Un entretien Boum! Bang!

Nous rencontrons le peintre Marc Dailly dans un café des pentes de la Croix-Rousse, à Lyon, à l’occasion de l’exposition « Marc Dailly, l’émerveillement du quotidien » qui se tient à la Galerie Françoise Souchaud dans le 1er arrondissement de Lyon, du 23 mai au 13 juillet 2013. Il nous parle de son parcours, de sa peinture où se côtoient scènes sombres et tâches fluo, des géants, de son amour des reptiles et du lien particulier qu’il entretient avec la nature.

B!B!: Pouvez-vous vous présentez rapidement?

Marc: Mes parents étaient tous les deux fonctionnaires internationaux à Genève, ils sont maintenant à la retraite. J’ai été emmené assez jeune dans les musées, ma mère est passionnée d’égyptologie et de la Grèce antique. Au collège et au lycée cependant, j’étais avant tout attiré par l’étude des serpents. En terminale, j’ai abandonné pour des raisons personnelles mon projet de faire une faculté de biologie et je suis allé vers le plus simple, ce pour quoi j’étais doué dès mon plus jeune âge: le dessin. J’ai fait une école préparatoire d’art à Genève puis un ami m’a parlé de l’École Émile Cohl à Lyon, alors on y est allé ensemble. On avait eu quelques cours de modèles vivants et de peinture à l’école, j’étais assez doué pour ces cours là. J’avais fait notamment le grand portrait d’une des élèves qui m’a plu, tout le monde me disait qu’il était vraiment réussi; après une tentative dans l’illustration, j’ai décidé de me lancer dans la peinture.

Marc Dailly, Le masque
Marc Dailly, Le masque, 2012, huile sur toile, 100×100 cm ©
Marc Dailly, Esprit, es-tu là?
Marc Dailly, Esprit, es-tu là?, 2013, huile sur toile, 156×100 cm ©
Marc Dailly, Le goûter
Marc Dailly, Le goûter, 2013, huile sur toile, 100×100 cm ©
Marc Dailly, Les toqués du toc
Marc Dailly, Les toqués du toc, 2013, huile sur toile, 100×100 cm ©
Marc Dailly, Le Lion
Marc Dailly, Le Lion, 2013, huile sur toile, 116×89 cm ©
Marc Dailly, Le jour du poisson
Marc Dailly, Le jour du poisson, 2011, huile sur toile, 136×89 cm ©

B!B!: Avez-vous eu un déclic, un jour, une conviction un peu plus forte ou c’est venu progressivement?

Marc: C’est venu progressivement. Je savais que j’aimais la peinture, explorer les couleurs, j’aime la peinture depuis toujours je me rends compte, depuis mon enfance où j’allais dans les musées. J’ai quelques souvenirs très très jeune avec des images, à l’époque je ne savais pas qui les avait peintes mais à cinq ou six ans j’avais été marqué par un tableau de Paul Gauguin, sans savoir que c’était de lui. Je me souviens de mes premières rencontres au Rijksmuseum d’Amsterdam quand je devais avoir dix ans, la première fois que j’ai vu « La laitière » de Johannes Vermeer. Plus tard, au cours d’une période plus difficile de ma vie, il m’arrivait de recopier au pastel des tableaux de Johannes Vermeer, notamment « La jeune fille endormie ». Je me suis mis à la peinture à l’huile après l’École Émile Cohl – la peinture à l’huile n’était pas du tout un medium enseigné là-bas – et je pense que c’est là que j’ai commencé à aimer la peinture en tant que telle, j’ai trouvé qu’il y avait une sensualité dans cette matière qui ne sèche pas tout de suite. Je me souviens de mes premiers tableaux, j’avais peint celle qui est aujourd’hui ma femme en nuisette: c’est des grands moments d’amour avec la peinture. J’aime le toucher et l’odeur de cette matière.

B!B!: Certains thèmes dans vos tableaux peuvent faire penser à Francisco de Goya, avec ces figures de géants notamment.

