Peter Buechler nous apprend à corriger l’idée de l’identité par ses traitements du portrait. Il se mesure par exemple à la complexité d’une lumière blanche fomentée par le spray ou le glissement. Mis en sommeil le visage libère ses renaissances car le seul devoir de sa réalité est soudain d’être rêvé. Sa mémoire se perd dans un passé et le regardeur peut imaginer soudain une sensualité là où le vide ne crée pas forcément l’absence mais dépouille paradoxalement le visage de son néant. La peinture dépasse donc l’effet miroir. Car le portrait classique est toujours trop reconnaissable et apprivoisé. Ses lignes en le dessinant l’aveugle car le regardeur est trop guidé. Le visage est donc irréel s’il se cache sous l’apparence de la réalité. Avec Peter Buechler le climax de la visagéité n’est plus au beau fixe: grâce aux formes changeantes et leur nuages, l’être devient parfois plus proche des animaux que des hommes. Les yeux doivent « écouter » la peinture et non seulement chercher à voir ce qu’elle représente puisque son imaginaire n’est plus celui de la simple présence mais de l’effacement. L’artiste cherche à domestiquer un vide là où d’autres artistes ne cherchent qu’à l’authentifier. Le « non-voir » de la disparition illumine puisqu’il emporte le visage et sa langue vers des pays clandestins. Le reflet est mis en doute par ce qui chez Peter Buechler inquiète le regard. Il ne s’agit plus de réfléchir on ne sait quel espoir de vision plutôt que de laisser éprouver des larmes sécrétées dont l’eau dilue le sel de l’image et de l’apparence.
© Peter Buechler, Untitled, huile sur objet trouvé 40x34x8 cm, collection privée, Sao Paulo, Brésil, 2012
© Peter Buechler, Untitled, huile sur objet trouvé, boîte de verre acrylique, 90x70x10 cm chacune, collection privée, Mexico City, 2010
© Peter Buechler, Untitled, huile sur objet trouvé, boîte de verre acrylique, 40x28x8 cm, collection privée, Berlin, 2011
© Peter Buechler, Untitled, huile sur objet trouvé, 35×45 cm, collection privée, New York, 2010
© Peter Buechler, Untitled, huile sur objet trouvé, boîte de verre, acrylique, 55x45x8 cm, collection privée, Hamburg, Allemagne, 2010
© Peter Buechler, Untitled, huile sur objet trouvé, boîte de verre acrylique, 40x30x8 cm, collection privée, Munich, Allemagne, 2009
À sa place une apparition devient l’essence de la peinture. En lieu et place de sa fixation classique elle ne témoigne plus seulement d’un plaisir de montrer le réel: elle renvoie à ce que Piet Lincken nomme le « présent gnomique de la peinture » lorsque l’attention est autre. Elle tient non seulement de la contemplation d’une disparition où soudain la tâche aveugle tenant lieu de présence crée une préhension. La peinture suspend pour surprendre et permettre d’entrer en ce qui ne se pense pas encore afin de toucher l’instable et la vérité de l’inconscient. C’est en quoi l’œuvre de Peter Buechler représente autant une entreprise de catharsis personnelle que (et surtout) une entreprise esthétique à valeur universelle. Et si certains artistes sont tellement obsédés par le passé qu’ils en meurent, l’artiste pour sa part tente de reconstruire quelque chose du présent qui l’obsède afin de l’exorciser. Exfolié le visage ne laisse pas le regardeur en état de passivité. Preuve que l’effacement peut toucher la réalité autrement qu’à travers la chair. Il suffit de la remplacer par celle de la peinture dont le geste maniant la douceur comme l’énergie est capable d’agir sur l’image en remodelant le visage par la volupté d’une masse qui n’est plus seulement propice au leurre.
Absent-présent le visage confronte au cœur d’une émotion paradoxale au sein d’un rituel qui renvoie aussi bien à certains « personnages » de Pablo Picasso que de Francis Bacon. Les corps ne sont même plus des sacs de peau mais des doutes dont la pâleur de la peinture renvoie le vide intérieur. Une telle biffure ne livre plus la peinture à une simple valeur d’échange narcissique. N’ayant plus de tête sur ses épaules, ayant la tête ailleurs, les personnages de Peter Buechler ramènent au langage même de la peinture en un double mouvement de contamination et d’ironisation de l’image. Elle devient figure de langage et non de représentation. Elle ne soigne rien. Au contraire: elle creuse et rend palpable par le corps disparaissant la détresse de l’âme. D’où cet effet de sidération qui prend le voyeur en un « mixage »d’envoûtement, d’attraction, de répulsion, de désir et d’interdit.
© Peter Buechler, Untitled, 55×40 cm, collection privée, Hamburg, Germany, 2010
© Peter Buechler, Untitled, huile sur toile, 120×150 cm, collection privée, Stockholm, 2009
© Peter Buechler, Untitled, huile sur objet trouvé, 60×48 cm, collection privée Houston, Texas, 2011
© Peter Buechler, Untitled, huile sur objet trouvé, boîte de verre acrylique, 43x33x8 cm, collection privée, Berlin, Allemagne, 2010
© Peter Buechler, Untitled, huile sur objet trouvé, 30×26 cm, 2012
© Peter Buechler, Untitled, 36×32 cm, collection privée New York, 2012
© Peter Buechler, Untitled, 41x62x8 cm, 2011 © Peter Buechler, Masked man, 105×90 cm, 2012 ©
© Peter Buechler, studioshow Plight and Premonition, Berlin, 2012
© Peter Buechler, studioshow Plight and Premonition, Berlin, 2012
© Peter Buechler, studioshow Plight and Premonition, Berlin, 2012
Il y a donc peut-être deux Peter Buechler: celui qui ne sait pas (ou trop bien) ce qu’il en est de l’identité et celui qui donne sens à ses doutes. Les guillotinés affirment ainsi une perte de statut. Il est ainsi immolé, sacrifié, dépossédé de son être selon une violence latente: celle peut-être de toute relation « amoureuse » ou charnelle, violence qui réside surtout dans l’intention d’aliéner l’autre pour exister. Peter Buechler peint contre celle-ci et rappelle qu’est violent celui (ou celle) qui veut en effet atteindre l’autre comme une chose. L’artiste cherche par ses effacements à soulever l’inconscient. C’est pourquoi à celui à qui poserait la question: « Qu’est-ce que le « sujet » dans l’œuvre de Peter Buechler? », la seule réponse est la suivante: le sujet est la peinture elle-même, car c’est par elle que tout passe (infuse) et ne passe pas (efface). C’est elle qui nous pénètre et non une thématique, un bestiaire ou un quelconque sujet. Il n’y a pas d’autre sujet: l’excès de présence surgit de l’œuvre, de sa mise en place, de son autocommentaire. L’identité dévorante est soudain trouée, déchirée, colorée, construite parfois jusqu’à une ascension lyrique où la peinture s’approche de quelque chose d’essentiel en déliant les purs effets de réalité. Le dehors et le dedans deviennent des notions qui ne fonctionnent plus tant il y a des altérations de surface. Mais réalité et pensée ne tombent pas dans le néant. Si la réalité perd sa substance, sa solidité, sa constante, la peinture y gagne au moment où pourtant ses déterminations et sa validité oscillent, où elle perd en richesse d’apparat et n’est qu’incertitude.