C’est dans les codes éclectiques et l’imagerie tapageuse du black metal que Sergio Borrego puise les motifs de sa pratique plastique. L’origine du metal est à chercher dans le « heavy metal » des années 1970, expression qui signifie en anglais « métaux lourds » soit les « métaux à la masse atomique élevée » (Larousse), souvent toxiques comme le plomb ou le fer. Ce rattachement n’est pas anodin, car les groupes historiques du black metal naissent dans le berceau minier de la révolution industrielle britannique. Il y a donc une iconographie à laquelle est d’emblée associé ce genre musical et qui se traduit en termes non plus sonores mais visuels et haptiques : la pesanteur, le froid, le coupant, l’incisif. Ceux-ci rejettent le lisse, c’est-à-dire ce qui n’oppose nulle résistance et se laisse pénétrer sans heurts. Il s’agit au contraire pour l’artiste de limer la matière dure et conserver un rapport actif et offensif à elle pour ne pas être, à son tour, enfermé par elle. Toujours, selon le mot de Gaston Bachelard, « la colère est une révélation de l’être »1 et Sergio Borrego trouve dans le métal affilé une thématique plastique à décliner avec rage en tant qu’objet, matériau, forme, ornement. À titre d’exemple, des pics métalliques peuvent à la fois décorer la tranche d’un châssis, être figurés dans une peinture, ou donner sa forme à une céramique émaillée. Pour autant, la noirceur des références sataniques, le fumet post-apocalyptique d’un environnement proche de l’enfer, ne sont pas incompatibles avec une volonté émancipatrice, entendue comme une montée venue des bas-fonds dans un mouvement à mi-chemin entre l’anabase et la catabase, mouvement à rapprocher des chants gutturaux, ou death growl, pratiqués dans le black metal.

Sergio Borrego, WolfHouse, 138×162, Acrylique, crayon, pastel grasse, bombe, huile. 2021

Dans la philosophie du black metal, ce qui transperce est en effet source de liberté et de transcendance. Le radical -trans que le terme partage avec la « transgression », indique en latin la nécessité d’aller au-delà, soit l’évolution et le dépassement de soi. De manière symptomatique, le motif de la grille se fait récurrent chez l’artiste, revêtant des formes plurielles : arches néo-gothiques, chaînes métalliques, rideaux de fer. S’y incarnent un rapport au danger et l’animosité dégagée d’une zone défendue, qui invitent à être surmontés. De la structure formelle de la grille, Rosalind Krauss parle d’une volonté propre à l’art moderne de s’emmurer et se défendre contre l’intrusion des autres arts. La grille est un code en soi : « Bidimensionnelle, géométrique, ordonnée, elle est antinaturelle, antimimétique et va à l’encontre du réel. C’est ce à quoi l’art ressemble lorsqu’il tourne le dos à la nature »2. Dans le même temps, la critique d’art rappelle « le pouvoir symbolique de ce qui est cruciforme »3. La grille est, chez l’artiste, affaire d’intrusion et, par ce biais même, est à relier à une forme de résistance, métaphorique ou matérielle.

Dans des séries de toiles libres, réalisées à la bombe, à l’acrylique, au charbon et à l’encre de Chine, c’est tout un folklore de personnages grotesques aux allures de monstres sous le lit qui se décline. Offrant autant de possibilités qu’un jeu de rôle, toutes ces chimères de la pop-culture disposent également de super-pouvoirs : requin-laser, voiture-lance-flammes, chat polycéphale sont des moments clé de l’aventure. D’un côté, le geste spontané, les coloris criards et l’origine fantastique des sujets les associent à la facture « naïve » d’un dessin d’enfant dont l’estompe appuie la dimension onirique. De l’autre, le trait est acéré et obtus, contrastant dans son épaisseur avec l’évanescence du pigment. Ainsi, toutes ces figures ont ceci de commun qu’elles déploient à nouveau un topos du piquant, de l’aiguisé : dents, couteaux, oreilles pointues, lasers, poivrières de châteaux. Entre ces deux opposés, la pratique plastique s’apparente à un rituel magique qui nécessite de maîtriser les langues de flammes, de se confronter à la matière dure, de passer entre les mailles.

Sergio Borrego, Sleepthrone, Huile sur sculpture en pâte à sel et à l’argile auto-durcissante, vernis et émaillage, gravure, gélatine biologique, piques métalliques. 2022
Sergio Borrego, Sleepthrone, détail de la lame, Huile sur sculpture en pâte à sel et à l’argile auto-durcissante, vernis et émaillage, gravure. 2022
Sergio Borrego, Camiseta, 75×50, débardeur, assemblage de pièce métallique, gravure, colle gluante, sculpture à l’argile auto-durcissante et chaîne. 2022
Sergio Borrego, ArchiMagic, 50×70, huile sur sculpture à l’argile auto-durcissante, barres et piques métallique, gravure. 2022
Sergio Borrego, ArchiMagic, 50×70, huile sur sculpture à l’argile auto-durcissante, barres et piques métallique, gravure. 2022
Sergio Borrego, 3DOGS, 134×167, Acrylique, crayon, pastel grasse, bombe, huile. 2021
Sergio Borrego, Anton, 15×15, huile sur toile, céramique noire. 2022
Sergio Borrego, Arch1, 30×20, céramique noire, émaillage. 2021
Sergio Borrego, Arch2, 30×20, céramique noire, émaillage. 2021
Sergio Borrego, Arch3, 30×20, céramique noire, émaillage. 2021

1 Gaston Bachelard, La terre et les rêveries de la volonté, Paris, Librairie José Conti, 1948, p.60.

2 Rosalind Krauss, « Grilles », Communications, 34, 1981, p. 167.

3 Ibid.