve qu’il existe deux logiques dans l’art du portrait photographique: celle du miroir mais aussi celle capable de donner à une vérité qui n’est pas d’apparence mais d’incorporation.
Markus Schinwald reprend à sa manière l’histoire du portrait, où depuis l’Antiquité grecque, visage et masques sont indissociables. La « visagéïté » (Samuel Beckett) devient le lieu d’une mascarade particulière: elle désaxe l’image classique de l’identité. La vérité du visage devient un leurre que l’artiste à la suite de photographes comme Arnulf Rainer, Andres Serrano dans des genres bien différents, ont fait sauter. L’artiste travaille l’apparence pour la dénaturer d’une froideur qui perturbe le regard et ses habitudes de reconnaissance du « modèle ». Les éléments hétérogènes s’incrustent dans la chair, la crucifie tout en laissant monter par « infraction », la trace et l’ajour d’une existence étrange qui se superpose à l’image première et son classique effet de réalité.
Markus Schinwald remet donc en cause la question du portrait et de l’identité par un travail de fond à travers les « occurrences » qu’il propose. Elles prouvent comment le visage à la fois « s’envisage » et se « dévisage » par effet de brouillage. L’amasseur de visages souligne les gouffres sous la présence. Des incisions de nouveaux contours, émerge un profil particulier du visage et du temps. Le portrait ne demeure donc pas une reproduction mais la spécification balafrée de l’être à travers la « greffe ». L’art de Markus Schinwald « abîme » l’apparence afin de l’approfondir en une « matérialisation » que les portraitistes classiques ignoraient. Loin des processus de Gerhard Richter ou de Francis Bacon, se situant résolument dans le réalisme, le peintre autrichien entrave les schèmes élémentaires avec impertinence et impeccabilité.