À la recherche de ses origines Paul de Pignol veut se replonger par la joie de la reprise au monde dans, dit-il, le « désir de vivre et la joie de la découverte ». Néanmoins par ses sculptures et ses dessins l’artiste ouvre le réel à un état de spectres en puissance. La vie se bat contre le peu qu’elle est. Et si l’ombre attend son heure ce ne sont pas les êtres qui la portent en eux mais des Dieux illusoires. Les premiers ont créés les seconds afin de pouvoir s’extirper tant que faire se peut de l’angoisse du temps.
Reste contre cette illusion la présence féminine dont les série des « Vénus » et des « Figures de roche » signent la force toute en rotondités. Force fragile sans doute car supportée par un seul pivot; mais la puissance demeure. Elle vient faire la nique à certains « Gisants » de l’artiste. L’univers est renvoyé à une éternité par le silence vrombissant des femmes amples. Chacune témoigne d’une solitude quasi métaphysique. Néanmoins l’œuvre échappe pourtant à tout pathos. Sa « signification » dépasse de mille lieues une simple illustration psychologisante de la condition humaine. L’artiste plante la femme de bronze comme germination première. Ses pampres multiples animent le monde pour s’en émerveiller et en être étonné entre le désir et l’angoisse.
Travaillant dans son atelier à Paris pour le dessin et près de la forêt de Fontainebleau pour la sculpture, il crée selon un exercice de lenteur à la recherche d’émotions mélancoliques et sereines, calmes et profondes comme des suites de Johann Sebastian Bach ou les « Kindertotenlieder » de Gustav Mahler. Le ciel, la terre, les arbres, la montagne et la mer restent pour lui des personnages étranges, mystérieux, bref des géants. Proche dans l’esprit de Balthus et des primitifs italiens, de telles influences se retrouvent en esquisse, morceaux ou « doubles » dans ses sculptures comme dans ses dessins.
Ces derniers ne sont pas pour autant de simples travaux préparatoires et possèdent une spécificité bien à eux. Paul de Pignol sait qu’en art la couleur est une aliénation déterminée par des réactions émotives. Elle reste sans efficacité réelle pour l’esprit. À l’inverse le tracé monocolore impose une modalité perceptive. Plus abstraite que la couleur il ne noie pas l’excès de sensations. Au « colore » s’impose donc le « disegno ». Il permet de reprendre le culte de la féminité à l’œuvre selon d’autres voies. Contre tout lyrisme, tout tragique l’œuvre joue entre le circonstanciel réaliste et une forme de surenchère (voire de « sur-en-chair ») femelle et abstractive. De telles « présences » ramènent en contre-coup le mâle au peu qu’il est: trivial et tristement orgueilleux de ne demeurer que ce creux par rapport à ce dont les Vénus regorgent.
Dès lors la femme devient phallique et l’homme une cavité. Dans ce renversement l’inquiétude est évidente. Mais elle est transcendée car les sculptures s’offrent à la plénitude en une mythologie particulière et inédite. Plutôt que de dresser les êtres au cœur d’une simple mélancolie Paul de Pignol fait donc réapparaître au-delà de la nuit de l’être l’esquisse d’une autre histoire. L’art s’y mesure alors à ce qu’il est: l’ébranlement de la pensée par la force de la matière. En son splendide isolement la femme redevient mythe. Elle attire et récuse, accueille mais à distance par l’intensité intense et brouillée des formes qui l’agrandissent et la transfigurent.
Paul de Pignol exposera du 28 janvier au 15 Mars 2016 à la Galerie Fred Lanzenberg (9 avenue des Klauwaerts – étangs d’Ixelles à Bruxelles)
© Courtesy Galerie Fred Lanzenberg et Galerie Koralewski