Aux images Zoer préfère les mots car les seconds se rapprochent du cri (que leur graphisme revigore). Fidèle à l’esthétique street-art, le lillois aime que les lettres puissent aussi être vues sans être lues dans leurs lignes et volumes par où tout commence. D’où son invention d’éléments optiques denses qui interrogent et apostrophent. La concentration phrastique propose des courants alternatifs propices à un autre apprentissage de la lecture et de l’art. Les lettres sortent de « caveaubulaire » abstrait. Formes et couleurs ouvrent des séries de champs sémantiques. Ils relient autant l’homme au chien errant que l’instinct à l’intelligence.

Pour Zoer le graff devient la taupe faussement dormante capable de décrypter et de pervertir les messages stéréotypés des slogans et des publicités « officiels ». Sous impression d’un logo « absent » l’artiste fait évoluer l’alphabet et l’écriture selon un ordre de la disparition et de la renaissance. Il calcine les « polices » de tout acabit: celles de l’imprimerie comme celles qui courent après les délinquants de la bombe et du pochoir.

Une telle écriture-peinture entretient autant l’ignorance de ceux qui ne voient là que vandalisme qu’un savoir neuf par les multiples hypnoses fomentées. Contre l’empâtement du discours médiatique surgit une volte-face. Elle formule l’endroit d’une inspiration opposée à la numérotation de l’écriture machinale. La géométrie et ses couleurs proposent donc un chiffrage dérangeant et décalé.

Plus que chez d’autres graffeurs avec Zoer l’immobilité d’un écran de béton est mise en mouvement par les « inserts » qui le ponctuent. Surgit un vertige littéraire et plastique jouant sur des systèmes de permutations et d’orientations imprévues. Comique parfois le graff intègre une inspiration mystérieuse et le renversement d’un chaos dans un autre. L’artiste poursuit et approfondit non seulement l’histoire du graffiti mais aussi son  style en tissant tout un réseau de correspondances. Recevant un relief imposant la lettre crée chez lui le réel. Elle l’engendre, le définit. L’alphabet tordu de Zoer redresse de manière paradoxale l’écriture, ses lignes et ses mots trop droits. Il s’agit de rompre la parole admise pour retrouver un alphabet qui ne tombe pas sur la page mais prend la forme de nuages colorés. La prétendue ignorance de la rue règle donc ses supposées erreurs par les corrections de l’artiste. Tandis que la ville dort il libère des renaissances car le seul devoir du créateur reste de rêver la réalité.

Zoer, street art
© Zoer
Zoer, Moscow
© Zoer, Moscow 14, Aerosol, glycéro et grattage sur mur
Zoer, Zoerism
© Zoer, Zoerism swiz, Menilmontant, Paris
Zoer, Thessalonique
© Zoer, Thessalonique, Velvet, Grèce 2014
Zoer, AARHUS
© Zoer, AARHUS, Danemark

Le Lillois ne s’en prive pas. D’un graff à l’autre une violence figurale exulte: non pour crucifier le monde mais pour mettre en flamme une peur et une angoisse que les peintres dit d’atelier ne connaissent peut-être pas. Soumis à un régime culturel différent le graffeur met à nu la vie secrète d’une scène alternative séparée du monde de l’art (qui ne cesse au passage de récupérer cette approche). Qu’importe après tout: Zoer polarise toute une panoplie de songes et de cauchemars. L’être « aculturel » s’il traverse la surface du graff n’y est pas englouti: il y contemple la nuit, sa lumière, tout ce qui joue dessus ou dedans et qui refait surface. Il y a le passage de l’ordre à la destruction des apparences. S’inscrit – même lorsqu’il n’est pas à l’image – le corps rappelé à l’existence par delà les frontières du sens et de la règle. Existe aussi le plaisir de la transgression, l’opacité et la transparence dans le choc de la sensation.

Au milieu des No man’s land et leurs pans d’ombre, l’artiste devient un meurtrier de l’art pour sa renaissance. Dans la lumière fractale qui forme des masses et que les phares de quelques voitures balayent au retour de virées nocturnes Zoer par ses flagrants délits et délires parent bien des solitudes en donnant des mots et des images à ceux qui se sentent exclus. Grâce à la trame d’un discours où s’entrecroisent, s’échangent divers faisceaux de sensations et d’émotions, d’images et de lettres, de courbes et de couleurs, le voyeur devient l’halluciné. Avec Zoer le graff traverse l’espace qui le sépare du monde même si celui-ci tente de le tenir à distance respectable  À ce titre « muséer » le tag est une manière de l’aseptiser. L’artiste du Nord ne le permet pas: il reste autant insaisissable que suffisamment prégnant. Bref ni trop proche, ni trop lointain comme dans la matière de ses rêves ou de ses cauchemars. Ils sont tout compte fait les nôtres.

Zoer
© Zoer, Hong Kong, 2011
Zoer, London
© Zoer, Londres, 2011
Zoer, Fenêtre sur toit
© Zoer, Fenêtre sur toit, huile sur papier, 50x65cm
Zoer, Cycle flottant
© Zoer, Cycle flottant, huile sur papier, 50x65cm
Zoer, Quatre vingt jours
© Zoer, Quatre vingt jours, huile sur toile, 60×80 cm
Zoer, Grands ensembles
© Zoer, Grands ensembles, huile sur toile, 116×81 cm
Zoer, À l’Est rien de nouveau
© Zoer, À l’Est rien de nouveau, huile sur toile, 162×130 cm
Zoer, Bois fleuri
© Zoer, Bois fleuri, huile sur toile, 60×80 cm
Zoer, NRMT gray
© Zoer, NRMT gray, acrylique sur carton, 30×40 cm
Zoer, TPI food
© Zoer, TPI food, acrylique sur carton, 30×40 cm