Née à proximité du château de Dracula Mirka Lugosi doit au personnage « mythique » toute la périphérie fantasmatique de son imaginaire. Prêtresse sulfureuse underground des années 80, elle fut une figure incontournable de la scène fétichiste et membre du groupe expérimental noisy « le Syndicat ». Elle publia pour de nombreux magazines avec le photographe Gilles Berquet dont elle est le modèle, la muse et la compagne. « Peintre d’images » comme elle aime se désigner, elle pratique la gouache, les encres sur photographies, les vidéogrammes et l’illustration mais ses dessins restent la partie majeure de son œuvre. L’artiste cultive un trait précis qui demande des jours de travail: êtres humains, animaux, objets y fusionnent dans un univers surréaliste où l’érotisme prend un sens particulier. La vie y est vouée à la mort selon une perspective néo-gothique et tout rêve contient en lui-même sa propre fin.
Chez la créatrice il existe des religieuses aux pensées de maïs. Elles égrainent leurs fantasmes dans la chaleur du tourment et l’immobilité du supplice. Dès les messes basses d’un petit matin de stupre elles ne souffrent pas du péché de la chair. Pour elles ce n’est là qu’une pieuse fadaise. Elles en font leur quatre heures, leurs cinq à sept, leurs vêpres et se donnent du plaisir en solo, en duo comme avec un banquier fripé, un hoplite voire un marabout (si son œil chavire au doux). Et qu’importe leurs religions.
C’est dire combien Mirka Lugosi s’amuse avec toutes sortes de fétiches tirées des cultures de tous les continents. Tous sont incontinents sur le sujet. Et l’artiste – dans ses passes, ses passe-murailles et ses tours sans défense d’ivoire – se « con-plait » à permettre au voyeur d’embrasser l’étoile des mères avant que sonne le glas de la viande alitée. Chez l’artiste le corps féminin est fièrement dressé et libre, sans défenses épineuses autour de son île « matri-ciel ». Il affiche parfois en prothèse un immense phallus qui fait rougit de hontes ceux plus communs des mortels. Ses lignes chantent le pistil d’argent et l’ovaire de rose. L’œil ammoniacal peut donc fouiller à son aise une fente gothique avant de filer à l’anglaise. Le tout dans la bonne humeur et le sourire. Quant aux âmes, lorsqu’elles sont encore visibles, elles se crachent à l’envie comme un noyau de cerise. Plus bas un gonflement d’écume est l’empreinte d’un souvenir sodomite. Mais reste aussi d’interminables voiles aux alchimies piquantes. Elles font de la crypte féminine la plus belle église. Les phallus s’y allument pour que bien des messes soient dites. Des processions s’ensuivent dans les vallées de l’onirisme.
Néanmoins sans fleurs ni couronnes Mirka Lugosi fait de ses égéries des tombeaux de l’homme. Sa sagaie est tombée au fond de l’abîme. Mais de cette perte les femmes ne se soucient guère. Elles rayonnent d’une aura mystique ou érotique quelles soient vierge ou matrones. Elles n’exhibent leurs secrets que par déboîtement des désirs des hommes. Leur sexe n’est plus nécessaire: Madame de Sèvres est la louve menaçante qui s’en empare en inversant les rôles quant aux muses elles se font Saintes Marie dont seule une trique mystique fait avancer l’âne ou le porc. En conséquence seule la femme est épique et n’en perd pas son âme quelle que soit ses penchants.
L’œuvre de Mirka Lugosi permet de prendre la mesure d’un cosmos intérieur où la femme redécouvre une existence baroque et libératrice. Le monde visible s’impose comme un impossible soudain palpable et de manière bien plus forte que sous la forme d’une fantasmagorie illusoire. Chaque dessin cadre et décadre le réel. Ce n’est plus un mirage qui est donné à contempler mais des corps moins imaginaires qu’ils n’y paraissent. La femme y règne exfoliée en partie de ses attributs affriolants. Elle revêt d’autres pelisses animales, d’autres habits ou prothèses d’une somptuosité précieuse faite de minutie et d’élégance qui la dérobe à la bête dont l’homme voulut longtemps la croire issue.
En cernant ses figures, en leur donnant des contours parfaits et ambitieux, Mirka Lugosi introduit le leurre dans le leurre. Si bien que les mâchoires des regardeurs ne peuvent plus tomber dans leur décolleté. Ils pénètrent néanmoins – parce que le dessin y invite – en un étrange séjour terrestre où les silhouettes viennent tarabuster l’inconscient sous forme de centaures féminins. Mirka Lugosi noie donc la logique des mâles dans le génie de ses lieux pour une évanescente épiphanique et perverse. Ce qui habituellement n’est que matière et manière d’érotisme fait signe autrement et appelle sur le voyeur une autre sollicitation du fantasme. Le mâle ne peut plus se « terrer » dans les images érotiques et se complaire en leurs abîmes. Ce qui ne l’empêche pas de se croire acteur possible d’une extase troublante qui décourage les mots et réveille les morts.
Mirka Lugosi, « Figures », C.R.A.C. de Sète, 6 février 2015 – 3 mai 2015.