Au bord de la piscine, de jolies jeunes filles se dandinent dans leurs maillots de bain micro-sexy, suçotant des glaces comme des gamines et prenant des poses de pin-up. À côté de leurs serviettes humides, des touristes d’un autre âge prennent le soleil en maillots à fleurs, dans la langueur de leur fin de vie tranquille. Au loin, un gâteau dégouline de sucre, tandis que l’eau de la piscine est toujours plus bleue, plus tiède et chlorée.
Un goût de vacances façon Palavas-les-Flôts trône sur ces vues hollywoodiennes de la vie moderne, faisant des congés payés durement acquis des sommets de mauvais goût mondialisé. Imitant des cadrages de selfies et de photographies de vacances, Vincent Gautier donne une image de l’air du temps tout en flashs et en clichés soigneusement orchestrés: notons que, aussi étonnant et prodigieux que cela puisse paraître, il ne copie aucune photographie et compose selon son inspiration. Publicitaire depuis de nombreuses années, il explique devoir sa facilité hyper-réaliste à son attention quotidienne pour les détails photoshopés: derrière son aisance, on pensait deviner une méticulosité d’insecte fou, il parle lui de « supercheries », acquises au fur et à mesure de ses travaux en 3D.
Exposées au Salon de Montrouge 2015, les peintures de Vincent Gautier font partie des images les plus utilisées par la presse pour illustrer les articles sur le Salon. Parfois même, elles illustraient un article consacré aux vainqueurs des différents prix dont il ne fait pas partie. Il a donc l’art, très précieux de nos jours, d’attraper le regard et de le retenir en otage, arrêtant durant quelques secondes le cours des milliers d’images qui défilent devant nos yeux. Et tout le mystère est là: pourquoi s’arrête-t-on devant les toiles de Vincent Gautier? Est-ce grâce aux corps graciles des demoiselles dénudées, ou est-ce du à la fascination fluorescente que peut provoquer cette iconographie cynique à la Martin Parr?
Nous avons rencontré Vincent Gautier quelques jours après le vernissage du Salon pour lui poser des tas de questions sur le pourquoi du comment de telles images. Grand, athlétique, soigné et très poli, Vincent Gautier est séduisant en diable et parle avec intimité de son art, les racines de son imaginaire se trouvant dans un tout autre jardin que celui que nous imaginions. Devant un verre de blanc pour nous et un Perrier pour lui (rien d’étonnant pour celui qui peint le culte du corps), il raconte…
« J’ai commencé la peinture adolescent. Mes parents avaient un hôtel et ma mère avait pris pour habitude de décorer les chambres avec des tableaux horribles et des reproductions de reproductions de tableaux floraux. Je m’en plaignais, alors ma mère m’a dit de faire mieux. Du coup, j’ai commencé à faire des choses très naïves, florales, et ça a été le début. » On lui parle ensuite, inspirés par ses gâteaux dégoulinants de sucre, du foodporn, cette imagerie née sur le net qui montre des plats sous un angle particulièrement aguicheur: « j’aurais adoré être acteur porno si je n’avais pas eu de parents. » Génial! « Mais j’aime trop mes parents pour leur imposer ça. Ceci dit, la pornographie est quelque chose que je respecte beaucoup, je trouve ça amusant. Après, pour le foodporn, c’est quelque chose qui ne me touche pas du tout. Je suis plutôt assez énervé par les gens qui prennent en photo leur assiette de manière systématique… Après, pourquoi pas. Mais pour les gâteaux en eux-mêmes, ça vient plus de quelque chose d’assez personnel, c’est-à-dire que j’ai toujours eu ce fantasme de l’anniversaire parfait, un anniversaire surprise où il y aurait des poneys, des ballons, enfin quelque chose de complètement impossible qui n’arrivera jamais. Finalement, au fil des années, j’organise mes anniversaires, et il y a toujours ce thème du gâteau, fait soi-même et qui est un peu raté, qui est toujours un peu trop ambitieux. On se dit qu’on va faire un gâteau merveilleux et finalement c’est une monstruosité impossible à cuire, impossible à démouler. Et en plus de cette sorte de maladresse dans la préparation, il reste souvent les trois quarts du gâteau, parce que les gens ne l’ont pas trouvé bon, ou alors ils ne sont pas venus. Alors c’est plutôt les restes d’un gâteau d’anniversaire qui est un thème pour moi. Je le trouve triste. Mais ça ne se ressent pas, j’ai besoin de l’expliquer. La plupart des gens trouvent ça marrant, disent que ça leur donne envie de manger, pour moi c’est triste, c’est le rappel d’un anniversaire raté. » Inattendu, non? Nous qui pensions tout bêtement aux horribles gâteaux préfabriqués américains vendus en grandes surfaces, qui auraient pu être une source d’inspiration, d’attraction/répulsion, voilà que Vincent Gautier nous parle du plus intime des souvenirs…
On l’interroge alors sur la consommation des images et sur ses thèmes éminemment photographiques, façon souvenirs de vacances: « je pense que nous prenons tous un peu les mêmes photos. On en prend tellement que finalement on est obligés de prendre les mêmes. Parfois, je retombe sur des dossiers de photos de vacances anciennes: il y a 200 photos, toutes plus ou moins quelconques. Les gens, en voyant mes tableaux, pensent que ce sont des photos parce qu’ils ressemblent à un peu tout et n’importe quoi. Un coin de piscine, tel ou tel élément, c’est cliché, on l’a tous vu ou l’impression de l’avoir vu. On a une sorte de persistance rétinienne parce qu’on vit tous un peu cette espèce d’uniformité que la publicité nous vend, ou que les films et les séries nous vendent. C’est une espèce d’aspiration un peu forcée, qui est pour moi liée à l’influence de la culture américaine. Les gens de notre génération ont grandi en regardant des films américains, et des clichés purement américains sont devenus normaux pour nous. C’est le cas pour ces piscines, pour ces anniversaires fantasmés, pour toutes ces choses qu’on ne vit pas vraiment en France. »
Et les jeunes filles juste à côté des vieilles femmes, pourquoi? Est-ce une réflexion sur la vieillesse, un dérivé moderne du « Portrait d’un vieillard et d’un jeune garçon » de Ghirlandaio (vers 1490, Musée du Louvre)? Non! Il explique qu’il trouve noble la pudeur mêlée de je-m’en-foutisme qui caractérise les femmes prenant de l’âge, face à l’attitude pornographique de la jeunesse actuelle. « Ce qui m’amuse dans mes tableaux, c’est de rééquilibrer les choses ou de faire payer un prix, c’est-à-dire que quand quelqu’un dans le tableau semble être dans un excès, il le paye finalement, il est puni par quelque chose qui est suggéré dans le tableau. C’est aussi pour punir le spectateur qui regarde la croupe de deux jeunes filles et se rince l’œil, mais qui voit dans le même temps une femme qu’il ne trouverait pas bandante ou excitante selon les clichés hétérosexuels classiques. » Évidemment, on pense encore une fois très fort à Martin Parr, lui qui a tant photographié ce que l’on pourrait envier (la richesse, les voyages…) pour finalement en montrer un aspect dégoûtant, nous faisant regretter immédiatement notre fantasme.
Il citera finalement Andy Warhol qui disait, visionnaire, que les grands magasins deviendraient des musées et les musées des grands magasins, achevant ainsi de nous convaincre qu’au royaume de l’apparence, l’inattendu se niche partout. Une sorte de piscine dont on ne connaîtrait jamais la profondeur…