Marc: Je suis toujours impressionné par les yeux des personnages de Goya, tellement noirs. Mais je ne dirais pas que c’est un peintre que j’apprécie plus que ça. En ce qui concerne les géants, j’aime bien les disproportions, amener un caractère singulier dans quelque chose de totalement normal et essayer de magnifier la réalité, de la voir avec un autre point de vue. Le point de vue du gigantisme m’intéresse, sans que je sache précisément d’où ça vient.

Marc Dailly, L'anniversaire
Marc Dailly, L’anniversaire, 2013, huile sur toile, 120×40 cm ©
Marc Dailly, L'empreinte
Marc Dailly, L’empreinte, 2013, huile sur toile, 116×81 cm ©
Marc Dailly, Le géant du Maconnai
Marc Dailly, Le géant du Maconnai, 2010, huile sur toile, 116×81 cm ©

B!B!: La différence d’échelle entre les personnages semble introduire une sorte d’hermétisme entre eux, comme si ces géants étaient exclus, étrangers à leur environnement.

Marc: C’est possible qu’il transparaisse un sentiment d’exclusion. Il ressortait de mes premiers tableaux, avant même que je ne peigne des géants, un sentiment de solitude, les personnages ne se regardaient pas. Ils se regardent très rarement.

B!B!: Le thème de l’enfance revient souvent, comme dans « La maison des enfants ».Quel rapport avez-vous à l’enfance?

Marc: J’ai un bon rapport avec les enfants de manière générale, je communique très bien avec eux. J’aime jouer avec eux et me mettre à leur niveau, c’est quelque chose que je fais très naturellement. J’ai de bons souvenirs de mon enfance à l’école, j’étais turbulent, j’ai fait les conneries qu’il y avait à faire. Dans « La maison des enfants », il s’agit d’une vraie maison, toute petite, faite pour mes neveux. Je me suis rétréci totalement pour être à la taille d’un enfant et me placer dans cet univers.

Marc Dailly, La maison des enfants
Marc Dailly, La maison des enfants, 2011, huile sur toile, 100×100 cm ©
Marc Dailly, La folle journée d’Olivier
Marc Dailly, La folle journée d’Olivier, 2011, huile sur toile, 100×100 cm ©
Marc Dailly, Le jour où s’inventa Carl Myliad
Marc Dailly, Le jour où s’inventa Carl Myliad, huile sur toile, 100×100 cm ©
Marc Dailly, La piscine bleue
Marc Dailly, La piscine bleue, 2012, huile sur toile, 100×73 cm ©

B!B!: Pourquoi vouloir se rétrécir? Est-ce qu’il y a un hermétisme, une incommunicabilité entre l’enfance et les adultes?

Marc: Peut-être. J’ai parfois beaucoup de mal à parler avec mes proches. Vis-à-vis de ses parents on sera toujours un enfant, je crois.

B!B!: Il y a un portrait de votre père, dans lequel il est assis dehors dans une lumière assez irréelle, fantasmée, presque cinématographique (« Mon père »).

Marc: Mon père m’a donné l’amour des polars, j’ai lu beaucoup d’histoires qui se passent dans le sud des Etats-Unis, des romans de James Lee Burke, d’autres de James Ellroy. Je crois qu’avec ce tableau je voulais un peu rendre l’ambiance du roman « Dans la brume électrique avec les morts confédérés » de James Lee Burke.

Marc Dailly, Mon père
Marc Dailly, Mon père, 2009, huile sur toile, 100×73 cm ©

B!B!: Dans « L’empreinte » , on pense aux paysages du nord des Etats-Unis, au décor de la série « Twin Peaks » de David Lynch.

Marc: Le paysage de « L’empreinte » vient de la région de Bellegarde, dans ce coin assez sinistre tout près du Jura. J’ai été beaucoup influencé – on revient au huis clos familial – par le film « Shining » qui se passe dans le nord des États-Unis, dans cet hôtel perdu dans les forêts, c’est un film particulièrement impressionnant, qui m’a énormément marqué. J’ai lu pas mal de livres qui se passent aux États-Unis, j’aime le cinéma américain, sans que ce soit un pays qui m’attire plus que ça. Les ambiances qu’il peut y avoir par contre, plutôt dans le sud des États-Unis d’ailleurs, m’attirent. Mais ce qui m’attire le plus en terme de paysage et que je ne traite pas du tout dans la peinture, c’est la forêt équatoriale et tropicale, qui a sans doute à voir avec mon côté amateur de serpents, etc.

