Marc Donnadieu
Art & Engagement : regard sur la scène française
par Amélie Kalafat
Pour son 25ème anniversaire qui aura lieu du 30 mars au 2 avril au Grand-Palais Éphémère, Art Paris est de retour avec ses fameuses sélections curatées qui font l’une des originalités de la foire française.
L’une sur le thème de « L’exil : Dépossession et Résistance », un commissariat d’Amanda Abu Khalil.
Ainsi qu’une seconde intitulée « Art & Engagement : Regard sur la scène française » proposée par Marc Donnadieu avec qui j’ai eu la chance d’échanger sur la conception de sa sélection, ainsi que sur sa carrière de curateur qui s’étend sur une trentaine d’année et des sourires.
A.K : Art Paris est devenu depuis la disparition de la FIAC, la foire de référence de la scène artistique hexagonale et l’une des seules à proposer ce genre de parcours commissarié. À quoi ressemblent les coulisses de ces sélections ?
M.D : Cela fait très longtemps que l’on veut travailler ensemble avec Guillaume Piens, mais j’étais très pris par la redéfinition et le déménagement de Photo Elysée dont j’étais conservateur en chef. Je lui avais dit que dès que le bâtiment serait livré, je voudrais bien proposer une sélection pour la foire.
Juin 2022 a sonné la fin des travaux et le thème est apparu très naturellement étant donné les actualités politiques.
J’ai demandé la liste des galeries d’ores et déjà inscrites et à partir de leur proposition artistique j’ai attaqué la sélection.
Les racines se plongent dans le travail de quatre artistes tutélaires et historiques : Nancy Spero (1926– 2009), Hervé Télémaque (1937–2022), Jacques Grinberg (1941–2011) et Paul Rebeyrolle (1926–2005).
Il était important pour moi de réinscrire ma sélection dans un contexte précis qui est la France comme terre d’accueil pour les artistes depuis le 19e siècle.
Évidemment, Art Paris étant une foire dédiée à l’art contemporain, je ne pouvais pas inclure de grands modernes, mais des artistes évoluant à partir des années 50 et 60, mais cette histoire d’engagement dans l’art en France, remonte à bien plus longtemps.
J’ai continué ma sélection en établissant un parallèle avec des artistes beaucoup plus jeunes, et qui se positionnent à travers leurs œuvres, envers des engagements similaires.
A.K : Mais des galeries se sont ajoutées après l’annonce du thème ? Avez-vous pu les inclure ?
M.D : Oui, en fait au bout de quelques mois, la conception de la sélection avait pris un autre chemin puisque des galeries se sont inscrites en connaissant le thème et ont même proposé des artistes en fonction.
Comme The Pills qui m’a proposé le travail d’Apolonia Sokol, que j’ai trouvé très pertinent de faire apparaître dans le parcours. Il y a même des artistes qui ont proposé des travaux inédits et réalisés exprès pour la sélection comme Alain Josseau, exposé par la galerie Claire Gastaud.
A.K : Avez-vous découvert de nouveaux axes d’engagement avec ces artistes qui se sont greffé.es au fur et à mesure ?
M.D : Oui, la force de cette sélection qu’elle ne soit pas représentative d’un seul et unique angle d’engagement.
Les prises de position ne logent pas uniquement dans la politique. Elle est une partie majeure évidemment, mais il y aussi des artistes qui se sont engagé.e.s dans leur médium et dans leur travail de façon très particulière.
Comme par exemple, le travail de gravure merveilleux d’Agathe May exposée par Catherine Putman. Ou encore avec la diversité des formes de Sépànd Danesh représenté par la galerie Praz-Delavallade, qui pose son regard sur la situation iranienne avec un humour corrosif.
A.K : Les foires sont des événements piliers dans l’écosystème du marché de l’art, moment crucial où les collectionneur.euses et les marchand.es se retrouvent pour des moments riches en transaction. Qu’est qu’implique d’avoir une sélection commissariée par un curateur invité lors de ce type d’événement ?
