À première vue, c’est sans doute la finesse et la légèreté qui caractérisent le mieux les sculptures de Samuel Yal. Souvent flottantes ou suspendues, parfois fragmentées au point de laisser passer l’air, leur fragilité relève aussi bien de leur blancheur délicate que de leur méticulosité. D’emblée, les principes originels de la sculpture sont contredits, car l’œuvre ne se fait plus massive ni compacte, mais éclatée et aérienne, comme prise d’apesanteur.
Utilisant le plus généralement la céramique, l’artiste donne corps à une transparence quelque peu paradoxale puisque les formes s’ébauchent tout en paraissant s’effacer. La tension entre vide et plein est ainsi au cœur de son travail, comme on le perçoit avec ces corps morcelés qui s’élèvent dans « Corpuscule » et « Dissolution II ». Dans cette dernière en particulier, les fragments enclenchent une ascension qui n’est pas sans évoquer la dissociation du corps et de l’esprit, participant à une esthétique de la sculpture où ce qui importe n’est pas toujours ce qui se touche ou ce qui se voit, mais ce qui s’évade. Aussi est-ce ce qui donne une profondeur introspective aux travaux de l’artiste, notamment lorsque l’on considère ces postures un peu rigides, les bras tendus, pris dans le temps du recueillement, ou peut-être celui de l’attente.
Ces corps qui s’évaporent ne font rien d’autre que d’imposer une forme de présence, alors même qu’ils se décomposent, s’évident, retournant à l’état de poussière, à l’image de ces pièces aux noms évocateurs: « Dissolution », « Dispersion », « Évanescence ». Il domine alors un sentiment de tranquillité et de quiétude nullement démenti par ces visages aux yeux toujours clos, tel un Bouddha dont on dit qu’il ne ferme pas les yeux sur le monde, mais les tourne vers l’intérieur d’une âme au moins aussi vaste que le Cosmos.
On relève alors à travers les sculptures de l’artiste une impression de lenteur, or c’est peut-être là que réside l’essence même de son travail. En effet, que signifie dans le fond la lenteur, ou plutôt, la perception de la lenteur, si ce n’est le sentiment diffus d’assister au passage d’un temps qui à la fois s’élance et s’arrête, c’est-à-dire, un temps suspendu? De même, comment appréhender une œuvre qui constamment contrarie les identités, la durabilité et les certitudes, si ce n’est en la confrontant à une pensée du devenir où prévalent le mouvement, l’éphémère et l’imprévisible? Notions qui assurément résonnent avec de nombreux aspects de l’œuvre de Samuel Yal, ne serait-ce parce que nous avons l’impression non pas de voir, mais d’assister à des sculptures qui adviennent, saisies par le flux du temps, emportées par des forces invisibles et déformatrices. Avec « Dissolution » par exemple, le visage éclaté transmet une sensation d’explosion quand pourtant, le temps pétrifié induit une sorte d’indolence méditative. Une tectonique des corps se met en place, elle nous invite à observer chez l’artiste des forces intrinsèques qui cheminent en toute chose, se confrontent à d’autres forces, convulsant les formes, les enjoignant à ne jamais interrompre le mouvement qui les anime.
Si les sculptures de Samuel Yal doivent être appréhendées sous la perspective du transitoire et de l’éphémère, c’est aussi une pensée de la vie qui est convoquée, ceci d’autant plus que la mort, l’inerte et le gisant constituent des espaces de représentation que semble aussi explorer l’artiste. Cette dialectique opérante entre vie et mort, clamant l’être à travers le non-être et perceptible dans l’œuvre intitulée « 21 gr », poids supposé de l’âme, ne signifie pas la simple opposition des contraires, mais leur complicité. Le devenir concilie en effet les hétérogènes pour les rendre compatibles. De là le dialogue qu’opère l’artiste entre intériorité et extériorité, notamment avec cette tête sertie de piques, « Impression/Empreinte », dont on discerne finalement les traits du visage en négatif, tout comme ces piques arborent un je-ne-sais-quoi tactile, ne se contentant pas d’être simplement répulsives, mais également engageantes: le spectateur finit par toucher du regard, épousant les aspérités de la matière avec les yeux.
Pareillement, l’ensemble de sculptures intitulé « Métamorphose », lequel nous renvoie à une succession de corps informes qui pourtant prennent forme, celle d’une substance fœtale en pleine évolution, nous dévoile des déclinaisons successives qui ne sont pas sans évoquer les chronophotographies de Eadweard Muybridge et Étienne-Jules Marey. Or si ces dernières firent débat il y a plus d’un siècle, c’est parce que l’on pensait être en mesure de percevoir, enfin, le mouvement, alors qu’en réalité, il ne s’agit que d’une retranscription illusoire. Pour autant, tous s’accordèrent sur la grâce de ces volutes qui renvoyaient en définitive à une esthétique de la fluidité. On retrouve ici l’intérêt que porte l’artiste pour le cinéma d’animation, mais aussi pour les processus morphogéniques en général, c’est-à-dire pour les mécanismes intermédiaires qui composent et décomposent les formes et les images. Parfois même, ces sculptures fragmentées qui laissent apparaître une sorte de squelette immatériel semblent scrutées par le mécanicien débordant de curiosité à la vue d’un moteur nouveau. L’importance est donc accordée aux processus de création, aux modes de fonctionnement de ces machines en réalité soulevées par une énergie créatrice, tel un souffle de vie à peine perceptible, mais redoutablement puissant.