B!B!: Vous sentez-vous des affinités avec le romantisme?

Marc: Pas tellement, j’aime le symbolisme, j’aime John William Waterhouse, j’aime les pré-raphaëlites. J’aime le réalisme espagnol, Diego Velázquez énormément, les peintres contemporains espagnols comme Antonio López García. Mais les romantiques non, pas tellement, même si j’ai un rapport à la nature assez mystique. Un amour presque fusionnel pour la forêt tropicale, quelque chose de très très fort.

B!B!: C’est à dire?

Marc: J’ai fait deux voyages en Guyane française lorsque j’étais au Lycée pour chasser le papillon avec deux de mes cousins. On est partis, l’un passionné de papillons, l’autre de coléoptères et moi passionné de serpents. Je me souviens des premières impressions quand on arrive à Cayenne, sur les routes, et qu’on voit cette forêt de loin, énorme et exubérante, qui vous dépasse, sous un ciel orageux, on imagine, on pense à Christophe Colomb, aux premiers hommes de ces expéditions qui sont partis s’engouffrer là dedans. Il y a un romantisme là quelque part, qu’on peut trouver chez Hugo Pratt, dans Joseph Conrad. Je trouve ça tellement beau que ça ne m’étouffe pas. J’y vois de la vie, des animaux absolument incroyables, je me souviens encore d’une grenouille qui était brune sur le dessus, qui ne payait pas de mine, que j’ai attrapé et que j’ai retourné, en dessous elle était rose fluo avec des marbrures comme un labyrinthe. Je trouvais ça fascinant cette espèce de complexité et en même temps cette beauté qui nous dépasse, qui moi me dépasse en tout cas.

B!B!: Il y a une vraie interrogation sur l’artifice, l’artificiel dans votre travail, avec ces figures de monstres enfantins, et l’utilisation de la couleur fluo qui donne le sentiment d’être tout sauf naturelle.

Marc: L’artifice et l’illusion peuvent me déprimer parfois. J’ai été il y a quelques années à Eurodisney, et ça m’a totalement déprimé. C’est un masque en face d’une réalité. C’est comme aller dans un pub irlandais, avec des boiseries et des lambris, alors qu’on sait qu’on est en zone industrielle et que tout autour c’est du béton et du préfabriqué. C’est du toc, il y a beaucoup de ça autour de nous aujourd’hui. Cette perte de sens, je trouve ça assez déprimant.

Marc Dailly, J moins 3
Marc Dailly, J moins 3, 2010, huile sur toile, 100×73 cm ©
Marc Dailly, Alexandra
Marc Dailly, Alexandra, 2010, huile sur toile, 116×81 cm ©
Marc Dailly, Paulinita
Marc Dailly, Paulinita, 2010, huile sur toile, 100×73 cm ©

B!B!: Il y a un côté grotesque et morbide dans ces couleurs fluo. Vous avez peur du décor?

Marc: Un peu oui. Peut-être que j’ai peur aussi qu’il s’effrite. J’ai besoin de me retrouver dans quelque chose qui a du sens, qui a un peu plus de sens que ce qu’on nous propose souvent. Dans la société actuelle, j’ai l’impression que ça va parfois un petit peu loin.

B!B!: Dans vos tableaux on retrouve souvent ces fées vertes.

Marc: Ca me vient des illustrateurs que j’ai étudiés à l’École Émile Cohl, mais aussi de Bryan Froud qui a fait un livre sur les fées que j’ai eu quand j’étais petit qui m’a énormément marqué. Ma mère me le rappelle souvent encore, elle me dit « qu’est-ce que tu as été marqué par ce livre!». Et là encore on est dans ce paganisme, ces dieux de la nature, ces formes de vie déifiées, le primevère qui devient une fée, les champignons, ça m’est resté. Une célébration de la nature.

B!B!: La fée verte c’est aussi l’absinthe, et l’absinthe vient du Jura (Marc Dailly a vécu dans le Jura, NDLR).

