Sophie Kitching, attentive à l’environnement et à ses transformations, s’intéresse à nos manières d’occuper les lieux et aux relations que l’homme entretient avec le paysage. Confiante dans ses intuitions, ses œuvres naissent de ses rencontres, de ses découvertes et lectures. Elle travaille à partir d’images, d’objets culturels, de matériaux simples, trouvés, éléments qu’elle réinterprète et transforme pour composer ses œuvres. Celles-ci donnent naissance à des situations qui ouvrent de multiples possibles, font surgir des souvenirs ou de nouveaux récits. Elle expérimente aussi bien les techniques de la peinture, la sculpture, la vidéo que l’installation. Elle procède par jeu de répétition, de réécriture, de superposition, qui amènent l’effacement progressif, la dénaturation, la possibilité d’une nouvelle temporalité. De même, les lieux qu’elle traverse et qu’elle habite l’inspirent pour reconfigurer ses œuvres et créer des liens inattendus. Nourries par une inspiration romantique, certaines de ses pièces suscitent une expérience esthétique contemplative. Elles rappellent la puissance de certains paysages, notre relation à la nuit, à des moments qui incitent à la rêverie, à se perdre. Sa série « Falls », composée de peintures, réalisées à la gouache et huile sur papier et de photographies, font écho aux chutes du Niagara. Dans sa série « Over Watkins », par son geste de peintre qui recouvre, masque l’image, elle la révèle. Cette nouvelle couche de matière impose une seconde vie aux paysages de Yosemite photographiés par Carleton Watkins en 1855-56 et 1861. Ces peintures transportent vers un ailleurs, un milieu naturel qui exerce une fascination, le désir d’une exploration.
Sophie Kitching crée aussi des espaces, jouant sur la fenêtre, l’ouverture et la fermeture, des installations qui conduisent à un voyage mental.
Invitée à la Maison de Chateaubriand, Sophie Kitching a pris soin de respecter l’atmosphère de ce lieu chargé d’histoire. Si le titre « Nuits Américaines » renvoie directement à une expérience vécue et décrite par Chateaubriand dans de multiples ouvrages, les œuvres de son exposition proposent des échos à la fois proches et éloignés de la vie et des écrits de cet auteur. Ses recherches l’ont conduite à regarder la beauté des marbrures des intérieurs de couverture des différents livres dans lesquels apparaissent les sept versions de la Nuit américaine de Chateaubriand. La série « Écritures (Essai, Atala, Génie, Génie, Voyage, Mémoires, Mémoires) » relève d’une combinaison de ces contreplats: le raccord peint crée une image de matières, de flux, en mouvement… Nourrie des émotions et sensations qu’elle a ressenti en parcourant cette maison et son jardin, l’artiste a créé plusieurs atmosphères et propose des espaces de contemplation. Elle a plongé une des salles dans une obscurité bleutée pour faire éprouver au spectateur l’impression d’être à l’extérieur, de se laisser porter par une lumière nocturne. Son installation vidéo « La Nuit de Chateaubriand II » est constituée d’une série de différentes lunes et de mots qui apparaissent et s’effacent au son de l’orgue, comme un champ de constellations. « Aurore » et « re- » s’ajoutent à cet environnement immersif
qui captive le regard… « Home grown garden IV » fait écho à un jardin intérieur, un espace composé d’objets et d’images collectés. En vis-à-vis de la fenêtre donnant sur le parc de la Vallée-aux-Loups, cette installation renvoie au voyage. L’œuvre s’apparente à une cartographie éclatée où les matières plastiques et minérales rappellent un plan d’eau, une canopée d’arbres, un ciel nuageux. Les photographies évoquent l’expérience américaine de l’artiste elle-même, des Everglades de Floride aux échafaudages de New York, jusqu’aux oiseaux survolant le Niagara. Un haut de cheminée en marbre, un cube de pierre, un octogone en verre sont, quant à eux, autant d’îlots qui semblent redessiner sans effort le domaine imaginé par Chateaubriand. Cette œuvre in situ est à la fois maquette et dessin architectural, et transpose ainsi dans l’espace qui les a en partie inspirés, les mécanismes d’association et de juxtaposition à l’œuvre dans le souvenir et par extension, dans l’écriture.
L’exposition de Sophie Kitching propose ainsi plusieurs ouvertures, réflexions sur la question de la représentation du paysage et de son expression. Le temps y est suspendu.