M.D : Bien sûr, on sort du cadre institutionnel pour se placer dans celui du marché imposé par la foire, la sélection ne s’est pas inventée et a été construite en fonction de ce que les galeries montraient. De ce qui existe déjà au niveau de la proposition marchande.
Mais je pense que ce type de parcours apporte un réel plus culturel surtout au niveau des primo- visiteur.euses, car cela leur offre une médiation qui est proposée en fonction des textes que nous avons rédigé avec ma consœur. Ainsi qu’un parcours qui les accompagne dans leur visite et leur propose un axe de lecture tracé à travers les stands en dehors du regard lié au marché, imposé par ce genre d’événement.
Mais pour ce qui est des collectionneur.euses, je pense que ça les rassure de savoir qu’une œuvre qu’ils peuvent acquérir fait partie d’une sélection commissariée. Ça apporte un acknowledgment et une certaine forme de légitimité à leur achat.
Enfin, il y a de plus en plus de collectionneur.euse qui ont une ligne engagée au sein de leur collection. De plus en plus de musées privés apparaissent avec une ligne artistique qui se dessine de façon de plus en plus thématique, qui peut très bien être liée à l’engagement.
A.K : Pour en venir à votre carrière de curateur. Vous êtes critique d’art et commissaire d’exposition depuis une trentaine d’année, entre rédacteur au sein de revues de renom dans l’écosystème artistique et conservateur en chef d’institutions. À quoi ressemblait le métier de commissaire d’exposition au début de votre carrière ?
M.D : Quand j’ai commencé dans les années 80, le commissariat n’existait pas à proprement parler. Il n’y avait pas de formation, ni vraiment d’écoles. Que ce soit pour les commissaires ou même les conservateur.euses.
Nous avons inventé notre métier, on l’a fait avec notre bon sens. Les artistes nous ont guidés et surtout nous ont demandés. Il y avait une vraie demande, mais le paysage culturel de l’art contemporain était en train de se construire. C’était le tout début des FRACS, des centres culturels, et même des musées avec des départements dédiés à l’art contemporain. On a dû créer tout ça avec les artistes dont l’œuvre était au centre du dessin de notre métier.
Ça se faisait au cœur des rencontres que l’on faisait.
Les années 80, c’était la fête et on imaginait des expositions avec les artistes que l’on rencontrait pendant les soirées et c’était beaucoup plus naturel que ça peut l’être aujourd’hui.
Puis au fur et à mesure, on a développé les premiers moyens de médiation en mettant en place des programmes au sein des structures publiques, dans les hôpitaux, les prisons, auprès des déficients physiques…
A.K : Après avoir vu tout ce paysage curatorial se mettre sur pied, qu’est ce qui, selon vous dans la scène artistique actuelle, fait un bon commissaire d’exposition ?
M.D : À l’heure actuelle, je pense, c’est surtout un travail de coaching et de rendre les artistes acteur.ices de leur production. Le rôle du curateur, ce n’est pas de faire les choses à la place de l’artiste, mais avec l’artiste. C’est un travail de dialogue et de porter le travail de l’artiste sans étouffer sa place.
Ensuite, il y a la façon dont on emporte un.e visiteur.euse au sein de l’exposition. Il faut créer un rythme, un peu comme un dîner. Il y a une entrée, un plat de résistance et un dessert. Une exposition, c’est la même chose. Il faut des moments de pause et des moments plus intenses où il faut emmener plus profondément lae spectateur.rice
N’hésitez pas à télécharger le catalogue réalisé autour de la sélection « Art & Engagement : Regard sur la scène française » ici pour accompagner votre visite au sein d’Art Paris.
Du 30 mars au 2 avril 2023
www.artparis.com
Grand Palais Éphémère • 2 Place Joffre • 75007 Paris
www.grandpalais.fr