L’artiste est jeune mais déjà primé. Montrouge. Représenté par la Galerie Georges-Philippe & Nathalie Vallois, indicateur de qualité. Il peint et dessine au pastel lorsque l’occasion du Drawing Now 2015 se présente. Enfin c’est ce qu’il dit à la radio. Les images sont évidentes: il y a le lien avec le cinéma américain. La série B, David Lynch, les cowboys en plastique sur nos étagères enfantines, la musique. Le suspense. Pierre Seinturier maîtrise son vocabulaire. Ce qu’on voit, il le dit. Le décalage entre le titre et l’image. L’humour. Mais le malaise aussi, énorme, à chercher ce qui se trame derrière, dans l’ombre du sujet.
Il y a la lumière de la nuit et du cinéma. Les couleurs enfantines qui rappellent les feutres des dessins sur papier brouillon en attendant que la mère ou le père revienne, s’occupe de l’enfant, le prenne dans ses bras, lui raconte des histoires, le berce et le rassure, lui parle et l’écoute. Et puis il est monté dans une barque. Elle est venue aussi et ils sont partis loin. L’air était doux et les poissons à fleur d’eau. Mais l’orage à éclaté, la chute d’eau, l’aigle de feu et depuis leurs squelettes hantent les supermarchés de la région. La logique implacable du fragment de récit qui nous est donné à voir nous échappe. Elle est pourtant le sine qua non de son existence, au fragment magnifique. Certaines images affirment l’imminence du drame tandis que d’autres se présentent comme plus paisibles mais dans toutes, le même sentiment d’urgence qui serre la gorge et la cage thoracique tandis que, simultanément, la beauté de l’ensemble ravit. Étrange: le sentiment qui culmine. Ni purement plaisir, ni vraiment douleur. Déplacé, haletant.
Pierre Seinturier se réclame de l’humour d’un Glen Baxter et on voit très bien pourquoi. Pour autant, la nature « américaine » de ses toiles, c’est à dire pure, géométrique, moderne et lumineuse, ne va pas sans rappeler les décors de Edward Hopper, tandis que la sensation qu’une histoire est en train de se déployer d’image en image, de manière spontanée et pourtant précise, pourrait rapprocher l’ensemble de l’œuvre d’un Henry Darger (bien plus diplômé et assumé, on s’entend). C’est que, pour prendre un exemple de l’ordre de l’universel post-moderne, à l’inverse d’Instagram, où l’on peut saisir l’instant et le passer par tel ou tel filtre, histoire de masquer cette nuance imperceptible qui fait que le brut de la réalité est toujours mensonger, les dessins et peintures de Pierre Seinturier semblent être des dispositifs construits de toute pièce pour combattre le filtre (la nuance) d’une certaine mélancolie préalable aux scènes. Cette ambiance, ce « filtre » du réel serait alors comme un monstre insatiable demandant toujours de nouvelles couleurs, de nouveaux sujets, au risque de tout envahir. Il faudrait alors concevoir à quel point Pierre Seinturier a quelque chose d’un valeureux (et terriblement talentueux) Don Quichotte. En ce sens, l’ironie supposée de ces titres pourrait être à questionner. Pensons par exemple à la série « I want to believe »: une bonne blague qui raillait bien les dévots et les minets de boys band, qui faisait pouffer le spectateur complice devant la toile. Et si c’était vrai? Et si c’était triste? Et si c’était un appel? Heureusement l’image suivante arrive. Ni le spectateur ni l’artiste n’ont fondamentalement oublié ce qui vient de se passer mais ça n’a pas duré, le coeur n’en est que légèrement pincé et le rire fuse à nouveau.