Les mises en scène de Marion Charlet sont trop belles pour être vraies. Sous un filtre chloré, elles se déploient dans l’encadrement géométrique de verrières pailletées qui ouvrent sur des paysages luxuriants. Ces sortes de loggias à ciel ouvert ne comportent aucun recoin d’intimité où se dérober aux yeux du monde. D’influence cinématographique, elles sont souvent vues en contre-plongée, comme à bord d’un grand oiseau en vol. Leur espace est architecturé par des dallages, des bassins et des pavillons. Marion Charlet travaille, de fait, par aplats rigoureux et par plans soigneusement détaillés. Adepte du motif matissien, elle n’hésite pas à poser la couleur de manière uniforme et léchée, quitte à donner un aspect décoratif à certains éléments de l’ensemble. Les tonalités pures et la végétation plantureuse annoncent la saison des pariades. La scène sort tout droit d’un rêve et se sent l’atmosphère toute prête pour la vacance de l’âme. Bicoque paradisiaque ou Nautilus aux couleurs acides, l’image est lavée, liquidée à l’eau vitaminée des vacances. Les plaisirs qui s’y déploient sont catastémiques, c’est-à-dire au repos, précisément non nécessaires selon la définition épicurienne. Ils appartiennent à la joie simple de laisser la porte ouverte à la chaleur de l’été.

Marion Charlet, A Wedding Banquet, 146x114cm, 2019
Marion Charlet, A Wedding Banquet, 146x114cm, 2019
Marion Charlet, Like a bird II, 146x114cm, 2017
Marion Charlet, Like a bird II, 146x114cm, 2017
Marion Charlet, Ciao IV, 100x80cm, 2020
Marion Charlet, Ciao IV, 100x80cm, 2020

C’est une marque de fabrique dans la technique de Marion Charlet : l’intérieur et l’extérieur ne sont pas cirsconscrits dans ces vérandas percées de claire-voies et d’ajours. Les parcloses et les vitres structurent davantage l’espace qu’elles ne le séparent, secondées en arrière-plan d’un ciel qui se déroule comme une tenture. Calme et clair, ledit ciel caractéristique de l’artiste donne l’impression d’un paysage rond et lisse ; ni vraiment naturel, ni trop iridescent, il lie l’ensemble, comme une eau limpide et engageante. De manière générale, la palette acrylique de Marion Charlet pétille, comme celles des peintres Peter Doig et David Hockney dont l’artiste se sent héritière.

Les édens étranges et modernistes de Marion Charlet tirent leurs fabriques de souvenirs passés au tamis stylisant de la nostalgie. Les angles de vue sont juxtaposés comme sur une réclame pour une croisière au pays imaginaire. Ce travail par plans et par calques fait écho à une récente série de rondes de personnages dansants. Chez eux, les mouvements décomposés se superposent dans l’espace, flottants et ectoplasmiques. Sur leurs vêtements, des panoramas colorés planent comme l’ombre d’un papillon. Cet ensemble d’oeuvres confirme l’intérêt de l’artiste pour la notion de paysage, qu’elle étudie sous l’angle de la perception, plus que dans son acception esthétique classique. Dans ces sarabandes édulcorées ou dans les retraites balnéaires, le paysage est avant tout une idée, qui occupe l’espace de manière plus ou moins abstraite.

Marion Charlet, Bonnes Vacances, 145x187cm, 2020
Marion Charlet, Bonnes Vacances, 145x187cm, 2020
Marion Charlet, The hidden language of the soul, 180x230cm, 2020
Marion Charlet, Desert Night, 33x24cm, 2018
Marion Charlet, Desert Night, 33x24cm, 2018

La pratique picturale de Marion Charlet convoque une imagerie de séjours idéaux. Ces stations thermalo-botaniques semblent apprêtées d’une main invisible pour accueillir les hôtes en demande d’air pur. Leurs couleurs diaprées participent d’une euphorie toute fraîche servie dans un cocktail bleu lagon. Pourtant, nulle âme qui occupe ces cadres dispendieux, vides comme des aquariums en réfection. Lieux dépeuplés comme à l’heure de la sieste estivale, ils ont l’apparence figée d’un buffet refroidi. D’autant plus inquiétants que ces patios limpides s’offrent sans trouble à la vue, presque dans un trop-plein d’intelligibilité. Il faut se méfier de l’eau qui dort. L’accalmie pesante du décor quasi factice évoque une scène de crime trop parfaite, une hypostase de repos qui frôlerait la mort.

C’est précisément la définition que propose Milan Kundera du kitsch : « le kitsch est un paravent qui dissimule la mort […] Le kitsch exclut de son champ de vision tout ce que l’existence humaine a d’essentiellement inacceptable »1. La vivacité des couleurs, irisées et pailletées comme un appât, dissimule une vérité funeste que certains titres rappellent : « I will rest here », « Soledad », « Far away from Calais »… Les palaces chatoyants prennent dès lors l’allure de vaisseaux fantômes aux ombres quasi manquantes. Habités par les souvenirs de lieux vus et savourés, ils subliment l’absence et suggèrent la présence dans ce silence indolent.

Marion Charlet, Matanzas, 110x160cm, 2019
Marion Charlet, Matanzas, 110x160cm, 2019
Marion Charlet, Before session, 65X100cm, 2019
Marion Charlet, Inner Space IV, 33X24cm
Marion Charlet, Cruising Tribute to D.H, 2020, acrylic+glitters, 82X66cm
Exposition Là-bas de Marion Charlet. Initiative privée de collectionneurs, Evelyne et Jacques Deret. En partenariat avec le Patio-Art Opéra

1 Milan Kundera, L’insoutenable légèreté de l’être, 1984