Un coquelicot n’est pas rouge. Il est dense, épais, profond. Un coquelicot est matière et solide. Un coquelicot dure. De même, un cheval sort violet de la peinture, et par la tête. Il y a de ça vingt mille ans. Les œuvres s’appellent Gorge, Boxeur, Morhange bas sourire de ma mère, Sébastien. Ta peau galliano sanglier, RA Epiphania, Daniel et le portrait de taureau, Éclat vierge en eau, Citeaux, Young pig, dark pig, Sibila Cumana. On sait, à lire les quelques informations à portée, que son père et les musées, que Jim Dine et la matière, que Paris. La femme est née en 1990. Quand elle parle, elle dit que cela vient des mots, que ce sont les mots qui ont dit l’image. Elle dit peut-être que seule l’image était à même, pour elle, de recevoir les mots. Deux galeries l’ont exposée récemment: Michel Journiac et Jérôme Pauchant. Il n’y avait ni coquelicot ni cheval dans les toiles, pas plus qu’il n’y a la danse des vautours autour d’une carcasse flétrie dans Citeaux, et pourtant je l’ai vue. Ce qu’il y a, en revanche, relève de la liste de courses: encre, spray émaillé, huile, polyuréthane, acrylique, décapant, peinture pour signalétique, geste. Geste: prendre la matière et faire avec, à en crever. Vomir la couleur pour s’y lover.

Dans les conférences de peintres, on dit souvent que la peinture est mal aimée. Qu’à Paris on ne peint pas, qu’on ne peut pas, qu’on est castré. Dans les conférences de critiques, on dit souvent que la peinture est mal aimée, qu’elle se vend bien. Dans les conférences de galeristes, on dit souvent que les collectionneurs peuvent accrocher. Dans les conférences de spectateurs, on ne dit rien parce qu’on attend que quelqu’un dise ou regarde. Quand tout le monde se tait, l’oeil se souvient. Olympe Racana-Weiler peint et ses formats parlent au corps. D’une longueur de deux mètres en moyenne, ils sont à hauteur d’Homme, sortes d’espaces surnuméraires prêts à recevoir ces coquelicots qui n’en sont pas mais qu’ils nous offrent pareillement. Ce sont des paysages de rien, des « organismes picturaux » qui tiennent sans attendre quoique ce soit de nous. Quelque part, surplombant, un signe bleu sur fond jaune, troisième œil de fin des temps, retour de transe.

Olympe Racana-Weiler, Daniel et le portrait de taureau
Olympe Racana-Weiler, Daniel et le portrait de taureau, huile, acrylique, encre, spray émaillé et polyuréthane sur toile de lin préparée 200×150 cm, 2017 © courtesy galerie Jérôme Pauchant, Paris. Photo: Bertrand Huet
Olympe Racana-Weiler, Morhange bas sourire de ma mère
Olympe Racana-Weiler, Morhange bas sourire de ma mère, huile, encre, spray émaillé et polyuréthane sur toile de lin préparée, 210×120 cm, 2017 © courtesy galerie Jérôme Pauchant, Paris. Photo: Bertrand Huet
Olympe Racana-Weiler, RA Epiphania
Ⓒ Olympe Racana-Weiler, RA Epiphania, huile, acrylique émaillée, encre, et spray émaillé sur toile de lin préparée, chaque : 210×120 cm, 2016 © courtesy galerie Jérôme Pauchant, Paris. Photo: Bertrand Huet
Olympe Racana-Weiler, Citeaux
Ⓒ Olympe Racana-Weiler, Citeaux, huile, acrylique, encre, spray émaillé et polyuréthane sur toile de lin préparée, 180×160 cm, 2018 © courtesy galerie Jérôme Pauchant, Paris. Photo: Bertrand Huet

