Rodin est un monstre sacré, au sens propre. Ses mains lourdes palpant la matière, ses doigts qui sculptent la chair de ces humains de pierre, son Balzac comme une ombre dangereuse, l’ombre du génie littéraire, l’ombre de cet écrivain qui est mort d’avoir passé des journées entières à trop écrire en buvant trop de café. Auguste Rodin (1840-1917) est un des plus grands sculpteurs français et ses œuvres marient avec audace la pesanteur et l’intensité avec la grâce. On l’imagine sans mal en artiste furieux, les mains sales et le regard fou. Et pourtant…
Le Rodin qui est montré actuellement au Musée Rodin, et ce jusqu’au 1er avril 2012, est un artiste évanescent, léger voire futile: ce sont ses dessins et aquarelles qui sont exposés. Il s’agit d’un travail quotidien, très répétitif, qui est fort différent de la sculpture. Il représente bien souvent des femmes alanguies, lascives, parfois dans des positions érotiques. Rodin utilise parfois des collages de mêmes modèles qu’il décline à l’envi. Il y a quelque chose qui rappelle Ingres dans ce travail: l’admiration de la féminité, un même modèle qui revient, les accumulations de femmes langoureuses… On est face à un hymne à l’amour et à la sensualité auquel correspondent parfaitement les touches d’aquarelles rajoutées sur le dessin.
La pratique de l’aquarelle oblige l’artiste à une esthétique ténue, suggérée, noyée dans un sentiment coloré léger comme un battement d’aile. Le pinceau trempé d’eau se frotte aux pigments et les étale sur le papier avec une certaine dose de hasard. Il est tout à fait passionnant d’observer que le résultat des aquarelles de Rodin est bien souvent du au caractère aléatoire de la pratique. Il y a parfois trop d’eau et la couleur crée de petites fissures: la peinture devient nuage. Ces ajouts de couleurs sur le dessin ne correspondent pas à un coloriage mais à une coloration. Rodin place un filtre, parfois même un kaléidoscope devant ses yeux pour regarder ses modèles. Cela rappelle le travail de Bert Stern (né en 1929) avec Marilyn Monroe: les photos dites de la « dernière séance » montrent une Marilyn toute en tactilité, offerte à l’objectif, que Bert Stern a coloré d’un geste qui semble jubilatoire et tendre.
Les dessins de Rodin poussent au fantasme mais aussi à un questionnement: doit-on les voir comme une sorte de genèse de son œuvre sculptée ? Est-ce un travail préparatoire ? Le témoignage de Clément-Janin de 1903 raconte : « Muni d’une feuille de papier posée sur un carton, et d’un crayon graphite – parfois d’une plume -, il fait prendre à son modèle une pose essentiellement instable, puis il dessine vivement, sans quitter des yeux le modèle. La main va au petit bonheur; souvent le crayon tombe à vide; le dessin se trouve décapité ou amputé d’un membre. Le maître ne l’a pas regardée une fois. En moins d’une minute, cet instantané du mouvement est pris. » Ce que cherche à cerner Rodin dans ses innombrables dessins est le jaillissement de la vie. Sa sculpture paraît innée, la forme semble avoir émergé de la matière en l’espace de quelques palpations de l’artiste. Rodin offre un art rapide et fort, dans ses dessins comme dans ses sculptures.
Musée Rodin
79, rue de Varenne – 75007 Paris
Téléphone : 01 44 18 61 10
Ouvert du mardi au dimanche de 10h à 18h
Nocturnes tous les mercredis de 18h à 20h45