Un entretien Boum! Bang!
Photographe français de 24 ans, Adrien Ehrhardt aime nous coller ses portraits dans la face. Qu’il immortalise des inconnus ou qu’il ressuscite des morts, son regard curieux a pour objectif de faire changer le nôtre. Polyvalent manipulateur d’images, il photoshope ses photographies pour en faire une mise à jour à sa manière. Un garçon bien dans ses baskets et bien dans son époque.
B!B!: Pourquoi avoir opté pour la photographie et le travail de l’image?
Adrien: Je me suis intéressé à l’image à l’âge de 12 ans, dès que j’ai eu un ordinateur entre les mains. Il m’a permis de faire des recherches, de découvrir des artistes puis de commencer à bricoler des images grâce à Photoshop ou à des logiciels de 3D. J’ai ensuite fait 3 ans d’étude en infographie 3D à la HEAJ (Haute École Albert Jacquard) en Belgique puis 2 ans à Toulouse à l’ETPA, une école de photographie. À la fin de ce cursus, je me suis installé à Paris, j’ai travaillé pendant quelques temps dans une start-up en tant que designer graphique et aujourd’hui, je suis freelance à 100%. En fonction des besoins de mes clients, je fais de la photographie, de la retouche photo, du graphisme pur, du design, de la 3D, de la vidéo, de la retouche vidéo et du compositing. La photographie n’est pas qu’un travail puisqu’elle est également une passion. Et c’est dans le cadre de projets plus personnels que je recherche et trouve l’instantanéité, la spontanéité, la dimension humaine qu’il manque parfois à mon univers professionnel très digital où les images sont fabriquées morceau par morceau et peaufinées pendant des heures.
B!B!: Quels artistes t’ont influencé?
Adrien: Depuis tout petit, je me suis abreuvé d’images sur Internet sans forcément m’intéresser à leurs auteurs et à leur histoire. Plus récemment, en me lançant dans la photographie, il y a quand même quelques grands noms qui m’ont vraiment impressionné: David Lachapelle, notamment, pour ses retouches, Erwin Olaf ainsi que Terry Richardson parce qu’il est très cru, tout le contraire de moi qui aime tout ce qui est léché. J’aimerais le rencontrer pour lui demander comment il fait pour « entrer » dans les gens avec une telle facilité et créer des images à la fois très construites et très spontanées.
B!B!: L’humain est omniprésent dans toutes tes photographies. Pourquoi?
Adrien: L’humain, c’est ce qu’il manquait à mon travail quand j’ai commencé à trafiquer des images et c’est la photographie qui m’y a donné accès. L’humain est un sujet qui me passionne. Même s’il a été énormément abordé, il est tellement vaste qu’il peut être interprété de manières très différentes et avec un œil encore neuf. Ce qui m’intéresse également, c’est de montrer l’humain comme les gens n’ont pas l’habitude de le voir ou de montrer des humains qu’on ne voit plus alors qu’ils sont sous nos yeux. En ce moment, j’aimerais par exemple travailler sur le monde punk pour essayer d’établir une sorte de constat sur ce groupe. Je voudrais montrer quel est leur rapport avec les autres personnes ainsi qu’étudier l’image que nous avons d’eux et l’image qu’ils ont d’eux-mêmes.
B!B!: Quelles personnes t’inspirent le plus?
Adrien: C’est avec les personnes que je ne connais pas du tout que je préfère travailler car cela implique que les photographier et donner ma vision d’eux va être plus compliqué et donc plus intéressant. J’aime également travailler avec des inconnus car cela me permet de faire des rencontres et des découvertes.
B!B!: Le portrait, c’est ton truc. Tu as envie de continuer dans cette direction ou d’essayer autre chose?
Adrien: Le concept de portrait sera toujours présent dans mes travaux personnels, de près ou de loin. Ce qui change au fond, c’est le style et la technique comme lorsque je réalise des instantanés qui sont selon moi la plus pure des façons de faire du portrait. J’ai également un autre projet qui lui aussi sera sur l’humain, mais tout en 3D cette fois-ci. En effet, grâce à une imprimante 3D et à un logiciel me permettant de modifier ma Kinect, je peux scanner des gens et imprimer en trois dimensions des bustes extrêmement fidèles à leur modèle. Ce nouveau procédé me donne plein de nouvelles idées et m’amuse car il permet aux gens de se voir avec des angles de vue impossibles dans la vraie vie.
B!B!: La manipulation et la retouche informatique transpirent par tous les pores de certaines de tes œuvres. Cela fait-il vraiment partie de ton A.D.N.? Est-ce un simple plus ou une véritable obligation pour un jeune photographe aujourd’hui?
Adrien: Je suis attiré par l’image en général et si une photo est très retouchée et qu’elle ne ressemble pas à l’image initiale cela m’importe peu. Par contre, je pense qu’il faut savoir adapter ses retouches, les doser. Ma série sur les proverbes est volontairement très retouchée. Pour les bouchers, au contraire, on ne peut pas vraiment savoir, c’est beaucoup plus subtil. En ce qui concerne les jeunes photographes, je dirais que même si « retoucheur » est un métier à part entière, les apprentis photographes doivent savoir comment mettre en valeur leurs images pour pouvoir les présenter et sortir du lot. C’est un passage obligé. Il leur faut donc savoir maîtriser les outils de production de retouche, utiliser les bons codes et rendre leur travail plus attractif en l’allégeant de certains éléments. À ce titre, la peinture et le dessin sont de bonnes références. Tout y est contrôlé alors qu’en photographie ce n’est pas le cas, il y a toujours des petits détails dont il faut se débarrasser si on veut que l’image soit claire et efficace. Aujourd’hui, être un jeune photographe uniquement photographe est plus compliqué. C’est pour cela que j’ai misé sur la polyvalence. Cela me permet de mieux m’en sortir et de pouvoir financer mes projets perso. Et puis, de toutes les façons, je me sens un peu mal quand je fais tout le temps la même chose. Je me lasse vite. J’aime bien toucher à tout, pouvoir créer sur tout, avoir de nouveaux savoirs et me mettre à jour sur des logiciels que je pratique depuis longtemps.
