L’artiste, la rédaction de Boum! Bang! et l’auteur dédicacent cet article aux défunts et aux blessés de Charlie Hebdo. Artistes du monde entier, nous sommes tous des Charlie pour l’éternité. « Pour te nommer: LIBERTÉ! »
Un entretien Boum! Bang!
C’est au Hangar 56, lieu aussi mystérieux que gai, que l’on a interviewé la brillante Luce de Tetis. Un sourire rayonnant pour une jeune femme hors-norme qui se bat pour son art contre vents et marées dans un milieu artistique parisien parfois hostile. Interview flamboyante d’une artiste à suivre dans son monde de lumière!
Luce de Tetis: Je suis née en 1987 et j’ai passé mon enfance dans le Jura. Je suis la petite dernière d’une famille Franco-Canadienne. J’ai grandi dans un milieu où l’art était omniprésent. Mes deux frères sont aussi des artistes (Yann Hovadik et Joseph Hovadik) et ma mère est une muse au sens véritable et universel du terme. Elle avait un oeil aiguisé pour l’esthétique et tout s’éclairait sur son passage. La sublimation du monde qui nous entoure est sans doute un des principes fondamentaux de mon éducation. J’ai tenté le concours de l’École Nationale des Arts Décoratifs de Paris en vain, je suis finalement entrée aux Beaux-Arts de Besançon en pensant n’y rester qu’une année… Je suis arrivée à Paris il y a 3 ans où j’ai goûté à la version universitaire des arts plastiques à Paris I. Ma mère m’a toujours soutenue intellectuellement dans mes choix malgré la conscience avertie que je me jetais corps et âme dans un milieu professionnel difficile, voire impossible: celui de l’art! Bien que dénuée de tout réseau en arrivant dans la capitale, je sentais que c’était là qu’il fallait commencer pour donner forme à mes rêves et ambitions. Aujourd’hui, je suis inscrite à l’AGREGATION d’arts plastiques à Paris I, au cas où, et pour garder un lien avec le monde universitaire et ses stimuli cérébraux.
Je me définis comme sculpteur. La sculpture est véritablement un combat, une performance. Difficile d’être dans la demi-mesure. D’ailleurs mon appartement en ce moment ressemble au chaos, avec moult matières et poussière! Mes paisibles voisins commencent à me jeter des regards suspicieux… (rires!). En dépit de ce coté quelque peu extrême, je suis de nature cartésienne. Petite, mes premiers dessins s’acharnaient sur les escaliers tournants! À l’adolescence, je me suis lancée avec avidité dans la productivité compulsive de collages. Procédant de manière instinctive, ces réalisations ont contribué à accroître ma fibre poétique. Ceci combiné à une bonne appréhension de l’espace, j’ai attaqué la sculpture avec comme travail inaugural l’accouchement de mes « Cuisses de Nymphes émues ». Bien sûr, je suis subjuguée par l’oeuvre d’une Louise Bourgeois et même de Niki de Saint Phalle. On m’en rappelle constamment l’analogie dans mon travail… Et oui, je ne peux être qu’en totale empathie avec ces pionnières, avec leurs idéaux. Mais cela correspond à une certaine donnée! Bien qu’humble admiratrice de ces deux génies je veille à ne pas me laisser trop étouffer par leur puissance démiurgique. Quitte à carrément les refouler! Ce genre de phénomènes il faut s’en nourrir jusqu’à plus soif pour entamer ensuite le processus de digestion. Cela permettra le recul nécessaire à un retour sur soi afin de produire et de transcender. Être artiste nécessite un optimisme à toute épreuve. C’est indispensable à la survie. Cet optimisme doit être suffisamment puissant pour compenser la solitude du labeur et de la pensée, ainsi que l’indifférence environnante (on n’en a jamais assez)! Heureusement à ce sujet je suis dotée d’une bonne nature. Cela ne m’empêche pas d’être lucide sur le milieu en constatant certaines réalités que je qualifierai de… sexuées. J’apprends tous les jours à m’adapter à cette intelligentsia dont la qualité fluctue fortement. J’ai eu la chance de rencontrer des critiques, de véritables éminences grises qui m’ont littéralement enflammée. Dans une sorte d’aspiration à un ultime coït « cérébralo-artistique ». Je me suis souvent confrontée à des divergences de perception (de nos rapports)! J’ai perdu ma naïveté pour certaines choses et cela à accru la conscience de ma propre chair! Il faut ne compter que sur soi-même. Bien que cette théorie soit difficile à appliquer, je dirais que c’est comme en amour: il faut savoir rester libre et ne rien attendre d’autrui, tout en restant généreuse! Bref, l’exercice d’une vie!
