Une jeune fille dans sa chambre, ça vit avec des rêves – un univers déchiré entre contes enfantins et réalité. Et les rêves de ces jeunes filles à l’aube de l’âge adulte ont longtemps fasciné les poètes et les peintres. Que ce soit à travers des tableaux comme le Printemps de Botticelli et la Sainte Cécile de John William Waterhouse, ou des poèmes comme le fameux Mignonne, allons voir si la rose de Ronsard, la fragilité de la jeunesse et sa préciosité obsèdent. Cette jeunesse éphémère et insaisissable incarne en effet une forme de perfection, d’acmé humain: après l’ingrate adolescence, avant la chute inévitable. Insaisissable aussi, la nature féminine qui s’éveille dans ce printemps léger et coloré, mystérieux.
Sandro Botticelli, Primavera (Le Printemps), 1482, tempera sur panneau de bois ©
John William Waterhouse, Saint Cecilia (Sainte Cécile), 1895, huile sur toile ©
Laura Makabrescu a 23 ans. Elle est polonaise, fait des études de littérature à Cracovie et illustre sa vie d’images. Ses photos, tant par leurs thèmes explicitement inspirés de l’univers des contes de fées ( Fairy tale about golden hair girl whose brothers were transformed into swans by an evil queen.1, ou Fairy tale about a girl who found dead animal in the forest and shared it with her warmth2) que par leur ambiance chromatique pastel, renvoient à un idéal enfantin fait de personnages facilement appréhensibles: evil queen est l’incarnation du mal, la femme adulte rivale et expérimentée qui n’hésite pas à faire le mal (en l’occurrence transformer les frères de l’héroïne aux cheveux blonds, golden hair girl, en cygnes) tandis que la jeune fille des photos est victime des mauvaises intensions de sa rivale, généreuse avec les animaux (elle vient conforter un renard mourant dans Fairy tale about a girl who found dead animal in the forest and shared it with her warmth2 et laisse même hiberner des oiseaux dans sa maison dans the girl in whose house birds were winter-sleeping3). Elle est d’ailleurs protégée par les animaux, comme le renard de it is the fox who cares about girl’s soul.4
1 Conte de fée au sujet d’une fille aux cheveux dorés dont les frères furent transformés en cygnes par une reine maléfique.
2 Conte de fée au sujet d’une fille qui a trouvé un animal mort dans la forêt et avec lequel elle a partagé sa chaleur.
3 La fille dans la maison de laquelle des oiseaux hibernaient.
4 C’est le renard qui protège/prend soin de l’âme de la fille.
Laura Makabresku, the girl in whose house birds were winter-sleeping, 2012 ©
Laura Makabresku, little dear, 2011 ©
Laura Makabresku, little dear and her lover, 2011 ©
Laura Makabresku, wound 1, 2011 ©
Laura Makabresku, wound 2, 2011 ©
Laura Makabresku, fairy tale about golden hair girl whose brothers were transformed into swans by an evil queen. now this poor girl will have to make shirts of nettles to save them. 1, 2011 ©
Laura Makabresku, fairy tale about golden hair girl whose brothers were transformed into swans by an evil queen. now this poor girl will have to make shirts of nettles to save them. 2, 2011 ©
Laura Makabresku, fairy tale about golden hair girl whose brothers were transformed into swans by an evil queen. now this poor girl will have to make shirts of nettles to save them. 3, 2011 ©
Laura Makabresku, fairy tale about golden hair girl whose brothers were transformed into swans by an evil queen. now this poor girl will have to make shirts of nettles to save them. 4, 2011 ©
Mais ces couleurs douces et rassurantes révèlent aussi une atmosphère plus macabre sous le vernis du conte de fée. La lumière des photographies de Laura Makabresku semble surnaturelle, presque inquiétante. Cette ambiance étrange et propice au doute ne va pas sans rappeler les travaux de Bruno Bettelheim dans sa Psychanalyse des contes de fées:
« Tout conte de fées est un miroir magique qui reflète certains aspects de notre univers intérieur et des démarches qu’exige notre passage de l’immaturité à la maturité. Pour ceux qui se plongent dans ce que le conte de fées a à communiquer, il devient un lac paisible qui semble d’abord refléter notre image ; mais derrière cette image, nous découvrons bientôt le tumulte intérieur de notre esprit, sa profondeur et la manière de nous mettre en paix avec lui et le monde extérieur, ce qui nous récompense de nos efforts. »
L’harmonie entre la fille et la nature va en effet plus loin qu’une simple bienveillance réciproque puisque la forêt qu’elle sillonne va jusqu’à envahir sa chair; que ce soit sur le cadavre de it is the fox who cares about girl’s soul. she died in the woods and now her flesh is overgrown by moss.1 ou sur le corps endormi de Fairy tale about a small girl who slept in the woods and woke up being owergrown by moss and mushrooms. now she is a part of the woods.2 De la même façon, on peut se questionner sur la bienveillance de l’amoureux à tête de loup que l’on voit sur les séries Little dear3 et Wound4.