B!B!: Quelle est la photographie ou la série de photographies dont tu es le plus fier?
Adrien: La série « Meat your Maker » ou « 4°C ». J’ai fait cette série à Toulouse pour mon école. Nous devions travailler sur un reportage, discipline « dans le vif » avec laquelle j’ai un peu de mal à cause de mon besoin de tout contrôler. J’ai commencé par aller voir ces bouchers qui travaillent dans une boucherie industrielle. Ils y réceptionnent des carcasses et découpent les morceaux de viandes que nous retrouvons ensuite dans nos assiettes. J’ai commencé par faire beaucoup de photos d’eux pendant leur travail en les suivant. Petit à petit, l’idée est née en voyant d’un côté les carcasses et de l’autre côté les hommes. Je me suis dit que cela pourrait être intéressant d’essayer de montrer ces personnes qu’on ne voit jamais et qui pourtant nous permettent de nous nourrir. J’ai également voulu créer un lien entre eux et montrer la relation que l’homme peut avoir avec son travail tout en étant à la fois objectif, subtile dans mes retouches et en jouant sur les formes, les poses, les expressions et l’opposition entre la viande crue et leurs tenues de travail immaculées. Aujourd’hui, la série a 3 ans. Elle a été exposée à la MID (Maison de l’Image Documentaire) de Sète et, le mois dernier, pendant le Photomonth de Londres aux côtés des œuvres d’Alex Grace, Daniel Kukla et Martin Usborne dans le cadre d’une exposition (« For our pleasure ») traitant de la relation entre les hommes et les animaux.
B!B!: Peux-tu nous parler de ta série « Le jour des morts »?
Adrien: En fait, j’aime depuis longtemps cette fête du Jour des Morts au Mexique et son décalage culturel avec nos traditions. Je trouve que c’est très fort de pouvoir considérer la mort comme une fête et non comme une perte. L’idée est venue d’une image trouvée sur Internet, celle d’une manifestante tenant une énorme pancarte sur laquelle on pouvait voir un politicien dessiné en noir et blanc et transformé en clown grâce à un maquillage rouge. J’ai trouvé que cette transformation donnait à son visage des airs de masques mortuaires. Je me suis donc lancé dans cette série qui est un hommage à la fois à la culture mexicaine et à toutes ces stars disparues. Les célébrités se sont imposées à moi car tout le monde les connaît. Je les ai détournées et j’ai été très étonné de voir à quel point ce maquillage pouvait complètement modifier leurs expressions.
B!B!: Les chroniqueurs de Boum! Bang! ont pour habitude de terminer leurs interviews par une sélection de questions issues du questionnaire de Proust. En voici quelques-unes librement adaptées:
B!B!: Quel est ton photographe préféré?
Adrien: Erwin Olaf.
B!B!: Quel est ton portrait préféré?
Adrien: « Fig 11.26 », un portrait réalisé par Jenny Saville.
B!B!: Quel artiste aurais-tu aimé rencontrer de son vivant?
Adrien: Andy Warhol.
B!B!: Si tu devais te réincarner en un appareil photo, lequel serais-tu?
Adrien: Un Instax.
B!B!: Qui aimerais-tu photographier par-dessus tout?
Adrien: Le groupe Die Antwoord. Cela me plairait beaucoup de jouer avec leur univers.
B!B!: Si tu étais une fonction du logiciel Photoshop, laquelle serais-tu?
Adrien: Le pinceau car il permet de peindre et de redessiner tout ce qui ne va pas.
B!B!: Si tu étais un proverbe, lequel serais-tu?
Adrien: Il ne faut pas remettre au lendemain ce qu’on peut faire le jour même.
B!B!: Dans la vie, quelle est ta devise?
Adrien: Crée ou meurs.
B!B!: Quel mort célèbre aimerais-tu être?
Adrien: Freddie Mercury.
B!B!: Si tu étais une partie du bœuf, laquelle serais-tu?
Adrien: Un steak.
B!B!: Si tu devais exercer un autre métier, lequel ferais-tu?
Adrien: Sculpteur.
B!B!: Ton nom de famille est un casse-tête à prononcer. Si tu pouvais en changer, comment t’appellerais-tu?
Adrien: « Renaud », comme ma grand-mère.
B!B!: Quels sont ta plus grande qualité et ton plus grand défaut?
Adrien: Une qualité, la persévérance. Un défaut, être trop pointilleux, ce qui empêche d’avancer.
B!B!: La musique que tu écoutes en boucle en ce moment?
Adrien: « Le mal que je n’ai pas fait. », le nouvel album d’Oxmo Puccino.
B!B!: Boum! Bang! en photo, que cela pourrait-il donner?
Adrien: Des photos d’énormes explosions d’immeubles, avec en premier plan, des foules de gens très colorées.
B!B!: Et pour terminer, si je te dis tout simplement « Boum ! Bang! », tu me dis?
Adrien: Pan.