La peinture de Lise Stoufflet prend pour sujets des situations à cheval entre le réel et le fantastique. Cet entre-deux, qui est, précisément, l’apanage du conte, justifie une figuration narrative d’autant plus dérangeante et décalée que le traitement est simple et ancré dans un réel spatio-temporel par le biais d’une forme d’illustration. Les traits sont nets, presque aseptisés, et les corps des personnages sont lisses comme ceux de pantins. Si bien que chaque élément est placé sous un signe générique – une femme, un homme, une main, un château, une maison, un lac – dans une douce schématisation qui laisse la scène ouverte à un possible réagencement. Aucun détail superflu ne vient brouiller la lisibilité de l’œuvre et l’absence de caractérisation engendre une standardisation des figures, comme des emblèmes ou des poupées. Dans cette affirmation des formes, s’alimente l’étrangeté des compositions. C’est au sein même de la narration, offerte à la vue, que le bât blesse. Comme dans un grand jeu de Cluedo, une énigme sous-tend la représentation et bouleverse la scène par un objet, un rapport, un fait qui déroge au rôle qu’il aurait dû avoir.
La présence du surnaturel est indiquée par un détail inquiétant. Un couple perdu dans une chevelure, un bout de ciel porté en masque, un paysage sous-verre croisent nattes-serpents et chaussettes-ours. Inspirées de fictions, mythes et fables, les saynètes de Lise Stoufflet mêlent le paranormal au quotidien, comme si l’un et l’autre étaient les revers d’une même pièce. Preuve en est des artefacts qui s’immiscent dans la toile : des objets débordent du cadre pour visiter le monde réel, montrant la promiscuité des mondes parallèles convoqués. Ces subterfuges confèrent à l’œuvre un aspect ludique et palpable comme une invitation à manipuler ces bricoles ensorcelées. La question du double importe dans la pratique de l’artiste qui joue sur la frontière entre le vrai et l’illusion, la simplicité apparente et les arcanes secrètes. À travers l’utilisation régulière de mises en abîme (tableau dans le tableau, paysage dans le paysage, fenêtre ouverte ou transposition de motifs) l’œuvre témoigne de l’existence de plusieurs portes d’entrée dans des univers enfouis plus ou moins profondément dans le rêve. Une fantaisie légèrement lugubre néanmoins puisque les contes de fée se révèlent souvent cruels.
Compositions en aplats aux couleurs franches et candides (rouges et bleus surtout), les figurations de Lise Stoufflet ont l’allure de micro-histoires à la fois banales et légendaires où le jeu et le mystère se mordent la queue. Toute situation se voit assigner un potentiel merveilleux et narratif soumis à plusieurs strates de lecture. Une herméneutique est à l’œuvre, comme une enquête qu’il s’agit d’élucider à travers la boule cristal. Tarot, tables tournantes, fantômes, traces de pas, corps découpés : de ces curieuses mises en scène peuvent se tirer diverses hypothèses. Chacune comportant un versant sombre et un lumineux. Les gestes et relations sont dépeints dans un moment-bascule où la magie s’empare du sensé. La traditionnelle huile sur toile se décompose en diptyques, ceinte de cadres insolites et prolonge l’univers de l’œuvre au-delà de celle-ci, animant une atmosphère enchantée qui se répand comme une traînée de poudre.