Une roche
Sortait du noir brouillard comme un bras qui s’approche.
Il la prit, et ses pieds touchèrent des sommets.
Alors l’être effrayant qui s’appelle Jamais
Songea. Son front tomba dans ses mains criminelles.
Les trois soleils, de loin, ainsi que trois prunelles,
Le regardaient, et lui ne les regardait pas.
L’espace ressemblait aux plaines d’ici−bas,
Le soir, quand l’horizon qui tressaille et recule,
Noircit sous les yeux blancs du spectre crépuscule.
De longs rayons rampaient aux pieds du grand banni.
Derrière lui son ombre emplissait l’infini.
Les cimes du chaos se confondaient entre elles.
Tout à coup il se vit pousser d’horribles ailes;
Il se vit devenir monstre, et que l’ange en lui
Mourait, et le rebelle en sentit quelque ennui.
Il laissa son épaule, autrefois lumineuse,
Frémir au froid hideux de l’aile membraneuse,
Et croisant ses deux bras, et relevant son front,
Ce bandit, comme s’il grandissait sous l’affront,
Seul dans ces profondeurs que la ruine encombre,
Regarda fixement la caverne de l’ombre.
Les ténèbres sans bruit croissaient dans le néant.
L’opaque obscurité fermait le ciel béant;
Et, faisant, au−delà du dernier promontoire,
Une triple fêlure à cette vitre noire,
Les trois soleils mêlaient leurs trois rayonnements.
Après quelque combat dans les hauts firmaments,
D’un char de feu brisé l’on eût dit les trois roues.
Les monts hors du brouillard sortaient comme des proues.
Eh bien, cria Satan, soit! Je puis encor voir!
Il aura le ciel bleu, moi j’aurai le ciel noir.
Victor Hugo

Nous avons dit plus haut la liste des matières qui composent les toiles. Ce qui fait la peinture est autre encore, atemporel: sang et lumière, chairs, vent, contours, luttes intestines entre la main, l’oeil et l’esprit, délivrances successives. Éclat. Il est dit quelque part que le Caravage a compté pour Olympe Racana-Weiler, on le voit. En témoignent l’état d’abandon des nuques et des bouches, ces torsions légères des bustes qui apaisent le charnier de tous les meurtres représentés. Satan peut tomber, Olympe a digéré. Celle dont les expositions récentes se sont nommées « 3’n the mornin’ – noire était mon ombre » et « I came back from Paradise and I’m frankly hungry » ne provoque pas. Ce qu’on entend, c’est la terrible force de la jeunesse pour qui l’a oubliée. L’appel d’air de celui qui croit, qui peut, qui, invincible, nie l’usure vulgaire du quotidien. Véhiculé par les titres et l’irisé de certaines encres, quelque chose est là d’un transatlantisme un peu cheap, bien au-delà du pop. On entend les derniers rires d’une fête, le ciel est mauve. Et dans cette aube nouvelle, le coeur se crispe. Impossible de se départir du sentiment que l’ensemble est mâtiné de réminiscences romantiques. Mélancolie oublieuse du kitsch, profondément sincère. L’arène du Boxeur est précisément là: ce n’est pas la honte de la peinture qui handicape, c’est ce spleen renié, transformé en goodie pour touristes en manque de cliché. On se souvient enfin qu’il fût un temps où l’on pouvait dessiner pour trouver, où le geste de peindre était comme celui de regarder le ciel pour comprendre le temps.
– Ça bat fort, c’est ton coeur?
– Ça respire.

Olympe Racana-Weiler, Young pig
Ⓒ Olympe Racana-Weiler, Young pig, Dark pig, huile, acrylique, encre, spray émaillé et polyuréthane sur toile de lin préparée, 195×130 cm, 2018 © courtesy galerie Jérôme Pauchant, Paris. Photo: Bertrand Huet
Olympe Racana-Weiler, Gorge
Ⓒ Olympe Racana-Weiler, Gorge, huile, acrylique, encre, spray émaillé et polyuréthane sur toile de lin préparée, 195×130 cm, 2018 © courtesy galerie Jérôme Pauchant, Paris. Photo: Bertrand Huet
Olympe Racana-Weiler
Ⓒ Olympe Racana-Weiler, huile et acrylique encre pastel spray émaillé sur coton, 162×97 cm, 2015 © courtesy galerie Jérôme Pauchant, Paris. Photo: Bertrand Huet