Vincenza Mirisola est d’origine belge et, pour elle, ce détail n’est pas anecdotique. Elle dit par exemple que cela lui permet d’être décalée sans être cynique, légèrement provocatrice sans être choquante. Elle pourrait dire « je joue donc je suis ». Or, à une époque où l’on peut décliner sa tête à toutes les sauces, la filtrer et la recadrer à volonté, cette posture du jeu devient comme un instrument de mesure pour le photographe. En détournant légèrement les objets quotidiens de leur utilité elle met à nu les fondations imaginaires du réel. L’absurde s’impose quand la raison grince. Surréel, vole à mon secours!

Vincenza Mirisola, sans titre, argentique Vincenza Mirisola, sans titre, argentique ©
Vincenza Mirisola, sans titre, argentique ©Vincenza Mirisola, sans titre, argentique ©
Vincenza Mirisola, sans titre, argentique ©Vincenza Mirisola, sans titre, argentique ©

Dans sa façon d’appréhender la photographie, Vincenza Mirisola donne à voir l’image comme lieu ouvert aux possibles jeux d’interprétation. Ses images, simples et sobres, s’offrent d’emblée telles qu’elles sont: le reflet d’un instant T du réel. Si elles sont mises en scène avec un souci du détail presque obsessionnel, les photographies ne sont là que pour capter l’essence d’un geste habituel, presque mécanique ou du moins symptomatique d’un certain féminin: boire élégamment son café, apprécier le parfum d’une rose, préparer sa sortie (en se lissant les cheveux ou en les attachant). Ce n’est d’ailleurs pas un hasard si de nombreuses scènes se passent à l’heure du bain puisqu’il s’agit des coulisses de la représentation, une sorte d’avant-scène: un endroit protégé du regard extérieur qui offre au sujet une respiration. Ce lieu à la fois géographique (la salle de bain/la chambre) et temporel (le temps avant l’offrande au regard de l’autre) est aussi le lieu de l’évasion, celui où le sujet peut s’échapper en lui-même. D’où ces regards absents, comme absorbés par un au-delà d’eux mêmes, où la sur-conscience habituelle du moi semble être remplacée par une absence à mi-chemin entre nostalgie et bêtise.

Il faudrait d’ailleurs revenir aux textes de Baudrillard pour saisir la stupéfiante étrangeté de ces clichés. Car le décalage des gestes habituels, leur transformation en une caricature qui aurait pu tendre vers le ridicule si elle n’avait été saisie par la délicatesse de l’artiste rend bien compte de l’impasse de la raison: ces portraits de l’intime ne peuvent être réfléchis.

« Photographier n’est pas prendre le monde pour objet, mais le faire devenir objet, exhumer son altérité enfouie sous sa prétendue réalité, le faire surgir comme attracteur étrange, et fixer cette attraction étrange dans une image. »

« Si une chose veut être photographiée, c’est justement qu’elle ne veut pas se réfléchir. C’est qu’elle veut être captée directement, violée sur place, illuminée dans son détail. Si quelque chose veut devenir image, ce n’est pas pour durer, c’est pour mieux disparaître. Et le sujet n’est un bon médium que s’il entre dans ce jeu, s’il exorcise son propre regard et son propre jugement, s’il jouit de sa propre absence. »

Jean Baudrillard, « Car l’illusion ne s’oppose pas à la réalité », éd. Descartes &Cie, 1998.

Vincenza Mirisola, sans titre, numérique Vincenza Mirisola, sans titre, numérique ©
Vincenza Mirisola, sans titre, argentique ©Vincenza Mirisola, sans titre, argentique ©
Vincenza Mirisola, Bird, argentique Vincenza Mirisola, Bird, argentique ©
Vincenza Mirisola, sans titre, argentique Vincenza Mirisola, sans titre, argentique ©
Vincenza Mirisola, Soleil, argentique Vincenza Mirisola, Soleil, argentique ©
Vincenza Mirisola, sans titre, argentique Vincenza Mirisola, sans titre, argentique ©
Vincenza Mirisola, sans titre, argentique Vincenza Mirisola, sans titre, argentique ©

Enchainée, enfermée, bâillonnée, tiraillée par sa condition, la femme que « peint » Vincenza Mirisola n’est pas soumise. Elle est belle et forte comme sa chevelure, légère et gracieuse dans son envol (bird), indifférente à la douleur (voir le dernier cliché sur la couture), elle s’assume. En effet, les clichés, s’ils donnent tous à voir un aspect différent de ce que l’on pourrait nommer « féminité », offrent surtout un accès sans fard au réel puisque, sur toutes les photographies, la texture de la chair et le grain de la peau ne sont jamais cachés mais au contraire révélés par un geste photographique quasi cru. Surtout, elle n’est pas craintive. C’est peut-être là qu’est toute la poésie du geste photographique: offrir un portrait qui n’est pas dans la revendication, un reflet plein de contradictions et qui, finalement, donne accès à la richesse du réel.

Vincenza Mirisola, sans titre, argentique Vincenza Mirisola, sans titre, argentique ©
Vincenza Mirisola, sans titre, argentique Vincenza Mirisola, sans titre, argentique ©
Vincenza Mirisola, sans titre, argentique Vincenza Mirisola, sans titre, argentique ©
Vincenza Mirisola, sans titre, argentique Vincenza Mirisola, sans titre, argentique ©
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L’ambiance de l’œuvre de Vincenza Mirisola est douce-amère puisqu’en évoquant les lieux communs de la féminité elle les transforme et révèle la violence qui les sous-tend. Ce n’est pas pour autant une œuvre monstration, pas plus qu’une œuvre virulente. Elle offre plutôt à voir avec générosité et intransigeance les sous-titres d’un être femme qui n’est rien d’autre  – et rien de moins – qu’un être humain. En ce sens, l’atmosphère qui se dégage de ce travail n’est pas très éloigné d’une chanson comme L’amour et la violence de Sebastien Tellier.