Un entretien Boum! Bang!
La photographe américaine Shelly Mosman excelle dans l’art de faire ressortir subtilement les personnalités de ses sujets. Elle offre ainsi des portraits d’une intensité captivante, à la fois travaillés et naturels.
© Josh Sundby, Portrait de Shelly Mosman, 2014
B!B!: Comment êtes-vous parvenue à la photographie et quel est votre parcours artistique?
Shelly Mosman: J’ai obtenu mon diplôme MCAD (Minneapolis College of Art & Design) en 1995. Étant une personne très visuelle, je me concentre mieux lorsque mes mains sont occupées et un projet nécessite cette interaction. Je n’ai jamais été du genre à m’asseoir pour lire ou travailler avec des nombres. J’apprends par l’action de faire et d’être partie intégrante d’un processus. Ayant grandi aux Etats-Unis dans les années 1970 et 1980, l’orientation vers l’apprentissage visuel n’était pas très encouragée. Ceux qui étaient plus enclins aux arts devaient trouver leur propre chemin. Mes premières années à MCAD m’ont ouvert les portes de la technique et de l’histoire. Deux ans après, j’ai eu mon premier studio et ma longue liste de clients s’est développée. J’ai fait de la photographie pour des « commandes de client » durant les 18 dernières années, en utilisant toujours mon propre style, mais dans le domaine de ce qui était populaire à l’époque. En 2012, j’ai commencé à faire de la photographie pour moi, travaillant chaque jour afin de trouver une nouvelle direction. C’était il y a deux ans et demi maintenant et je me demande quelle sera la prochaine, mais l’une des nombreuses choses que j’ai apprises, c’est que le fait de ne pas connaître la direction de son travail est la meilleure chose qui soit. J’ai laissé libre cours à mes idées et saisi des inspirations. Je ne pense pas connaitre et vivre dans un lieu d’émerveillement. J’intègre cela et ce que je vois dans mon travail.
B!B!: Quelles sont vos influences?
Shelly Mosman: Mes influences sont l’histoire dans l’art du portrait, les peintures de 1500-1800 ainsi que le fonctionnement des studios photo du milieu des années 1800. Je suis inspirée par les anciens procédés, les sujets et l’énergie du monde à l’époque. C’était une vie plus lente. Les attentes étaient très différentes et la perfection avait un sens différent. J’aime beaucoup le « Wabi Sabi » de la vie qui est d’être parfaitement imparfait. Je pourrais donc dire que l’une de mes principales influences est le parfait équilibre de ce qui est naturel dans l’imperfection.
© Shelly Mosman, série « Color » Daniel in the South, 2013
© Shelly Mosman, série « Color » Father’s House, 2013
© Shelly Mosman, série « Color » Land Fish, 2014
© Shelly Mosman, série « Color » ThanksGiving, 2012
B!B!: Comment décririez-vous votre travail?
Shelly Mosman: J’ai un engouement pour l’obscurité et l’inconnu. Les coins, les fenêtres et les milieux sombres ponctuent mon travail. Je vois en l’obscurité un espace d’imagination et d’idées afin d’offrir plus de narration. C’est cette narration subtile que je m’efforce de travailler. Même le portrait le plus simple peut être une histoire sans fin. Je suis une conteuse, pas avec des mots mais avec des images. Je suis également intéressée par l’imagerie intemporelle. Quand il s’agit de nommer une image, je suis très spécifique. J’ai tendance à choisir des sujets qui ont déjà quelque chose que je peux utiliser dans leur propre style et de façon naturelle. Les vêtements vintage utilisés dans la série « Animal Child » par exemple. Habituellement, je coupe des vêtements de grandes tailles pour adultes afin que les enfants puissent les mettre.
B!B!: À ce propos, parlez-moi de votre série « Animal Child ». Les animaux et les enfants sont deux thèmes qui reviennent fréquemment dans votre travail.
Shelly Mosman: Neuf à onze ans est l’âge idéal pour cette série. Je m’intéresse à la capture photographique d’un sens de l’indépendance de l’adulte chez les enfants et de la nature enfantine dont ils font encore partie. Les animaux représentent quant à eux les relations. Ensemble, ils sont forts et inconditionnels et, pour moi, représentent tout ce qui est bon dans la vie, l’autonomisation, l’amour des images…
© Shelly Mosman, série « Animal Child » Frances & Charlie, 2013
© Shelly Mosman, série « Animal Child » Small Bird, 2014
© Shelly Mosman, série « Animal Child » Charlie & Henrietta, 2013
© Shelly Mosman, série « Animal Child » Luna & Dragon, 2013
© Shelly Mosman, série « Animal Child » Owen & Stella, 2014
B!B!: Vos photographies sont sophistiquées – notamment par le travail de la lumière ou encore de la mise en scène – mais restent cependant tout à fait naturelles. Pourriez-vous me parler de vos choix esthétiques?
