Nathalie du Pasquier est née à Bordeaux en 1957. Elle vit à Milan, a voyagé, est venue à la peinture par le motif (le décor, le moteur, l’élément : mot qui dans ses acceptions couvre l’amont et l’aval de l’œuvre-produit). En 1981, elle fait partie des membres fondateurs du Memphis Group, aux côtés d’Ettore Sottsass. De ce groupe qui adresse le design, il sera dit qu’il s’agit d’un shotgun wedding between Bauhaus and Fisher-Price, c’est-à-dire un mouvement intellectuel et politique, une pensée de l’environnement immédiat d’humains urbains, consommateurs, modernes et une blague. L’Italie est à l’époque socialiste et les couleurs criardes. Ces couleurs, les formes et les motifs qui les accompagnent, donnent à voir des objets forts, et qui en plus sont fonctionnels. Les années quatre-vingt dix leur doivent beaucoup. Nathalie du Pasquier ensuite peint.
Si, pour parler de peinture, la question d’un passage par la sphère du design est secondaire, on retiendra que le mot, en anglais, désigne à la fois la conception d’objets (leur apparence) et l’intention, l’enjeu d’une stratégie. En 2008, Bruno Latour s’arrêtait d’ailleurs sur le terme dans une conférence intitulée A Cautious Prometheus? A Few Steps Toward a Philosophy of Design (with Special Attention to Peter Sloterdijk) :
« To relook means to give a new and better look or shape to something – a chair, a knife, a car, a package, a lamp, an interior – which would otherwise remain too clumsy, too severe or too bared if it were left only to its naked function. Design in this old and limited meaning was a way to redress the efficient but somewhat boring emphasis of engineers and commercial staff. Design occurred by adding a veneer of form to their creations, some superficial feature that could make a difference in taste and fashion.«
« Relooker signifie donner une meilleure apparence ou forme à quelque chose – chaise, couteau, voiture, emballage, lampe ou intérieur – qui resterait autrement l’air trop bête ou trop sévèrement engoncé dans ses seules fonctions. Design, dans cette définition vieillotte et limitée, désignait l’action de réparer l’emphase efficace et ennuyeuse des ingénieurs et autres commerciaux. Le design arrivait enrobant leurs création d’un vernis, d’une aura superficielle qui ferait la différence dans les sphères de la mode et du goût. »
Ce qu’il entend, par cette définition de ce qu’était le design autrefois, c’est cette acception selon laquelle la forme est soumise à la fonction. La grande bataille du design sera de remettre cette hiérarchie en question. Ce rapport entre forme et fonction n’est d’ailleurs pas sans lien avec ce que nous font les peintures rupestres, dont on ne sait que dire, si ce n’est qu’elles ne sont pas ce que l’on connait et dont on cherche désespérément à savoir si elle naissent des parois, des mythes, des fonctions sociales ou de la main.
Un ouvrage, Don’t Take These Drawings Seriously, publié en mars 2015 chez powerHouse Books, nous renseigne : de 1981 à 1987, Nathalie du Pasquier a tout dessiné, des objets, des rues, des villes, façonnant continuellement un univers auquel des expositions du Memphis Group donneraient parfois forme. La démarche n’est pas dématérialisée, il ne s’agit pas de vivre en rêve. Pour autant, quand il s’agit de la situer, ni la référence à des expérimentations comme celles de l’école de Vitebsk, période Malevitch, ni la peinture radicale d’un Mondrian ne résonnent complètement. On trouve, dans le travail de Nathalie du Pasquier, un rapport à l’objet qui n’est pas celui de briser les frontières entre la surface et l’espace. C’est d’ailleurs presque le contraire. Quand la peinture apparait, quand elle prend le dessus et remplace la pratique des années quatre-vingt, elle est figurative, présente des natures mortes convoquant le cubisme, célébrant les formes et couleurs de Matisse, citant l’espace des surréalistes. Citron, vase, main, feu, figures récurrentes des toiles de cette « première » période.
Ensuite viennent peut-être l’eau et les livres, les chaises, les outils, toujours les aliments. Les tonalités sont douces, minérales. De plus en plus, la couleur se fait plane, surface sans aspérité, espace délimité où plonger. L’évolution est logique, le voyage rétrospectif que l’on peut faire sur le site internet de l’artiste est agréable, évident, pensé. Et si le chemin aboutit à quelque chose, avec le retour des formes en 2002, rien n’a pour autant changé. Un être, dans le monde regarde. Cet être, en italien, dit è una cosa seria, comment les choses sont, comme elles se juxtaposent. Comme il est nécessaire qu’elles aient des limites pour cela. L’être avance, continue d’observer le monde où les choses sont et où elles s’ajustent si parfaitement.
Le titre de l’article est tiré de la chanson Stuck Inside of Mobile with the Memphis Blues Again, Bob Dylan, 1966, qui donna son nom au Memphis Group dont Nathalie du Pasquier est l’un des membres fondateurs.
(Traduction possible : « ils s’y ajustent si bien »).
Nathalie du Pasquier sera exposée du 18 au 20 octobre à Galeristes 2019 dans le cadre de l’anthologie de l’art français.