Serait le plastique comme la glaise, primal. Serait l’enfance, le rire de ce que l’on ne comprend pas bien, que l’on comprend trop bien. Serait le gendarme et le voleur, serait matraque. Pierre Daniel prélève et rend. Le système digestif transforme, est un passage au sein duquel se produit l’alchimie qui nourrit.
Lorsqu’il est parti en Belgique, de Paris où il avait fait les Beaux-Arts, il fallut que Pierre Daniel aille à Ostende pour figurer l’état dans lequel la translation le mettait : colonisation, violence, profit, cliché, humour, jeu, mépris, graisse, bassesse, richesse, moules et rites. James Ensor, Léopold II et la mer. Alors Pierre Daniel intègre Ostende, intègre la moule, son folklore, intègre le roi, celui-là même qui envisagea le Congo philanthropique pour en sortir Enfer, intègre Ensor, qui est l’astre, le fantasme. C’est de toute manière d’abord une histoire qu’on nous raconte, avec des accessoires en volume de plastique effet dégueulasse, effet tripes, là pour toujours nous rappeler à la fois la terre, glaise, et le caca qui transite dans les intestins auxquels Pierre Daniel rend souvent hommage. Cela pour ne pas voir en fait, pour ne pas dire la délicatesse avec laquelle l’artiste tricote ses références, l’intensité avec laquelle la Belgique a dû le frapper.
Transformé en Tom Cruise Top Gun en Apocalypse Now en Heart of Darnkess, l’homme-orchestres sous le plastique inconfortable, à la voix tordue par un dispositif handicapant qu’il tient dans sa main exactement comme ces enfants qui font compliqué là où quelqu’un de sensé, pour produire un effet, s’y serait pris directement, cet homme n’est plus qu’un corps suant, concentré, vecteur de notre complice hilarité. On imagine que le frontal, malgré l’apparente trivialité générale, n’est pas la tonalité favorite de l’artiste. Qu’il s’agit probablement de ne pas faire slogan. Toute cette brillance figée, dégoulinante et figée, alors que le plastique n’a rien d’organique, est l’emballage qui protège, est le tout propre parfait. Voilà le miracle Daniel: faire par l’usage de la matière un retour à la source symbolique et tangible de la chose, pointer la charge, incarner. C’est qu’il faut dire, pour un artiste français, s’installer en Belgique c’est d’abord presque pareil. C’est d’abord presque pareil parce qu’on y parle la même langue, que les blagues transfrontalières sont immémoriales, parce que c’est face au même, englué dans le presque pareil, qu’on découvre avec horreur la relativité de toute identité. Une histoire de boule à facettes alors, un jeu des différences. Miroir capital, étron transcendantal. Rien à voir, tu crois ? Le jeu proposé est pourtant, précisément, de l’ordre de la diffraction. Regarde la gouache, je te raconte une histoire. Regarde mon corps, le tien équivalent. Regarde les proportions, la tradition, l’imagerie, nous sommes en redéfinition. Toujours, en translatant, Pierre Daniel laisse advenir, quelque chose de sous-jacent au présent, quelque chose qui n’est pas l’Histoire telle qu’on la dit, qui est plutôt un angle mort, un bouton de fièvre à l’occident, une purulence que le plastique et le parfum pareil ont pour fonction de cacher.
Quand on regarde les gouaches peintes en confinement, et qui sont le fruit d’encres précédentes version illuminées, on constate encore autrement : la nature mutable de l’exercice. Un orifice lie, l’ombre se porte au bras, l’infrastructure arme des corps rose entre poupon et bonbon, le palmier forme la terre. On ne sait plus (ce) qui entre ou sort, compose, transperce si ce n’est la couleur qui caresse et séduit. Complémentarité, onde, transparences traduisent en surface ce que l’imaginaire produit. L’expérience de l’art et de sa rituelle monstration comme jeu alors avec les courants de la conscience, comme arrêt virtuel d’une pensée. La performance, chez Pierre Daniel, en relation avec la pratique (habillé de son oeuvre, accrochant l’oeuvre en la commentant dans l’espace, traversé par des états en strate, récitant son oeuvre) renvoie au montage d’ attractions Eisensteinien: saturation maximale des sens par la juxtaposition des éléments présentés au point que l’esprit ne peut suivre, analyser, seulement saisir quelques éléments saillants au passage et qui marquent. Comment dire sans dire, dire plus que dire, dire à travers le dire et le faire, exprimer, faire jaillir quelque chose de la nécessité qu’il y a à partager ou à pointer les images du monde? Pierre Daniel se souvient des territoires d’enfance, de leur vaste vérité, des horizons aux reliefs en contradiction, de leur légitime défense face à l’horreur de la synthèse, au monstre de la raison, à la bassesse de la logique. Il connaît la différence entre image et illustration.