Si Caspar David Friedrich avait vu le jour dans l’Allemagne des années 60 plutôt que dans celle de la fin du XVIIIème siècle, il aurait sans doute porté le nom de Sven Kroner, et aurait ajouté à la magnificence de sa peinture romantique et à son exaltation du paysage naturel une pointe de surréalisme et d’ironie très contemporaine, que l’on retrouve dans l’œuvre de ce peintre « post-romantique allemand », exposé pour la première fois à Paris au printemps dernier au sein de la galerie Anne de Villepoix.

La filiation entre les deux artistes germaniques, aussi anachronique et pompeuse puisse-t-elle être, si elle souffre logiquement de l’écart temporel qui les sépare l’un de l’autre, s’avère pour autant parfaitement avérée, tant Sven Kroner paraît s’être imprégné jusqu’à la moelle des thématiques du maître romantique allemand. Les éléments naturels et leur représentation, logiquement, sont au centre du projet. Une Nature aux dimensions volontairement disproportionnées afin de confronter l’Homme à sa petitesse toute élémentaire: dans les toiles de Sven Kroner, comme jadis dans celles des peintres romantiques allemands, l’humain est aussi statique que l’état d’une Nature qui semble avoir évité tout processus de civilisation et d’industrialisation, tellement les paysages paraissaient avoir préservé leur éclat et leur coloris originel. Perdu dans ces contrées devenues magiques et enchanteresses à force de se teinter d’une grandiloquence si majestueuse, parfois semblable aux plans cinématographiques de Peter Jackson et de son « Seigneur des Anneaux », qui voit ses personnages voyager dans les contrées vertigineuses et sans terminaisons imaginables de la Terre du Milieu, les humains deviennent très vite chez Sven Kroner parfaitement contestable, à la présence inopportune. On parlera même pour ces voyageurs de fortune de dangerosité véritable.

Sven Kroner, Planet Der AffenSven Kroner, Planet Der Affen, 170×260 cm, 2011 ©
Sven Kroner, UntitledSven Kroner, Untitled, 160×260 cm, 2012 ©
Sven Kroner, UntitledSven Kroner, Untitled, 60x80cm, 2011 ©
Sven Kroner, TraumSven Kroner, Traum, 170×280 cm, 2011 ©
Sven Kroner, HütteSven Kroner, Hütte, 160×260 cm, 2010 ©
Sven Kroner, WanderungSven Kroner, Wanderung, 170×340 cm, 2010 ©
Sven Kroner, Schwarzer SeeSven Kroner, Schwarzer See, 160×300 cm, 2006 ©

Ici, un paquebot est pris au piège dans la glace condamnatrice d’un océan gelé, avec pour unique horizon une mort imminente quasi assurée. Autre part, un éclair foudroyant vient éclairer de sa luminosité menaçante l’horizon d’un village confronté à la peur primitive et ancestrale des fureurs de la météo, incontrôlable et incontournable. Chez Sven Kroner, c’est bien la Nature qui l’emporte, surpuissante et logique, devenue angoissante et terrifiante par le biais du pinceau d’un peintre qui exagère les angles et accentue les proportions pour augmenter la sensation de mal-être. Le cœur trépigne, les sens se confondent, le danger ne s’écarte pour autant d’une beauté absolue et d’un esthétisme parfaitement soigné.

Sven Kroner, ExpeditionSven Kroner, Expedition, 170×260 cm, 2012 ©
Sven Kroner, Für CasparSven Kroner, Für Caspar, 160×80 cm, 2012 ©
Sven Kroner, UntitledSven Kroner, Untitled, 170×320 cm, 2012 ©
Sven Kroner, Am RheinSven Kroner, Am Rhein, 140×220 cm, 2009 ©
Sven Kroner, UntitledSven Kroner, Untitled, 150×260 cm, 2012 ©
Sven Kroner, UntitledSven Kroner, Untitled, 130×200 cm, 2012 ©

Peintes à même le sol et le plus souvent élaborées à partir de photographies, les toiles de Sven Kroner semblent aussi parfois enfiler les habits d’un surréalisme timide mais cependant bien présent, comme dans ce tableau qui figure des skieurs en train de dévaler dangereusement une pente enneigée en hors-piste. Sur leurs chemins, quelques chalets orientés comme s’ils étaient sur le point de s’élancer sur la pente avec les skieurs, présence urbaine curieuse qui s’empare d’une absurdité inattendue. L’artiste est d‘ailleurs originaire des Alpes bavaroises, et cela se ressent bien dans ses compositions de paysages montagneux: loin du réalisme minutieux et photographique, ces toiles évoquant les massifs rocailleux et enneigés prennent des formes floues et incertaines, au trait presque murmuré. Il faut voir ici les angoisses enfantines d’un artiste qui a voulu retranscrire à travers son œuvre picturale les contours de ses songes d’enfant perturbé par des tracasseries nocturnes trop répétées…

Sven Kroner, UntitledSven Kroner, Untitled, 260×320 cm, 2002 ©
Sven Kroner, UntitledSven Kroner, Untitled, 220×250 cm, 2002 ©
Sven Kroner, UntitledSven Kroner, Untitled, 240×280 cm, 2002 ©

Aux côtés du post-romantisme exubérant et angoissé de Sven Kroner, nous voilà pénétré d’une folle envie de nous perdre sans boussole pour nous orienter ni trousse de secours pour nous rassurer, dans cette réalité toute imaginaire, fantasmagorique et isolée, où seul semble compter le vagabondage endurci des rêveries et des pensées. Nous voilà, sur le bord d’une falaise enneigée et abyssale, proche de l’essentiel.

Sven Kroner, Be on my sideSven Kroner, Be on my side, 210×250 cm, 2005 ©
Sven Kroner, LechSven Kroner, Lech, 170×230 cm, 2005 ©
Sven Kroner, WertachSven Kroner, Wertach, 180×240 cm, 2005 ©