Un écran de fumée, au ballottement atmosphérique, comme des volutes de vapeur sorties des entrailles de la Terre, ou comme un nuage dont on guette les variations songeuses. Une silhouette se dessine, projetée, elle tente de recueillir à l’aide d’un filet des bribes de matière éthérée. La quête entreprise dans la vidéo « Catch the memories and hopes that go up in smoke » peut sembler futile, elle participe cependant d’une impénétrable grandeur poétique. Comment se saisir, en effet, de l’insaisissable, qui plus est, à partir d’un faisceau de lumière?
Représentative du travail de Laurent Pernot, cette œuvre aborde la fugacité des instants qui passent, leur beauté volatile mais aussi une rêverie imagée. Le temps, ou plutôt notre rapport au temps, est continuellement ausculté afin de libérer des récits fantastiques et imaginaires. Sont alors mis en place des dispositifs qui déjouent son inéluctabilité et son caractère évanescent, comme dans les « Still Life » où des fleurs encore radieuses sont préservées de la flétrissure par une pellicule glacée. Or parce que la vivacité de leur éclat reste manifeste, comme si la vie coulait encore dans chaque pétale, il semble que le temps se soit interrompu de façon soudaine, peut-être sous l’effet d’un mauvais sort?
Le temps fait un pas de côté, il se déploie, révèle ses fragilités aussi bien que sa grâce; son pouvoir de projection aussi. Que l’on considère la vidéo « A Cloud », où des nuages indolents glissent lentement dans le ciel, confondant la mobilité, l’immobilité, l’air et les songes. Pensons également à cet imposant jeu de clés qui somnole, sidéré par un gel inopportun. On se plait à imaginer qu’elles ouvrent les portes grandioses d’une citadelle perdue dans des contrées oubliées, ou bien quelques secrets verrouillés dans des coffres millénaires.
L’artiste attire ainsi la conscience vers les phénomènes temporels qui s’épuisent pour révéler leur empreinte sur les imaginaires. Si les œuvres se rapportent souvent à une réalité palpable – des corps, des objets, des images – l’essentiel repose cependant sur ce que l’on ne voit pas tout à fait. Dans chacun de ces projets, le temps motif de divagation, de contemplation et de délectation suggère une résonance intérieure chez le spectateur enclin à éprouver la simultanéité des événements qui, du même pas, s’affaissent et se consolident. Alors, plus que le temps en tant que tel, ce qui est souligné est sa charge sensible et poétique, sa capacité à émerveiller et à produire des récits inattendus, précisément comme ces nuages qui se languissent dans le ciel et dont on s’applique à y reconnaître des formes évanescentes.
Aussi, chaque œuvre se présente comme un dispositif de capture temporelle, parfois au moyen d’une sémantique visuelle spécifiant une forme de clôture – une cage d’oiseau, le gel hivernal, la taxidermie, la mort – chaque fois cependant l’œuvre libère un imaginaire qui répond pour beaucoup de la limpidité formelle des pièces – quoi de plus simple, mais aussi de plus beau qu’une montre, dont la mécanique se serait interrompue sous l’effet d’un froid intense? Comment ne pas être saisi par la poésie raffinée d’un croissant de lune luminescent, captif dans une volière? – La grâce du sens se joint à celle des sensations que convoquent la pureté et la fluidité des matériaux utilisés, comme les projections de lumière, le néon, le miroir, les effets de transparence ou les silhouettes fantomatiques.
Par ailleurs, la grammaire plastique de l’artiste connait comme deux polarités. D’une part l’œuvre a trait à une verticalité, une élévation ou une suspension, à l’image des gouttelettes de givre qui perlent comme des stalactites, des visages qui se dissocient des corps, tels des âmes qui s’élèvent, à l’image également de ces êtres suspendus sur des branches d’arbre ou des morceaux de pierre, ou encore de ces paysages qui s’effilochent, semant derrière eux une traine spectrale. La verticalité participe ainsi d’un sentiment de légèreté qui sied parfaitement à ce temps toujours insaisissable. D’autre part, les travaux de Laurent Pernot abordent une sorte de mécanique du passage et du seuil, corollaire de la suspension. Constamment, en effet, le temps supposé continu et linéaire est sujet à une saccade qui l’emprisonne, interceptant son élan perpétuel pour le contenir. Le seuil, cet espace temporel d’où l’on discerne avec peine l’avant de l’après, l’attente de l’avènement, le doute de la certitude, est aussi mis en avant à travers la dialectique qui se dessine entre la vie et la mort. Le seuil, toujours flottant, distingue ce qui se garde et ce qui s’évapore; en œuvrant là où la raison ne s’aventure pas, il nous introduit à un temps magique, celui que l’on retrouve dans les contes et les mythes anciens, ou celui qui imprègne nos rêves et nos souvenirs d’enfant.