En outre, pour moi il y a 1% d’artistes véritablement géniaux. Ce petit pourcentage me procure toute la foi dont j’ai besoin pour oeuvrer. Le milieu de l’art est un univers complexe et à Paris les choses se font lentement et avec parcimonie… Ce qui a de bons comme de mauvais cotés. Là aussi, on apprend, on s’adapte…
J’ai une méthode de travail familière de bon nombre d’artistes: je fais tout dans le rush et j’entreprends tout par moi-même. Puisque je n’ai aucune « institution » pour m’aider, je suis adepte des actions et expos sauvages. Ce qui me laisse bon nombre de souvenirs épiques! Par exemple pour ma Canonisation au vernissage de la FIAC 2012, je me suis changée (nue) sous la pluie (et dans la boue), vaguement planquée par les bosquets des Champs-Elysées. Engoncée dans mon artillerie que j’ai caché sous une resplendissante et improbable soierie rouge, j’ai réussi à franchir avec succès le barrage de sécurité… sous les exclamations des vigiles! Un moment inoubliable épicé d’un gros shot d’adrénaline. « Qui ne tente rien n’a rien » telle est ma devise! Et je remercie mes amies suffisamment aveugles et fidèles pour me prêter main forte dans ces épreuves!
Mon corps, le Corps, est ma matière première. J’ai déroulé le fil rouge de mes travaux en gardant cette masse comme force centrifuge. Débutant par l’exploration de la matrice féminine et féconde, j’ai ensuite élargi mes investigations à la dualité féminin/masculin. Ce, dans la perspective de l’Extase. Dernièrement, je concentre mes énergies sur la figure masculine: le Mâle (aimé). Bien que je garde une certaine distance vis à vis du nombrilisme féministe, il reste difficile d’en faire fi étant donné la persistance de certaines réalités. Néanmoins cela ne doit pas occulter le fait que l’homme moderne a lui aussi perdu bien de ses repères lors des dernières décennies.
Suite à certaines expériences existentielles, pour ne pas dire charnelles, inhérentes à la condition d’artiste – bien que je peine à utiliser ce terme galvaudé – et à la découverte conjointe de Geneviève Fraisse, j’oeuvre sur l’algorithme inépuisable des rapports Génie-Muse-Spectateur (ou esthète). Je me plais à porter la flamme du génie pour éclairer la muse masculine, rien que ça! Le genre est aussi mon cheval de bataille et en France, nous avons encore beaucoup de lacunes sur ces « ébats »!
J’envisage l’ensemble de mon environnement de façon sexuée. Les tensions engendrées par les divers pôles sexués font tourner le monde! Ces forces dépassent de loin la bipolarité lisse et glacée régulée par les canons sociétaux et économiques. Je conjugue cependant ces données existantes avec leurs antagonistes triviaux et sacrés via notre héritage judeo-chrétien. Tous ces flux concourent à élaborer une alchimie complexe et engendrent une thématique intarissable!
Trêve de palabres car il y a encore tant de choses sur lesquelles je ne peux mettre de mots, qui m’échappent et tant mieux! C’est un magma bouillonnant, mystérieux et vivant! Comme tout artiste, ce sont mes tripes qui me poussent en avant et s’expriment. Lorsque je réalise une sculpture, celle-ci résulte d’une nécessité absolue de concrétisation.
S’il y a un message dans mon travail, j’ai du mal à le verbaliser. Il me faut souvent des années pour en réaliser sa visibilité. L’art est une histoire d’instinct tant pour celui qui crée que celui qui regarde. Le mot clef qui m’est le plus cher reste la Sublimation. Le Beau est aussi quelque chose d’essentiel, une nourriture liée pour nous autres, avides de pulsions scopiques que nous sommes! J’espère à mon échelle en ajouter un peu aux yeux du monde et ce avec humilité et coeur… Et que l’art nous emporte!
B!B!: Et pour finir, un questionnaire façon Proust:
B!B!: Si tu étais une femme célèbre?
Luce De Tetis: Olympe de Gouge.
B!B!: Une homme célèbre?
Luce De Tetis: Ma prochaine muse! Sinon dernièrement, Picasso m’étouffe!
B!B!: Un mythe?
Luce De Tetis: Pygmalion.
B!B!: Un Dieu?
Luce De Tetis: Prométhée.
B!B!: Une Déesse?
Luce De Tetis: Diane.
B!B!: Un objet du quotidien?
Luce De Tetis: Un presse citron.
B!B!: Une partie du corps?
Luce De Tetis: La souris (coquetterie désignant l’intérieur du genou).
B!B!: Un végétal?
Luce De Tetis: L’adansonia, une sorte de baobab. Pour son opiniâtreté dans le temps et dans le paysage!
B!B!: Un animal?
Luce De Tetis: Le bison pour sa force tranquille.
B!B!: Un fantasme?
Luce De Tetis: Changer de sexe à ma guise!
B!B!: Une citation qui te définie ou qui t’es chère?
Luce De Tetis: « Sky is the limit! ».
B!B!: Un moment de la journée?
Luce De Tetis: Le matin à l’aube, pour le levé du soleil.
B!B!: Un émoi artistique:
Luce De Tetis: il y en aurait beaucoup. Lorsque j’ai flashé sur « Daphnis & Chloé » de Wim Delvoye je me suis demandé un instant si l’histoire de la sculpture n’allait pas là se cristalliser à tout jamais!
B!B!: Ton épitaphe?
Luce De Tetis: « I will be back! »
B!B!: Que réponds-tu à Boum! Bang!?:
Luce De Tetis: Touchée!