Marc: C’est vrai. Je me souviens que mon père me disait dès qu’on voyait des pneus qui brûlaient – car les gens brûlaient des pneus pour masquer l’odeur – « ils doivent être en train de faire de l’absinthe », parce que c’est vrai que ça se fait dans la région. À l’époque on habitait dans un ancien moulin à eau, avec une rivière qui passait en dessous, en pleine campagne.

Marc Dailly, La fée verte
Marc Dailly, La fée verte, 2012, huile sur toile, 116×89 cm ©
Marc Dailly, L'heure des fées
Marc Dailly, L’heure des fées, 2013, huile sur toile, 100x73cm ©

B!B!: Vous avez cité Terrence Malick parmi vos influences.

Marc: Au niveau de la peinture, je suis influencé par des peintres comme Justin Mortimer, Adrian Ghenie, Natacha Ivanova, François Bard. Il est vrai que j’aime beaucoup le cinéma de Terrence Malick, cette célébration de la nature. J’ai été très marqué par « La ligne rouge», ce film est fabuleux. Il y a une vraie interrogation sur la nature, ni bonne ni mauvaise, mais qui est, c’est tout. Il y a du lyrisme. La première scène du film ouvre sur un crocodile qui passe dans l’eau, comme ça, et en même temps Terrence Malick va montrer plus loin deux perroquets très colorés, magnifiques dans les arbres, c’est une vision que je trouve très belle. La notion de justice est totalement étrangère à la nature: nous aussi sommes des animaux régis par celle-ci. Il n’y a pas forcément de justice dans la vie non plus.

Marc Dailly, Le couple aux oiseaux
Marc Dailly, Le couple aux oiseaux, 2009, huile sur toile, 81×60 cm ©
Marc Dailly, L'été indien
Marc Dailly, L’été indien, 2009, huile sur toile, 81×60 cm ©
Marc Dailly, Portrait de Clélia
Marc Dailly, Portrait de Clélia, 2009, huile sur toile, 100×73 cm ©

B!B!: Les chroniqueurs de Boum! Bang! ont pour habitude de terminer leurs interviews par une sélection de questions issues du questionnaire de Proust. En voici quelques unes librement adaptées:

B!B!: Quel est ton artiste favori?

Marc: Diego Vélasquez.

B!B!: Quel artiste aurais-tu aimé rencontrer de son vivant?

Marc: Le caravage.

B!B!: Si tu changeais de profession, laquelle ferais-tu?

Marc: Herpétologue (l’étude des serpents).

B!B!: Quelle est ta ville favorite?

Marc: Valparaíso.

B!B!: Quelle est la musique que tu écoutes en boucle en ce moment?

Marc: Jorge Ben.

B!B!: Si tu étais une couleur, tu serais?

Marc: Le vert.

B!B!: Quel est ton moment de la journée préféré?

Marc: Au lever du jour, seul, il fait beau!

B!B!: Quelle est ta principale qualité et ton principal défaut?

Marc: L’imagination, l’imagination.

B!B!: Quelle est ta devise?

Marc: Garde les yeux ouverts.

B!B!: Si tu étais un animal, lequel serais-tu?

Marc: Un oiseau.

B!B!: Et pour terminer, si je te dis Boum! Bang!, tu me dis?

Marc: Banzaï!

Marc Dailly, Le Parc de la tête d'or
Marc Dailly, Le Parc de la tête d’or, 2013, huile sur toile, 150×50 cm ©
Marc Dailly, Au Loup!!!
Marc Dailly, Au Loup!!!, 2010, huile sur toile, 150×50 cm ©
Marc Dailly, La piscine
Marc Dailly, La piscine, 2010, huile sur toile, 120×120 cm ©
Marc Dailly, Intrusion
Marc Dailly, Intrusion, 2011, huile sur toile, 100×73 cm ©
Marc Dailly, Projection
Marc Dailly, Projection, 2012, huile sur toile, 100×73 cm ©
Marc Dailly, Intérieur
Marc Dailly, Intérieur, 2012, huile sur toile, 100×65 cm ©
Marc Dailly, Autoportrait au sweat jaune
Marc Dailly, Autoportrait au sweat jaune, 2012, huile sur toile, 100×73 cm ©