Shelly Mosman: Mes dix premières années de photographie ont été passées dans une chambre noire. J’ai trouvé mon esthétique grâce au film noir et blanc, à l’impression de la gélatine d’argent ainsi que le film d’impression couleur. Je suis très inspirée par la peinture classique; la manière dont fonctionne la lumière dans l’image ainsi que les couches d’ombres et la position des mains. Je me concentre sur les yeux et les mains car ils sont plus expressifs. Comme je le disais, je m’efforce d’avoir une certaine qualité intemporelle parfois déclenchée par ma propre enfance. Comme je vieillis, je désire prendre des images de ma jeunesse, c’est l’idée d’une mémoire si vous voulez. Par exemple, une image de stationnement affluant à l’avant d’un centre commercial représente quelque chose pour moi. Tout comme des images de gangs d’enfants sur des vélos et ainsi de suite. Je recrée des idées par des souvenirs. Parfois un environnement, un visage, un T-shirt ou une chaussure peuvent être des sources d’inspirations.
© Shelly Mosman, série « B&W » Dog Pack, 2014
© Shelly Mosman, série « B&W » Galora, 2013
© Shelly Mosman, série « B&W » New Shoes, 2012
© Shelly Mosman, série « B&W » Defendor Lover, 2012
B!B!: Donnez-moi votre vision du monde.
Shelly Mosman: Le monde est en train de changer de plus en plus rapidement, mais de façon naturelle et les choses semblent toujours garder un équilibre. C’est le chemin de l’univers. J’ai choisi de profiter des cadeaux que j’ai reçus dans cette vie, et pour moi, ils sont nombreux. Je suis heureuse de pouvoir vivre en faisant ce que j’aime et d’avoir de plus un vaste soutien de gens merveilleux, mais aussi d’être seule, c’est là que je trouve un véritable contentement, vivre dans l’instant. Raconter des histoires à travers des photographies me permet de maintenir le cap et il me sauve des forces écrasantes de la vie qui peuvent facilement nous faire sentir impuissants.
B!B!: Décrivez-moi une journée type.
Shelly Mosman: J’aime ma tasse de café le matin, mon « laptop » et passer du temps seule avant de parler à quelqu’un. Je prends des photos presque tous les jours et travaille très peu et rapidement. La phase de post-production vient directement après mes shootings et se termine en fin de journée. Je ne suis pas un oiseau de nuit.
B!B! : Quels sont vos futurs projets?
Shelly Mosman: En ce moment j’ai quelques projets en tête, dont deux sont en cours de réalisation. L’un est d’essayer d’entrer dans des prisons. Excusez-moi, mais c’est tout ce que je peux dire à ce sujet. L’autre est une série récemment intitulée « Dark Daylight ». Pour moi, les idées concernant mon travail avancent en même temps que la série. À ce stade donc, pour ce qui est de la série « Dark Daylight », je n’ai pas encore pris assez de photos pour en dire beaucoup.
© Shelly Mosman, série « Dark Daylight » 1, 2014
© Shelly Mosman, série « Dark Daylight » 2, 2014
© Shelly Mosman, série « Dark Daylight » 3, 2014
B!B!: Si vous pouviez vous réincarner…
Shelly Mosman: Je crois en des vies antérieures et futures, mais pas tant en la réincarnation puisque je pense que nous ne savons pas grand chose du temps et de son fonctionnement. Je crois que nous faisons tous partie d’une même lumière blanche, que certains pourraient appeler « Dieu », et que nous sommes ici pour apprendre et pour nous habiliter aux autres ainsi qu’à nos propres « esprits ». Je ne suis pas intéressée par le fait de faire partie d’une religion organisée, j’ai mes propres croyances spirituelles.
B!B!: Si vous étiez un photographe célèbre, qui seriez-vous?
Shelly Mosman: Si je pouvais prendre le travail d’un photographe célèbre, j’adorerais prendre celui d’Annie Leibovitz.
B!B!: Une œuvre d’art?
Shelly Mosman: Je serais « Pie Fight » d’Adrian Ghenie.
B!B!: Un personnage historique?
Shelly Mosman: Charles Darwin pour sa nature sensible et ses expériences du monde.
B!B!: Un animal?
Shelly Mosman: Un animal à l’abri de l’homme je suppose, un singe des neiges pour son caractère familial et pour pouvoir me tremper dans les sources d’eau chaude dans la neige.
B!B!: Un livre?
Shelly Mosman: Je ne lis pas beaucoup pour être honnête, mais je dirais « Illusions, ou les aventures d’un Messie récalcitrant » de Richard Bach.
B!B!: Un film?
Shelly Mosman: « La Famille Tenenbaum » de Wes Anderson.
B!B!: Une chanson?
Shelly Mosman: « Don’t think twice it’s alright » de Bob Dylan.
B!B!: Si vous pouviez inviter à dîner dix personnes, décédées ou vivantes, qui seraient-elles?
Shelly Mosman : Dante Gabriel Rossetti, Jane Morris, Edward S. Curtis, Helmut Newton, Andy Warhol, Pina Bausch, Peggy Guggenheim, Katy Grannan, Charles Darwin et mon mari Josh.
B!B!: Et si je vous dis « Boum! Bang! »?
Shelly Mosman: « Complete, finished to one’s best ».