L’oeil ne se nettoie pas. Il parait qu’il respire, qu’il peut, du haut d’une butte, jouir de l’air, des horizons. L’oeil accumule et peut, s’il est divin, sculpter le monde afin que tout s’ordonne et rentre, aspiré par la toute petite pupille, dans les esprits. L’oeil enfin mange et rend. Il est celui qui donne à voir: il roule dans les orbites et vise, absorbe, dessine l’alentour de manière à satisfaire l’étrange esprit qui l’accompagne. Et ce que l’oeil fait, se mouvant, a tout à voir avec la main et rien avec le sujet de la peinture (Et tout ce que la peinture fait, se mouvant, à tout à voir avec la main, et rien avec le sujet de l’oeil). Julien des Monstiers est surface, il est peintre. Il y a une toile, qui est tendue, qui a une taille, des couleurs, des idées et des signes. Il y a le temps, il y a l’espace, il y a l’équilibre précaire entre la précision et le jeu, le savoir et l’intention. Là où d’autres creusent, lui imprime, laisse revenir, attend. On dit: travaille. L’artiste travaille, il cherche. Le résultat est beau. Il pense au temps, à l’à-venir. C’est venu d’où ça doit, et ça revient. Légende: Il existe une toile qui s’appelait Île, qui fut oubliée. Dix ans plus tard, une nouvelle Île, de même taille, est apparue. L’océan n’a pas encore gagné.
Julien des Monstiers a pris le chemin traditionnel des artistes peintres parisiens qui présentent au prix Marin qui ont fait les Beaux-Arts (avec la chance Alberola) qui ont la galerie qui viennent de province qui confrontent la surface et pointent, précisément. Moteur motif. Impression collage. Couleurs et éclats. (Ah) symétrie, quelque chose se construit. Julien des Monstiers est joueur. Il a l’adresse précise de celui qui de loin observe les choses de la nature et l’air de qui se réveille ou sort à peine du combat. Ses toiles convoquent des passés élégants, des paysages imaginaires, du rêve. Partout l’enfance, merveille, rencontre la précision du chirurgical. Ensemble, ils dansent. En tension entre l’inaccessible des cuillères d’argent et la conscience, nous savons ce qui est. Moteur motif. Impression collage. Couleurs et éclats. Il s’agit d’un autre récit mais sans mots, question de temps. L’ordre est autre vraiment. Le geste et la langue. Ce qui sent dit. La peinture n’est pas aussi hachée que le texte, plus monumentale et tenue. Englobante et belle. Toujours. Le sol monte aux murs, les cadres existent, la pâte colle et les fleurs poussent. On explore. Saut dans le temps Antigone, l’indécence Bofill qui a inspiré l’ouragan, la grisaille et de bien sales logements. L’artiste a compris que la matière est politique, seule. Qu’elle est poétique, seule. Qu’elle est seule et qu’il a des mains, un œil. Produit reproduit: quelque part dans le temps. L’artiste a compris qu’il peint pleure comme on peint jouit. Il y a un corps sur scène, toujours un corps sur scène, et qui est mort, et que l’on ne voit pas. Grosse caisse de résonance, la toile se tisse de couches tandis que l’artiste joue. Dans son atelier, il fait aussi des vidéos, des artefacts à partir de pinceaux et qui ressemblent à des armes et qui sont des jouets, des symboles, des échos; qui pourraient tuer, vraiment. Mystère insondable habité de fantômes, tendue. Les formes sont des peaux et sous les peaux les nerfs, le sang, les os et la graisse qui dessinent en surface les messages du corps. Qui disent du corps ce qu’il est, sa mécanique et son état. Le peintre pense, il observe. Julien des Monstiers se réveille un matin, conviction dinosaure. Cela ne veut pas dire qu’il cède, mais qu’il est temps. Les dinosaures se présentent verts ou chair, avec des volumes qui rappellent les chevaux. Leurs corps sont fossiles et leurs pattes atrocement vives. Dents et regards en dards. Le motif est sur la toile et il nous rend sensibles. Comprenons: la peinture de Julien des Monstiers ne nous donne rien à voir, ne nous offre pas de vision, ne prétend pas être l’incarnation d’un discours sur le monde. Elle rend des sensations. Au mieux, pour nous rassurer, nous pourrions dire qu’elle est témoin, qu’elle rend compte en rassemblant, non pas des preuves (elle ne peut rien nommer, elle est sans mots), mais des états. Perceptibles, mutables, ils nous appartiennent.
On cherche la main, sa trace. Elle est là, grandiloquente, elle adresse la surface, mais on ne trouve pas la touche, l’infinitésimal du geste. Il nous est ôté par un dispositif qui laisse le spectateur en haleine, devinant la méticulosité de la peinture sans avoir accès à sa genèse. En résulte une urgence, comprendre. Comprendre ou sentir ce que la toile veut dire. Qu’elle rappelle les peintres de la chair: voluptueuse, ou Richter, par sa distance, elle nous regarde. Bienveillante, la toile accueille, refuge mouvant, dynamique; la peinture est vivante, l’œil est vivant, celui qui regarde a la charge, la responsabilité de ce qu’il voit. La grande réussite de la peinture de Julien des Monstiers est de parvenir, organisme, à mettre en branle, à fabriquer une relation qui n’est pas dans la verticalité d’un monde ingurgité par un regard afin d’en satisfaire d’autres mais de trouver, à travers des problématiques formelles, une formule horizontale où le monde, le peintre et le spectateur se côtoient en égaux.
Au-delà de ces questions, Julien des Monstiers dit qu’avec ou sans les Beaux-Arts de Paris, que bien avant les Beaux-Arts de Paris. Qu’en dehors de l’Histoire. Ce qu’il dit c’est qu’il a appris les écoles et les genres, la technique. Par exemple à dépasser cet instinctif originel qui faisait brute la toile, brut le geste, violent. Qu’il ne l’a pas oublié. Nous-même devant les toiles, séduits par la beauté, nous trouvons harponnés par une violence, violence sans mots des origines, violence de bête humaine, violence du coeur. La douceur des teintes, la maitrise et ce qui éclate partout, sans pouvoir se réduire à un instinct, à un enjeu. Une présence maintenue et qui affleure sans jamais réduire toile et geste, mais qui grouille dans cette surface qui est le tout des toiles, transformée, arrêtée sur image.