Influencé par la peinture descriptive comme par la littérature décadente (de Joris-Karl Huysmans aux faits divers en passant par le surréalisme) l’univers de Kosta Kulundzic se compose de mises en scène baroques, fantastiques et fantasmagoriques. S’y mêlent des éléments tirés de sa propre enfance mais aussi des reconstitutions d’anecdotes souvent tragiques puisées dans l’histoire de l’art comme dans les journaux. Toutefois l’acmé de chaque événement n’est jamais montré: l’artiste préfère représenter l’avant ou l’après… L’artiste passe du registre de la « pure » littéralité à celui de la fiction à travers les personnages qu’il met en scène. Les femmes y reprennent le beau rôle. Elles sont les agissantes dans des meurtres ou des attentes subis par le mâle. L’artiste offre une lecture inversée de la femme dans l’histoire du monde et de la peinture.
Le plasticien lutte contre les idées reçues par sa capacité de penser en marge et de penser les marges. Et parce qu’une des premières difficultés, devant la situation d’abondance de l’offre culturelle où nous nous trouvons aujourd’hui, est de se laisser submerger par les images toutes faites. L’artiste refuse d’être guidée par des pressions extérieures subtiles ou séduisantes. À travers ses « reconstitutions » il reconstruit le monde selon ses propres règles en fonction de sa curiosité, de l’élan qui lui est propre, de son inquiétude, aussi.
Existe chez Kosta Kulundzic une revendication de la subjectivité qui peut parfois choquer. L’artiste s’en moque: il montre combien certaines figures sont abandonnées à une solitude irréductible. Et peu d’artistes donnent une idée aussi immédiate de la liberté iconoclaste. À travers son travail il fait de la morale en le tournant en dérision. À ce titre il est proche des libertaires qui firent de la liberté le risque même de leur idéal. Et même s’il sait que la liberté n’est qu’un leurre, un mot propice aux bouffées d’imaginaire, aux élans trompeurs, aux chansons, son travail fourmille de paradoxes stimulants mis en exergue par son goût du détail.
Ses œuvres deviennent des manières d’habiter les marges, d’inscrire les mirages, de célébrer la solitude. Marges, mirages et solitude représentent d’ailleurs la trinité dont les incessantes variations de tonalité font tout le charme d’une œuvre où les confidences autobiographiques alternent avec des analyses plus distantes sur l’amour, l’humiliation dont sont victimes depuis toujours les femmes. Il trouve à travers elles de quoi alimenter sa liberté de penser, sa passion de comprendre par les images. Loin des idées reçues, loin de tous les modèles à penser et à montrer dont l’histoire fourmille dans son idéologie. L’artiste n’a qu’un souci: faire tomber les masques à travers ses propres masques et mascarades. Il atteint une force qui permet de penser l’événement de manière plus profonde qu’une lecture anecdotique ou même historique. Chez lui la liberté rime avec passion et création, violence et légèreté.