Géométrique et enfantine. Torturée et vivace aussi. C’est ce qu’on pourrait dire de la peinture de Mathieu Bernard Martin. Enfant des années 1980, Mathieu Bernard Martin s’appelle également Mathieu Garret et pratique l’art sous toutes ses formes, comme une façon d’être au monde. D’une vie commencée à Paris, il navigue vers Sydney et la Chine et butine dans la culture de ses ancêtres pour la resservir avec des relents de rock’n’roll. De ses partis pris, on retiendra les mots suivants: « Representing things the way they are/ ain’t no fancy process.¹ »
Son style, massif et éloquent, évoque puissamment celui de Basquiat. La naïveté des formes et l’évidence des couleurs sont les signes d’une énergie jaillissante, d’une réelle maîtrise de l’expressivité.
¹ « Représenter les choses comme elles sont/n’a rien d’une démarche sophistiquée.«
Mathieu Bernard Martin, Whoring Time ©
Mathieu Bernard Martin, Untitled, 2011, acrylic on paper 65 x 50 cm ©
Ses toiles, on le sent d’emblée, sont le terrain d’une guerre entre vide et plein. Le canevas comme symbole du néant, d’un gouffre angoissant d’inexistence. Les armes du peintre: son trait épais, ses aplats de couleurs vives et les quelques mots presque illisibles dont on ne sait s’ils légendent l’image où l’illustrent, au sens où ils ne seraient que l’écho d’un discours violent mais vain (adiction, unexpel²ed, untrusty,deadly…)². Car le coeur de l’objet peint est l’humain. Des visages déstructurés d’où émergent des yeux expressifs (Sugar Joe, Ramblin Tribe, Ma2moi…), des os, de la chair gonflée jusqu’à la démesure (Camelia). L’observateur se retrouve embarqué dans un voyage au-delà du tableau, dans une zone intime et dérangeante.
² addiction, non-exclu, in-fidèle, mortel…
Mathieu Bernard Martin, Unexpelled Semantic, 2011, acrylic pastel and oil paintstick on wood support 85 x 70 cm ©
Mathieu Bernard Martin, Truth is Self Portrait ©
Mathieu Bernard Martin, The Wildness of Water, 2011, mixed media on paper 65 x 50 cm ©
Mathieu Bernard Martin, Sugar Joe, 2011, acrylic oil paintstick and pastel on paper 65 x 50 cm ©
On sent une sorte de désinvolture ironique dans le rapport de Mathieu Bernard Martin au monde qui l’entoure. Le peintre, parce qu’il est dans une démarche artistique et non morale ou simplement rhétorique, peut à la fois peindre un tableau empli de cynisme comme Sheep by Hand ou Hospital Art Curator et nous enchanter par son traitement, nous inciter à voir plus loin que la critique : un lieu privilégié de la Beauté. Celle qui n’est pas douce, celle qui n’est pas belle. Celle qui fascine depuis toujours:
Je suis belle, ô mortels! comme un rêve de pierre,
Et mon sein, où chacun s’est meurtri tour à tour,
Est fait pour inspirer au poète un amour
Eternel et muet ainsi que la matière.
Je trône dans l’azur comme un sphinx incompris;
J’unis un coeur de neige à la blancheur des cygnes;
Je hais le mouvement qui déplace les lignes,
Et jamais je ne pleure et jamais je ne ris.
Les poètes, devant mes grandes attitudes,
Que j’ai l’air d’emprunter aux plus fiers monuments,
Consumeront leurs jours en d’austères études;
Car j’ai, pour fasciner ces dociles amants,
De purs miroirs qui font toutes choses plus belles:
Mes yeux, mes larges yeux aux clartés éternelles!
Baudelaire, Les Fleurs du mal – La Beauté