Qu’est ce qu’une image ouvre? Que devient entre autres le mot créer quand la nudité du corps l’ouvre, c’est-à-dire l’agrandit, le blesse et le renverse? En quel sens l’« image» peut-elle être mise à nu? Ce sont là les questions posées par Rocco Normanno dont les images par effet de réalisme créent une sidération absolue. Elles rattachent la nudité à l’exhibition mais font beaucoup plus: elles offrent un pas au-delà. Le mot « image » est mis à nu tant ce que crée l’artiste italien est dépourvu de ce qui à l’ordinaire sert d’accompagnement dans l’épreuve de la nudité. À l’admiration complice fait place la réflexion, la mise en rapport là où pourtant règne en maître l’absence de rapports. Ici la nudité s’oppose au dévoilement, le dévoilement à la nudité. Reste l’exhibition fiévreuse du langage plastique. Prêtre « démoniaque » l’artiste telle la « Madame Edwarda » de Georges Bataille intime un ordre au voyeur: « Tu dois regarder, regarde ». Mais il ne faut pas se tromper: les œuvres sont une invitation à nous dévisager et à nous déchiffrer. Elles ne cherchent pas la communication d’un secret mais la communion dans le secret de l’incommunicable. L’œuvre met donc en scène l’intime pour qu’il résonne d’un écho collectif. En ce sens l’artiste reste fidèle à ce que Paul Valéry écrivait dans « Littérature » lorsqu’il dit: « le meilleur ouvrage est celui qui garde son secret le plus longtemps ».
Toujours sérieuses les égéries du peintre sont des séductrices mais la trace réaliste échappe à la simple analogie ou correspondance avec un aveu consenti. Certes existent des postures d’attentes mais elles sont aussitôt contredites. Rocco Normanno les façonne en les dégageant d’un étau physique trop précis comme du vice de l’idéalité. Nul ne sait si de tels symboles viennent du corps, de la pensée où d’un langage plastique que l’artiste ne cesse de construire selon des circonvolutions subtilement métaphoriques en revisitant le caractère réaliste de la peinture. L’enveloppe charnelle voluptueuse implique toujours une intériorité. Elle métamorphose le modèle attendu « normalement » dans l’art.
La narration plastique avance pour séparer l’être du réel au profit d’extases nues. Cela ne revient pas pour autant à ranimer les fantasmes si ce ne sont ceux dont nul ne vient à bout dans l’enchevêtrement des nuits et des jours. Reste néanmoins une part de désir où la béance de l’indicible garde tout son sens. Les dessous-chics sortent de l’état de simple gaine, fourreau ou étui, ils redeviennent des signaux qui échappent à la seule fonction de communication et de référence. Ils atteignent un rôle supérieur en ouvrant l’imaginaire par ce que chaque œuvre du créateur remet subtilement en jeu.
© Rocco Normanno, San Gerolamo nello studio, 2009, 100X130cm, huile sur toile
© Rocco Normanno, Maddalena Penitente, 2005, 100X120cm, huile sur toile
© Rocco Normanno, Salomè, 2008, 125X125cm, huile sur toile
© Rocco Normanno, Fiona May, 2009, 110X80cm, huile sur toile
© Rocco Normanno, Tossica, 2007, 110X80cm, huile sur toile
L’œuvre crée une immense métaphore de la féminité et de masculinité au moment où des yeux d’enfants percent la nuit mais où l’existence reste habitée de noir. Si bien que le créateur italien est contraint de voir plus la nuit dans le jour que l’inverse. Des œuvres surgissent une solitude, une forme de pénitence et d’ascèse. S’y livre plus particulièrement toute la beauté féminine mais aussi des blessures qui ne cicatrisent pas forcément: elles « saignent » dans la béance de la semi-nudité. Se sentant altérée la femme cherche une forme d’ouverture au sein même de la figuration qui ramène à la clôture. Dans chaque portrait demeure un vertige angoissant puisqu’au sein du passage espéré rien n’est jamais possible. La femme reste exposée à la vacance. De fait elle demeure la sainte particulière qui entre ou entrera dans l’enfer du sexe. Mais elles semblent en connaître l’isolement. Toutefois elle se retrouve tendue en un appel vers le sacré absolu de l’amour – ou son idée. Peut-être tue-t-il l’amant qui ne peut suivre un tel sentiment?