Membre de la Casa de Velázquez en Espagne en 2015/2016 et lauréat du Prix Georges Coulon, Samuel Yal réalise des sculptures, des installations mais aussi des films d’animation, avec une préférence pour l’utilisation de la céramique et particulièrement de la porcelaine. Son dernier film « Nœvus » diffusé et primé dans de nombreux festivals internationaux est en sélection cette année pour le César du meilleur court-métrage d’animation. Boum! Bang!, qui avait déjà consacré un article à cet artiste, revient sur l’installation « Avènement ». Réalisée pour l’Église de la Madeleine à l’occasion de sa crèche contemporaine annuelle, l’œuvre, pourtant bien accueillie par la majorité du public, a suscitée une vive polémique et a valu à l’artiste l’ire de certains intégristes en tout genre. Si les médias ont couvert la polémique il nous est apparu judicieux de revenir sur cette pièce avec le recul du regard critique.
L’Église de la Madeleine de Paris invite depuis quelques années un artiste contemporain à présenter une crèche de Noël. Pour cette septième édition, Samuel Yal revisite le thème de la Nativité en tenant compte de son assise populaire et traditionnelle, mais aussi de la nécessité d’en déplacer certains codes. Aussi l’œuvre a-t-elle soulevé de nombreuses réactions, lesquelles furent parfois extrêmement violentes, ce qui ne manque pas d’interpeller sur les relations qu’entretiennent l’art et les lieux de culte, tout comme, finalement, sur la conception que se fait un certain public de l’art contemporain.
Rappelant qu’il n’y a pas de représentation idéale de la crèche de Noël, ce qui justifie d’autant plus le choix d’inviter chaque année un artiste différent, la proposition de Samuel Yal est à la fois cohérente avec l’ensemble de son œuvre et audacieuse dans la perspective qu’elle dessine à l’égard du monde actuel. Dans le cas présent, cet Avènement consiste en une installation où gît en son centre un nouveau-né fait de la cire consumée par les bougies de la paroisse. L’enfant est disposé sur un monceau de photographies de portraits en noir et blanc dont certaines, passées à la broyeuse, figurent en un monticule de paille. La position quasi fœtale, la blancheur diaphane et la texture légèrement luminescente du nouveau-né, comme si une flamme vacillait en lui, témoignent d’une fragilité certaine, tandis qu’une dizaine de paires de mains, elles-mêmes faites de cire, sont suspendues dans les airs, simulant des gestes attentionnés, des gestes de prière ou de dévotion ou bien aussi de crispation ou de refus. Les quelques trois cents photographies qui tapissent le sol décrivent des portraits de personnalités ayant influé sur le cours de l’histoire, en bien ou en mal. On y retrouve ainsi les effigies des dictateurs et des criminels les plus sanglants, mais aussi des saints et des martyrs, des résistants, des militants ou des victimes anonymes. Tous s’enchevêtrent en une sorte de magma global et polymorphe plus à même de mimer l’humanité dans toute sa diversité.
Le projet de Samuel Yal est porté par une proposition forte, celle qui consiste à occulter certaines conventions en matière de représentation et d’identification, ceci au profit d’une idée de l’indivision et de la globalité. Plus précisément, on peut relever l’absence de figures traditionnelles – la Sainte-Famille, les Rois mages, les animaux –, c’est-à-dire constater une sorte de processus de dépersonnalisation des motifs apparaissant généralement dans le récit de la Nativité. Dépersonnalisation qui s’applique également à la partie supérieure de l’installation, car si les mains ondulant sur le fond étoilé allusionnent des anges en suspension, elles semblent en réalité appartenir à des individus biens réels d’âge et de sexe différent. Enfin, pareillement, on ne peut que souligner le surcroît de visages photographiés parfaitement identifiables et enracinés – pour certains très vigoureusement – dans les imaginaires contemporains. La somme d’images contribuant à relativiser les singularités individuelles, toute personne, aussi notoire soit-elle, ne constitue plus que la composante anonyme d’un ensemble bien plus vaste.
Dans la lecture de ce qui semble dépeindre une forme d’universalisme pour lequel chaque individu serait équivalent à un autre, on constate que la nuance apportée par le projet de Samuel Yal consiste non tant à amalgamer des hommes selon leur race, leur couleur ou leur confession, mais à les mobiliser selon leurs actes et leur postérité historique en termes de positionnement vis-à-vis d’une conception du bien et du mal. Par extension, les hommes ne seraient pas seulement égaux devant l’Éternel, à la naissance, ils le seraient tout autant au terme d’une existence bien remplie, quelles que soient la nature et les conséquences de leur conduite, ce qui suppose sans doute une idée de la miséricorde, mais aussi une évocation du Jugement dernier où il n’appartient pas aux hommes de juger les morts selon leurs œuvres.
Au-delà des aspects théologiques soulevés par cet avènement, il s’agit également de pointer la nature confuse et versatile du monde contemporain, tel qu’on le lègue à nos descendants, rappelant que le contexte social et culturel qui voit naître le Christ est loin d’être serein. Toute naissance ou tout avènement traduirait en cela une survenance inévitablement inscrite dans le fil continu d’une Histoire dont il importe de prendre conscience. En parallèle, il est important de souligner la résonance de cette thématique de la continuité et du devenir avec l’œuvre de Samuel Yal prise dans sa globalité, lui qui s’est très souvent attaché à retranscrire des corps qui s’évident ou qui se fragmentent, car en proie à des forces transformatrices et évolutives. Autrement dit, il a toujours été question de figurer un homme générique et universel, tel qu’il se heurte aux infimes frontières de son être et fait écho aux flux du monde. De même, en retrouvant avec cet Avènement un vocabulaire plastique fait de matériaux vulnérables et d’éléments en suspension propres à figurer la proximité sinon le dialogue entre le matériel et l’immatériel, peut-être entre le corps et l’esprit, l’œuvre acquière une dimension méditative qui n’est pas si éloignée, quoi qu’on en dise, d’une vraie forme de recueillement.
Dès lors, peut-être peut-on affirmer que le caractère audacieux de la proposition de Samuel Yal ne repose pas véritablement sur les omissions symboliques ni même sur l’intégration de photographies d’illustres meurtriers, mais sur un appel à la responsabilisation. Si le monde change, évolue, parfois dangereusement, l’artiste accomplit en effet doublement son rôle, celui qui consiste, d’une part, à éveiller les consciences au regard d’une actualité et d’un contexte particulièrement âpres, et celui, d’autre part, qui a pour vocation d’initier des élans salvateurs, car novateurs.
« Avènement » est une installation de Samuel Yal proposée par la Galerie Ariane C-Y
Curé de la Madeleine: Père Bruno Horaist
La crèche sera visible tous les jours aux horaires d’ouverture habituels de l’Église de la Madeleine, de 9h30 à 19h.
Entrée libre