Un entretien Boum! Bang!
L’art semble toujours avoir fait partie de sa vie, sa passion pour la sculpture l’a conduite à créer tour à tour trois galeries, dont la dernière se situe à Paris. Caroline Bayart nous raconte son histoire et celle des artistes qu’elle expose et défend avec son mari Thomas, en cultivant une certaine distance avec le marché de l’art et une sorte de décalage avec les modes du moment.
B!B!: Bonjour Caroline. Avant de devenir galeriste, quel a été votre parcours?
Caroline: J’ai commencé par une formation en histoire de l’art à la Sorbonne. En parallèle de ma thèse, j’ai travaillé pour un marchand-courtier positionné dans le haut de gamme et le « très confidentiel », avec des pièces de Toulouse Lautrec et de Pablo Picasso à plusieurs millions d’euros. Cela m’a permis de voyager, de travailler avec des musées et des galeries. Mais, rapidement, j’ai eu envie de plus de contacts avec les artistes et de voir plus de pièces. Je connaissais déjà bien Drouot et j’y suis allée de façon encore plus régulière pour rencontrer des jeunes marchands qui se forment là-bas. Mes premiers petits achats m’ont rapidement donné envie d’ouvrir ma galerie et de représenter des artistes.
B!B!: Comment est née votre première galerie?
Caroline: À l’époque où cette envie a fait surface, mon mari Thomas et moi travaillions à Paris. Nous nous sommes dit que cette ville était saturée et financièrement trop compliquée. En 2008, après avoir eu un coup de cœur pour un emplacement à Compiègne, notre ville d’origine, nous avons décidé d’ouvrir notre 1ère galerie avec pour objectif de nous développer dans le nord de la France, tout en restant proche de la capitale. Étant moi-même spécialisée dans l’art du 19ème siècle et du début du 20ème, nous pensions devenir marchands de tableaux de cette époque tout en organisant des expositions d’art contemporain, avec des artistes que nous aimions bien. La première a été consacrée à la peintre Hélène Legrand et au sculpteur Christophe Charbonnel que nous avions rencontrés dans des galeries et des foires à Paris. L’exposition s’est très bien passée, nous nous sommes très bien entendus avec les deux artistes et nous avons souhaité garder certaines pièces de Christophe à la galerie. C’est ainsi que nous avons commencé à travailler avec lui. À cette époque, ses œuvres étaient éparpillées dans 4 ou 5 galeries à Paris et il n’y avait jamais eu de vrai travail de promotion sur lui, ni aucune exposition. Notre galerie à Compiègne ne nous assurant pas beaucoup de visibilité, nous avons ouvert, 6 mois plus tard, une 2ème galerie au Touquet, ville nous permettant de toucher concrètement une clientèle parisienne et lilloise. Nous pensions alors exposer les œuvres de Christophe Charbonnel et d’un nouveau venu, le sculpteur belge Patrick Villas, mais très rapidement, nous sommes passés de simples marchands à agents. Paris, c’était l’objectif à 5 ou 6 ans et comme tout se passait très bien, nous avons ouvert plus vite que prévu un espaceau 17 de la rue des Beaux-Arts. Pour cela, nous avons fermé notre galerie du Touquet et avons reconverti notre galerie de Compiègne en réserve. Laurence Esnol, une amie galeriste a également joué un rôle important dans cette aventure.
B!B!: Justement, parlez-nous de Laurence Esnol, galeriste que Boum! Bang! a déjà eu le plaisir d’interviewer.
Caroline: Laurence Esnol et moi, nous nous sommes rencontrées sur les foires. Nous nous sommes vite rendues compte que nous avions la même clientèle et, c’est une coïncidence, mais nos projets de galeries ont grandi ensemble. Laurence nous a également prêté son espace du 22 de la rue Bonaparte pour présenter Christophe Charbonnel, une étape clé dans son parcours. Aujourd’hui, nous sommes voisins, nos artistes s’entendent bien, nous avons un respect mutuel pour nos démarches et nous avons créé une sorte de partenariat informel, ce qui n’est pas du tout habituel dans le monde des galeries. Et puis, j’ai l’impression qu’avec Laurence, nous sommes un peu les mêmes. Nous n’avons pas en nous le gène de la vente, mais plutôt un désir fort de partager. Cela nous amène par exemple à organiser avec nos artistes, nos amis et nos clients des ouvertures d’ateliers… ce qui entre nous change un peu du cadre classique des galeries.
B!B!: Quelle relation entretenez-vous avec les artistes qui vous sont fidèles?
