« Jamais plus de dentelles – elle est vêtue de nue, de mots brisés de corps. Noire sœur puisque aucun nom ne reste et que l’être est né d’une perte ». René Quinon
L’aube éteinte s’avance sur le monde de Justin Mortimer. Il n’y a plus d’attente sinon du déjà su et depuis toujours accompli. Et qui ne sera au mieux que répété. L’image (noire) vit à découvert en complice du destin. Chez Justin Mortimer les trombes tombent d’en bas. Ciel et terre sont dans la même presque absence de lumière vaguement argentée, existant dans le hors, le trou d’attente et d’atteinte. Il y a des amants. D’un jour. Donc de passage. Cela ne veut pas signifier pour autant que l’artiste ne daigne pas voir le sablier dont le sable s’écoule ailleurs qu’en des présences de passage. Chez lui la peinture ne se fait pas appel: elle épelle l’absence jamais lointaine. En l’ombre des images il se peut que les cauchemars se diluent peu à peu. Mais dans la faille du blanc, les jeux du corps restent noir jusque dans ce qui pourrait traduire, l’excitation, le désir, la jouissance. Ce que déchiffre la rencontre de deux corps nus n’est presque plus le trouble d’éros, mais la violence, l’indifférence. L’image a beau suggérer certains corps, la figure de deux amants qui s’étreignent est incertaine.
© Justin Mortimer, Community Project, 80x60cm, 2009
© Justin Mortimer, Depot, 80x60cm, 2009
© Justin Mortimer, Garden, 42x51cm, 2009-2010
© Justin Mortimer, Hill, 60x80cm, 2009
© Justin Mortimer, Family Plot, 61x76cm, 2007
© Justin Mortimer, Theme Park, 80x60cm, 2009
© Justin Mortimer, Family Dollar, 80x60cm, 2009
© Justin Mortimer, Float my boat, 80x110cm, 2008
© Justin Mortimer, Jockey Club, 185x210cm, 2007
© Justin Mortimer, National Geographic, 188x218cm, 2008
© Justin Mortimer, Submarine, 137x173cm, 2008
La sexualité est soumise à une calligraphie perturbante, plus violente qu’envoûtante, à demi illisible en une anagramme qui désigne la quête d’un sens essentiellement obscur. C’est en effet dans le champ même de la sexualité que Justin Mortimer ne cesse de creuser, faisant de l’imaginaire sexuel le lieu privilégié de l’exploration au carrefour du monde extérieur et du monde profond: il y a une face cachée (nocturne) du sexe et nécessaire à l’être. La charnière entre les sexes dessine l’envers du visible en posant d’autres questions qui se superposent aux premières citées: Que devient le regard quand la lumière s’absente? Que voit-on dans l’ombre? Que voit-on de leur ombre? Dans quelle mesure cette ombre affecte-t-elle la visibilité du monde? Ici le phallus engloutit est lui-même engloutit, il conduit de l’illimité très provisoire à l’obscur. L’artiste explore les envers d’une réalité dont la face lumineuse est bien loin de contenir tous les secrets. L’intimité avec l’inespéré est impossible. L’artiste reconduit ainsi à la ressemblance que nous ignorons encore.
La sexualité reste le lieu de l’insécurité puisqu’elle permet de découvrir une peur dont il faut apprendre à reconnaître les arpents de lumière arrachés à l’obscur, à apprivoiser cette clarté qui couve dans des cendres toujours inachevées et encore incandescentes. Nous sommes soudain masculins et féminins, féminins et masculins: cela ne peut nous laisser indemnes et laisse émerger la vérité de ce grand Mystère devant lequel aujourd’hui comme hier et bien moins que demain nous nous sentons pauvrement égaux et solidaires.
© Justin Mortimer, Enclave, 224x184cm, 2011
© Justin Mortimer, Contestant, 43×43, 2011
© Justin Mortimer, Vaccine, 60x50cm, 2011
© Justin Mortimer, Bureau, 184x243cm, 2011
© Justin Mortimer, Häftling, 184x228cm, 2010
© Justin Mortimer, Section, 225x185cm, 2010
© Justin Mortimer, Foyer, 218x188cm, 2010
© Justin Mortimer, Tract, 220×180 cm, 2012-13
© Justin Mortimer, Annexe, 240×180 cm, 2012
© Justin Mortimer, Resort, 240×180 cm, 2012
© Justin Mortimer, Creche, 220×180 cm, 2012
La seule vérité n’est même plus la vérité de la jouissance partagée. Ne peut être découverte que son inavouable solitude à l’extrémité de membres à peine promis à la volupté espérée lorsqu’est émis ce qui tient du râle d’angoisse plus que du brame amoureux. Justin Mortimer prouve que le non voilé montre le déshabillé, le nu la nudité. La simple copulation n’ouvre pas à la Rédemption espérée. Tout reste échange non inavouable mais raté. L’indécence échappe à ce qui fait le deux. Un homme n’est pas fait pour un seul homme. Et quand les yeux se ferment c’est comme si le plaisir échappait à la vue. Car l’absence de regard est la réponse à l’abyssale communion des corps à l’arrière des yeux lorsque les êtres ressentent l’endroit de ce qu’ils songent dans le plaisir invisible, insanctionnable, imprenable. Bref dans l’œuvre il n’existe pas deux, de relation absolue.
L’extase de l’Un éprouvant le Deux devient la sexualité qui se referme sur ce qui s’éprouve comme fascinant, inextirpable. Si bien que chez l’artiste l’amour ne s’atteint peut-être jamais. La chute violente de l’orgasme dans le plaisir n’est tout compte fait que le non-voir, le vide même. C’est un pacte qui suppose d’y renoncer d’une certaine façon. C’est pourquoi Justin Mortimer en épuise les images, en efface leur langage. Il réclame la nuit dans sa lumière noire. La complicité du souffle est une vue de l’esprit. Avoir le sexe de l’autre ne revient pas à posséder son secret. Le désir n’est plus qu’un os de seiche mangé par les malfrats. Et si le corps touche ainsi le corps de l’autre l’intensité de la vie échappe mais pourtant justifie. Il y a la nuit, le jour, le grain de sable mais aussi ce fil qui retient à l’existence puisqu’il engendre une sorte de présence et de vérité. Il faut accepter la remontée du corps, sa conduite forcée. Peu importe le réveil. Yeux fermés, yeux ouverts, sentir avant qu’il soit trop tard la fièvre sans pour autant espérer une clarté afin de se retrouver. Tout ça pour emporter le rêve. A l’intérieur, plus loin encore, après les éboulis bien sûr. C’est ce à quoi s’estime une relation, son échec ou sa réussite, ses crépitements, ses tracés, ses émotions, ses amertumes. Justin Mortimer pénètre la terre, l’épouse mais à tombeau ouvert. Du monde, alors, ne reste que la noirceur des limbes, une fugue, un vibrato.