1 C’est le renard qui protège/prend soin de l’âme de la fille. Elle est morte dans les bois et son corps est à présent couvert de mousse.
2 Conte de fée au sujet d’une petite fille qui s’est endormie dans la forêt et s’est réveillée couverte de mousse et de champignons. Elle fait dorénavant partie de la forêt.
3 Petit faon
4 Blessure
Laura Makabresku, it is the fox who cares about girl’s soul. she died in the woods and now her flesh is overgrown by moss., 2011 ©Laura Makabresku, it is the fox who cares about girl’s soul. she died in the woods and now her flesh is overgrown by moss.1, 2011 ©Laura Makabresku, it is the fox who cares about girl’s soul. she died in the woods and now her flesh is overgrown by moss.2, 2011 ©Laura Makabresku, fairy tale about a small girl who slept in the woods and woke up being owergrown by moss and mushrooms. now she is a part of the woods., 2011 ©
Laura Makabresku, Mental Hospital (I had a strong depression for a long time), 2011 ©
Autoportrait onirique, réinterprétation des peintures romantiques, exploration d’une mère nature protectrice et destructrice, l’oeuvre de Laura Makabresku perturbe. D’une beauté presque trop lisse, son travail émerveille et réveille. Savoir qu’elle est venue à la photographie pour combler en images le vide du langage auquel son expérience de poète l’avait confrontée aide à comprendre son approche sans expliquer pour autant le voyage temporel au siècle dernier que ses choix scénographiques fabriquent. Il faudrait sans doute reprendre la lecture de La Chambre Claire de Roland Barthes dont la citation suivante semble la conclusion parfaite à une lecture des images de Laura Makabrescu:
«…la photographie (celle dont j’ai l’intention) représente ce moment très subtil où, à vrai dire, je ne suis ni un sujet ni un objet: je vis alors une micro-expérience de la mort (de la parenthèse): je deviens vraiment un spectre.»
Laura Makabresku, North – In my dreams, 2011 ©
Laura Makabresku, fairy tale about a girl who found dead animal in the forest and shared it with her warmth., 2011 ©
Laura Makabresku, fairy tale about a girl who found dead animal in the forest and shared it with her warmth. 1, 2011 ©Laura Makabresku, Secret garden hidden in the forest (It was very rainy day), 2011 ©
Mignonne, allons voir si la rose
À Cassandre
Mignonne, allons voir si la rose
Qui ce matin avoit desclose
Sa robe de pourpre au Soleil,
A point perdu ceste vesprée
Les plis de sa robe pourprée,
Et son teint au vostre pareil.
Las! voyez comme en peu d’espace,
Mignonne, elle a dessus la place
Las ! las ses beautez laissé cheoir!
Ô vrayment marastre Nature,
Puis qu’une telle fleur ne dure
Que du matin jusques au soir!
Donc, si vous me croyez, mignonne,
Tandis que vostre âge fleuronne
En sa plus verte nouveauté,
Cueillez, cueillez vostre jeunesse:
Comme à ceste fleur la vieillesse
Fera ternir vostre beauté.
Pierre de Ronsard (1524-1585)