Caroline: Avec ces sculpteurs, nous avons un vrai engagement sincère. Nous partageons beaucoup. Nous nous boostons réciproquement. Ainsi, nous les aiguillons, aussi bien en recherchant des lieux d’expositions qu’en les accompagnant dans l’exploration de nouvelles techniques. Avec Christophe, cela nous a conduits à faire la Foire européenne d’art contemporain de Lille (Lille Art Fair), celle de Strasbourg (St-ART), des expositions à l’Orangerie du Sénat et au musée Le Vergeur de Reims mais également à l’accompagner dans des fonderies à la recherche de nouvelles patines. Une vraie relation de confiance s’est installée entre nous, petit à petit, au fil des projets. Avant il y avait ainsi une scission entre son travail et la vente de ses œuvres et aujourd’hui, il nous a complètement intégré dans sa création. Il nous montre l’évolution de son travail, nous le rassurons et l’aidons à faire des choix. C’est par exemple en exposant un grand ensemble d’œuvres de lui que nous nous sommes rendus compte que toutes ses pièces avaient le même rendu, la même couleur et que cela créait un manque de rythme. Nous avons donc rencontré un patineur ensemble pour voir ce que nous pouvions faire de différent. La fragmentation de ses pièces vient également de ce genre de réflexion et de processus. Je pense donc que notre collaboration l’aide à évoluer.
B!B!: Pourquoi avoir fait le choix de la sculpture?
Caroline: Lors de ma collaboration avec le marchand-courtier dont je vous parlais, j’ai eu l’occasion de travailler sur la Collection Camille Claudel, un ensemble complexe d’œuvres qui se trouve aujourd’hui à Nogent-sur-Seine. En me plongeant dedans, j’ai plongé dans la sculpture. Mais mon goût pour la sculpture vient aussi du travail d’Igor Mitoraj, sculpteur polonais, que je suivais depuis de nombreuses années et dont on m’a offert une pièce lors de mes fiançailles. Et c’est un peu de lui que nous sommes partis pour découvrir le travail de Christophe Charbonnel et de Patrick Villas. Et c’est aussi pour cela qu’on s’est installés dans ce quartier, où, certes, il y avait beaucoup d’art africain, mais où il y avait également des galeries comme la Galerie Albert Loeb qui présentait les terres cuites de Georges Jeanclos ou la Galerie Claude Bernard représentant également Yvan Theimer et Pierre Edouard.
B!B!: Comment définiriez-vous le travail de Christophe Charbonnel et pourquoi avez-vous eu envie de défendre ce style en particulier?
Caroline: Il faut d’abord savoir que Christophe Charbonnel a été dessinateur pour les studios de dessins animés de Walt Disney. Il a également été modeleur 3D dans ces studios, travail consistant à modeler des personnages en trois dimensions pour les dessinateurs. Avec lui, tout commence donc par du dessin. Vous pouvez voir dans son travail une influence assez marquée par la bande dessinée et retrouvez dans les visages de ses sculptures les traits des héros de Moebius ou d’Enki Bilal. Ensuite, je dirais que son style est antiquisant, avec ses visages d’éphèbes et ses guerriers aux traits marqués qui lui permettent d’exprimer son talent pour les jeux d’expressions et de lumières. Il est également inspiré par le 19ème siècle et son travail se situe dans la continuité d’artistes comme Camille Claudel, Auguste Rodin ou encore Aimé-Jules Dalou. Ainsi, au cœur de ses créations se trouvent l’expression et la matière. Il utilise d’ailleurs des techniques anciennes, comme la technique du profil d’Auguste Rodin qui consiste à partir d’une pièce en terre plate, d’y créer un profil, puis d’y ajouter des boulettes de matière pour construire le visage. Et ces ajouts de matière lui ont permis de créer des creux, des trous, des fractures qui rythment ses pièces, leur donnent leur modernité et sont devenues sa marque de fabrique. Christophe aime également construire des ensembles d’œuvres très grands et des pièces monumentales, des créations qui nous ont encouragé à l’exposer dans des foires de plus en plus importantes.
B!B!: Quel est le profil de vos clients et des visiteurs de la galerie?
Caroline: Nous sommes installés depuis peu à Paris. Nous avons donc peu de recul… En tous les cas, nous avions au départ l’impression de ne pas être dans le marché et de surfer sur une sorte d’intemporalité. Finalement, nous avons recueilli beaucoup de bonnes réactions, beaucoup de surprises également, de la part de personnes étonnées par la qualité de ce travail figuratif classique. Des personnes qui ont apprécié notre décalage, le fait que nous ne soyons pas dans « l’art officiel » du moment, abstrait, conceptuel. Nous pensions vraiment que nous aurions du mal à trouver une clientèle et nous sommes très contents de charmer aussi bien des collectionneurs de peintures du 18ème siècle que des amateurs d’art contemporain que nous pourrions croiser à Art Elysées, capables d’avoir des coups de cœur, même pour des pièces monumentales pouvant atteindre 100 000 euros. Et c’est aussi pour cela que nous présentons dans la galerie des œuvres provenant de collections privées créées par des artistes, qui eux sont cotés, comme Igor Mitoraj et François-Xavier Lalanne.
