Masochiste et soumise (« Dirty Dirty Love »), charnelle et passionnée (« The Embrace »), pudique et anecdotique (« This House Of Glass »), la thématique de la nudité apparaît chez le plasticien américain Reuben Negron comme le leitmotiv central d’un travail qui expose plus qu’il n’analyse le caractère intime de la sexualité.
Confrontés à leurs espaces citadins et familiers tout autant qu’à leur enveloppe corporelle la plus naturelle, les sujets de l’artiste trouvent tous leur origine dans le réel et sont inspirés de modèles originaux, anonymes désireux de s’affranchir des conventions modernes envisageant le nu comme un élément strictement réservé à la sphère intime et privée.
Dans une démarche de mise en scène de leur propre réalité, certains modèles semblent ainsi avoir été représentés sans modification quelconque de leur environnement journalier, à l’image de la série « This House Of Glass » qui énumère les silhouettes poseuses et conscientes avec une neutralité parfaitement prononcée. Dans une salle de bain sans relief (« Tom »), dans un appartement arty et moderne (« Tia »), dans une cuisine soignée (« Jsun »), nudité et banalité cohabitent dans une osmose normalisée.
© Reuben Negron série, This House of Glass, Tom
© Reuben Negron série This House of Glass, Tia
© Reuben Negron série This House of Glass, Jsun
© Reuben Negron série This House of Glass, Aida
© Reuben Negron série This House of Glass, Brooke
© Reuben Negron série This House of Glass, Carolin
© Reuben Negron série This House of Glass, Dana
© Reuben Negron série This House of Glass, Donna
© Reuben Negron série This House of Glass, Jennifer
© Reuben Negron série This House of Glass, Mick
© Reuben Negron série This House of Glass, Safara
© Reuben Negron série This House of Glass, Marley
À l’opposé de cette théâtralisation sans artifices enjoliveurs, certains tableaux se rapprochent d’une peinture réaliste, presque photographique, offrant une proximité inédite entre le spectateur et les modèles, comme dans la série « The Embrace » qui accumule les étapes d’une sexualité anodine tout autant pénétrée de superbes victoires que de retentissants échecs. À force de promiscuité, le pinceau de l’américain tend aussi à tomber dans une représentation proche du voyeurisme intrusif, comme dans cette toile (« Marley ») représentant une jeune fille en train de se masturber dans l’intimité moite et foutraque d’une chambre d’adolescente post-punk.
© Reuben Negron série The Embrace
© Reuben Negron série The Embrace
© Reuben Negron série The Embrace
© Reuben Negron série The Embrace
© Reuben Negron série The Embrace
© Reuben Negron série The Embrace
© Reuben Negron série The Embrace
Malgré l’immoralité de certaines de ces situations, qui tombent même parfois vers la perversité ostentatoire (certains effluves de la série « Dirty Dirty Love » pourraient rappeler à première vue les délires macabres de Patrick Bateman dans « American Psycho », la torture et les massacres sanguins en moins), l’artiste se défend de proposer une quelconque analyse psychologique de ses sujets, préférant à l’intellectualisation médicale la mise en place d’un schéma narratif relativement neutre et proche dans son équation de la bande dessinée.
Ainsi, même lorsque la série « Dirty Dirty Love » (on pourra écouter le morceau de Frank Zappa « Dirty Love » dans le même temps…) présente la satisfaction libidinale d’un couple par le biais d’un sado-masochisme affirmé (« Karin Sin I », « Karin Sin II »), le portait qu’en fait Reuben Negron ne présente rien de glauque ou d’exagérément obscène. Le coloris y est sans doute pour beaucoup, ainsi que la remarquable luminosité qui transparaît paradoxalement dans la plupart des scènes.
© Reuben Negron série Dirty Dirty Love, Karin-Sin-I
© Reuben Negron série Dirty Dirty Love, Karin-Sin-II
© Reuben Negron série Dirty Dirty Love, Roxy
© Reuben Negron série Dirty Dirty Love, coupling I
© Reuben Negron série Dirty Dirty Love, coupling II
© Reuben Negron série Dirty Dirty Love, coupling III
© Reuben Negron série Dirty Dirty Love, Angela
Les sujets de Reuben Negron (dont l’on peut constater la diversité sociale via les éléments de leurs habitats) ne sont pas des cobayes mis en scène au sein d’un tableau naturaliste, mais bien les personnages d’une histoire dont l’on peut suivre l’évolution à travers les différentes séries proposées par l’artiste. On retrouve par exemple les mêmes acteurs dans la série « The Embrace » que dans « Dirty Dirty Love », qui relate l’évolution de la sexualité suggérée (tâche de vin rouge sur un sol blanc, rasoir phallique prêt à raser une joue recouverte de mousse à raser blanchie…) à la sexualité consommée.
Une histoire, surtout, qui n’inscrit pas simplement la nudité dans une stricte affaire de sexualité: les nus solitaires sont sans doute aussi nombreux chez Reuben Negron que les nus doublés et confrontés au regard scrutateur d’on œil extérieur, et cette distinction n’influence en rien la beauté des corps proposés. Un corps exposé de la plus pure des manières semble en effet porter ici, et quoi qu’il arrive, une beauté originelle qu’aucun habillage ne pourra jamais parvenir à égaler…