B!B!: Justement, entre Charbonnel, Villas, Mitoraj et Lalanne… Comment définiriez-vous l’A.D.N. de votre galerie?
Caroline: C’est le figuratif et le dessin qui prônent, pas forcément la couleur. Cela reste large et intemporel car nous avons, à ce stade, besoin de nous laisser beaucoup de liberté. L’idée c’est que des artistes cotés comme Mitoraj et Lalanne portent des artistes plus jeunes comme Charbonel et Villas. Ils nous servent de références. Les rapprochements sont parfois très lointains entre eux, mais on retrouve un travail commun sur l’expression aussi bien chez Mitoraj que chez Charbonnel. Et il y a cette notion d’intemporalité que l’on retrouve chez tous nos artistes qui naviguent entre l’ancien et le contemporain. Ensuite, il n’y pas d’étiquette et l’idée de développement de notre galerie c’est d’avoir nos « permanents » pour lesquels nous assurons la promotion et de les associer le temps d’une exposition à des peintres, photographes, dessinateurs comme Bruno Mallart, que nous accompagnons également.
B!B!: Quels sont vos projets pour l’avenir?
Caroline: Nous suivons une sorte de ligne, étape par étape. L’idée, maintenant que nous nous trouvons au cœur de Saint-Germain, c’est d’y rester. Nous n’avons pas pour envie d’ouvrir une autre galerie ailleurs. Par contre, ce que nous voulons c’est prendre part à des foires internationales.
B!B!: Les chroniqueurs de Boum! Bang! ont pour habitude de terminer leurs interviews par une sélection de questions issues du questionnaire de Proust. En voici quelques-unes librement adaptées:
B!B!: Quel est votre artiste favori?
Caroline: Igor Mitoraj.
B!B!: Quelle est la galerie qui vous inspire le plus?
Caroline: La Galerie Claude Bernard.
B!B!: Quelle est la qualité que vous préférez chez un artiste?
Caroline: La sincérité.
B!B!: Si vous étiez un artiste, qui seriez-vous?
Caroline: Je ne serais pas sculpteur en tous les cas, car c’est un métier très compliqué.
B!B!: Quel artiste auriez-vous aimé rencontrer de son vivant?
Caroline: Léonard de Vinci. Il est tellement énigmatique. Il y a beaucoup d’écrits à son sujet et, finalement, on ne sait pas grand-chose de lui.
B!B!: Quelle est votre sculpture favorite?
Caroline: « Persée », un guerrier monumental de Christophe Charbonnel.
B!B!: Si vous deviez changer de métier, vous deviendriez?
Caroline: Je resterais dans l’art, car j’ai toujours été dedans. Je serais certainement documentaliste, conseillère artistique ou courtière.
B!B!: Quelle est votre ville favorite?
Caroline: Rome.
B!B!: Quel est votre musée préféré?
Caroline: Le Louvre.
B!B!: Quelle est la musique que vous écoutez en boucle en ce moment?
Caroline: Yann Tiersen.
B!B!: Quels sont votre principale qualité et votre principal défaut?
Caroline: La qualité: l’enthousiasme, qui peut être un défaut, car je peux m’emballer vite et cela peut se retourner contre moi. Mon mari trouve ça parfois épuisant.
B!B!: Quelle est votre devise?
Caroline: « Il faut vivre ses rêves plutôt que rêver sa vie. », une phrase d’Antoine de Saint-Exupéry.
B!B!: Et pour terminer, si je vous dis Boum! Bang!, vous me dites?
Caroline: Merci!
17 rue des Beaux-Arts – 75006 Paris. Métro: Saint-Germain des Près.
Mardi, mercredi, jeudi et vendredi de 14 h à 19 h. Samedi de 11 h à 19 h. Autres horaires sur rendez-vous.
17 cours Guynemer – 60200 Compiègne.
Ouvert sur rendez-vous.
Sculpteurs présentés et/ou représentés: Christophe Charbonnel, Igor Mitoraj, Patrick Villas et François-Xavier Lalanne.
Peintres présentés et/ou représentés: Christoff Debusschere, Sergio Ferro, Mohamed Lekleti, Bruno Mallart et Louis Treserras.